J'ai beaucoup pensé à vous

Trois générations autour d'une passion celle de Turcaud
Ce soir, au moment où le soleil s’attardait enfin au-dessus des vignes, comme s’il était décidé à donner un signe fort d’espoir, j’ai fait une halte au Château Turcaud (1), propriété familiale de La Sauve Majeure. Toute la famille Robert, ainsi que le personnel accueillait depuis le début de la matinée ses clients et ses amis pour une journée « portes ouvertes ». Tout le monde affichait un sourire aussi rayonnant que l’astre solaire du jour, illustrant à merveille le principe qui veut que le client soit roi. Huitres pour accompagner la dégustation de vins blancs d’exception, stand avec les charcuteries et les conserves du col d’Aspin dans les Pyrénées, amuse-gueules en tous genres et bouteilles à disposition pour des dégustations commentées. D’ailleurs, un premier signe dénotait la réalité de cette rencontre très suivie (plusieurs centaines d’habitués ou de nouveaux en quelques heures) puisque rares, très rares, étaient les dégustateurs (trices) qui recrachaient leur breuvage dans les seaux prévus à cet effet. Ici, dans cet écrin où naît l’un des crus les meilleurs du Bordelais, on joue la transparence absolue, la fidélité à deux principes : qualité et proximité, car on sait que tous les débats sur la viticulture seront vains tant que la confiance ne sera pas revenue.
L’année 2009 a été catastrophique pour les vins de Bordeaux, qui ont enregistré une baisse sans précédent de leurs ventes, d’environ un quart en valeur par rapport à 2008, la Chine devenant le premier importateur, après l’Union européenne, selon l’interprofession.
« Un effondrement aussi rapide et brutal est du jamais vu », avait récemment estimé Roland Feredj. Pour le directeur général du Comité interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), « une telle année horribilis n’a pas d’équivalent depuis que des statistiques sur le marché mondial du vin existent ». Une baisse des exportations des vins de Bordeaux de 14% en volume et de 23% en valeur conduisent Alain Vironneau, président du CIVB, à parler d’année « catastrophique ». La commercialisation des vins de Bordeaux en France et à l’export s’est établie à 4,96 millions d’hectolitres soit 661 millions de bouteilles, pour un chiffre d’affaires de 3,37 milliards d’euros. Assis à une table entre amis, dehors, sous les douces caresses du soleil printanier, au milieu de tous ces amateurs paisibles, heureux, enthousiastes sur les breuvages proposés, il était difficile d’imaginer que des centaines d’exploitations viticoles en vins de Bordeaux sont entrées dans la tourmente financière. Le bonheur parfait, avec un verre de blanc sec parfumé et agréable, couleur soleil sur la table devant soi comme un avenir prometteur !
Prendre le temps de déguster en fermant les yeux, seul au monde, à petites gorgées, un produit porteur d’un savoir-faire discret, reste un grand luxe. Il appartient à celles et ceux qui savent s’aventurer hors des sentiers battus, pour n’attendre que le moment de la découverte.
La qualité des vins de Bordeaux a largement progressé : les déceptions totales se raréfient au départ de la propriété.
On avait assuré durant la fin du XX° siècle aux viticulteurs que, s’ils ne vendaient pas leur récolte, c’est parce que le client devenu plus exigeant, il leur fallait investir massivement dans les techniques de vinification. Ils l’ont fait avec motivation et succès. Ils ont été trompés, car ils se sont parfois endettés mais n’ont pas compris que « production » allait de pair avec « commercialisation ». Beaucoup ont cru que le négoce allait faire des miracles à leur place et renoncer à leurs profits pour… vendre le Bordeaux sur de nouveaux marchés. Ils se sont vite aperçus que même leurs vins de qualité resteraient dans les chais ou seraient vendus pour simplement assurer les charges urgentes de l’exploitation.
Même si la Chine est ainsi devenue, pour la première fