Les villages qui se découvrent une âme

Dès que le soleil paraît, les lieux apparemment inanimés prennent vie. C’est le miracle de ces journées d’avril où, s’il ne faut pas se découvrir d’un fil, tout le monde cherche à faire le contraire. D’abord, se débarrasser de ce voile de plomb que la grisaille du temps fait peser sur un moral déjà chancelant. Ensuite, se baigner dans l’air vif d’un lundi ne sonnant pas le glas d’une semaine encore peuplée de soucis. Enfin, aller vers les autres, sans retenue, sans protocole, sans fard, pour partager la chaleur retrouvée de la vie sociale. Sur l’espace central de Haux, le village de cet Entre Deux Mers surplombant des vallons aux allures de Toscane, la fête a battu son plein. Pas ces grandes manifestations où l’on se montre avec l’espoir de démontrer son ancrage dans le Peuple, mais tout bonnement un rendez-vous marqué par la véritable sincérité des rapports humains. Un comité des fêtes engagé, regroupant des générations différentes, des convictions différentes, des motivations différentes, a offert à des milliers de personnes le plaisir de sortir d’une hibernation intellectuelle et matérielle, de partager une escapade vers les jours meilleurs. Il n’y a plus que dans des villages ayant une âme que l’on reprend désormais les traditions et que l’on continue à ne pas faire semblant de « faire la fête ».
L’argent ne coule pas à flot, les budgets n’existent même pas : tout repose sur la solidarité dans l’action, le bénévolat et une motivation dont on ne soupçonne pas les racines. Comme tout le week-end de Pâques, dans l’espace culturel de Créon, envahi par les athlètes trop authentiques pour être médiatiques, des championnats de France de la force athlétique pure, ou comme hier, dans le vent frais de la fête des plantes dans le village de Blésignac, rien n’est possible sans cet investissement citoyen irremplaçable que l’on snobe dans les cercles qui comptent. J’ai découvert ces réalités qui veulent que, plus une organisation coûte cher (festivals, grandes fêtes dites populaires, expositions, repas de gala, matches exceptionnels…), plus elle est respectable et respectée. Il ne faut plus être modeste, mais ostentatoire; il ne faut plus espérer, mais assurer; il ne faut plus être méritant, mais performant; il n’est plus d’usage de se contenter de bouts de chandelle, mais que seuls les sunlights attirent les médias, et donc les badauds. Durant ce week-end, l’air a été pur sur le créonnais, les visages étaient radieux, les porte-monnaies encore gonflés et les propositions honorables. Pas une ligne dans le quotidien régional. Pas une minute sur les radios. Pas une seconde sur les télés. Il est vrai que ce qui n’est pas bling-bling n’attire plus les stylos, les micros et les caméras, surtout quand la religion envahit le monde avec ses hypocrisies standardisées. Le vrai, le simple, le traditionnel, ne font plus recette, comme c’est le cas pour la citoyenneté reposant sur un apport individuel désintéressé à la vie collective. A Haux, il y avait pourtant une foule exceptionnelle, comme si, tout à coup, les gens avaient besoin de se serrer les uns contre les autres, de se rassurer, de se persuader qu’ils existent encore. La fumée âcre et tourbillonnante des barbecues, ou du foyer sous la grande poêle, rappelaient que l’aseptisation sociale n’a jamais conduit qu’au désastre en nivelant l’originalité. Elle était à la fois dérangeante mais aussi rassurante. Les odeurs se mêlaient, allant de celles des ventrèches rissolant dans un gras recuit, aux frites passant du grand froid à l’huile bouillante.
Presque tous honnêtes et patients (il y a toujours les tricheurs impénitents) les ventres affamés n’avaient pas d’oreille pour les concerts donnés sur scène. Ils n’avaient d’yeux que pour les frites et cette omelette gargantuesque qui mijotait sur une trépied géant, et un feu nourri avec précision par les « rameurs ». Orangée à ses débuts, elle palissait au fur et à mesure que la chaleur faisait son œuvre. Tout l’art de l’opération consiste en effet à empêcher le mélange de trop s’attacher au récipient… Plus facile à dire qu’à faire ! Les assiettes en matière plastique blanche s’agitent nerveusement autour des barrières, comme si la peur de ne pas participer au festin s’emparait de la multitude, surprise de son engouement pour un mets qui affolerait les services vétérinaires, si pointilleux sur la cuisine incluant des œufs. Cette préparation collective hors normes, constitue en effet un pied de nez au « gastronomiquement » correct, comme les plantes de Blésignac, déposées sur le pré, dans le vent mauvais d’avril, faisaient la nique à la standardisation des choix.
Ces fêtes ne respirent malheureusement plus le parfum enivrant de la nostalgie, car elles en ont passé le cap. Elles résistent tant bien que mal à une évolution sociale déniant toute valeur à la proximité, avec ses limites géographiques, matérielles, financières, humaines.
Les repères villageois n’ont pas la chance d’appartenir aux « espèces » protégées de la planète. Ils partent dans la fumée des barbecues, remplacés par les planchas, les godets décimés par le verre en matière plastique, l’Opinel oublié au profit du couteau ne coupant rien ; le signe lointain de tête, préféré à la poignée de mains ou à la bise… La ferme des célébrités a tué les villages des réalités. Pas encore totalement, car hors des grandes villes, il existe des foyers de résistance, des hameaux ou des villages où des femmes et des hommes croient encore dans les autres, dans leur goût pour la rencontre, dans leur besoin d’expulser l’air vicié de l’opinion dominante, de ressentir autre chose que les piqures d’indifférence. Une ou deux bouchées d’omelette hauxoise réconcilient avec des bonheurs réputés ordinaires. On y retrouve, autour des tables posées au soleil, les visages connus, ceux des gens qui sortent de leur « tanière » pour oser revenir dans le monde, dans la foule, dans des odeurs et des saveurs indispensables à la vie.
Les joues rouges des enfants, comme ces pommes enrobées de sucre, les pleurs des « accros » du manège avec queue de Mickey bondissante, les barbes roses collantes que les papas ne connaissent plus, les nougats déconseillés aux dentiers sans Stéradent, les tombolas transformant une babiole en gros lot, par la magie d’une chance réputée insolente : hier à Haux, la fête du village avait des allures printanières, comme une éclaircie dans la grisaille du quotidien. Ce soir, à la télé, vous apprendrez qu’à Paris, le couple présidentiel a lancé la « chasse à la rumeur » sur ses problèmes. A chacun sa fête !

Cet article a 4 commentaires

  1. DURAND Gerard

    Comme je vous envie à tous, n’ayant connu dans mes jeunes années que la Garderie, Le Loret ou Martillac et maintenant la retraite et ses privations. Cela me rassure de voir des gens se rendre heureux malgré ces temps de crise pécuniaire.

  2. Danye Cortot

    Ce n’est pas interdit de désirer faire comme les autres !!! ce qui est triste c’est que nous avons tous travaillé dur et avec les retraites nous ne pouvons faire que survivre en se privant. je crois que le bonheur se regarde autrement !!! SE RÉJOUIR DE CELUI DES AUTRES MEME PETIT EST UN SIGNE DE GRAND COEUR ET DE QUALITÉ POUR CETTE PERSONNE .IL FAUT Y CROIRE …TOUT ENSEMBLE NOUS ALLONS GAGNER CETTE CRISE QUI ARRANGE LES PLUS RICHES….

  3. Danye Cortot

    Je suis engagée souvent dans des manifestations ou les bénévoles d’asso ou pas » mettent la main au torchon , aux préparatifs en tous genres et nous ne voyons pas de télévisions ou de reporters des journaux quotidiens.Plusieurs milliers de personnes ne les intéressent pas.
    Nous avons la chance d’avoir un employé de bureau en extra pour la com qui arrive à glisser quelques piges à Sud Ouest MAIS RIEN DE SIMPLE ET POURTANT IL Y TRAVAILLE POUR CE JOURNAL. C’est avec nos petits pieds , nos voitures personnelles que nous faisons la distribution des affiches et des tracts dans les magasins et les panneaux possibles d’affichages. 3ou 4 équipes..on part le matin , on revient le soir fatigué mais heureux .tant que toutes ces personnes donneront de leur temps , de leur savoir , de leur coeur… nos campagnes garderont une idéologie de vie saine et heureuse .

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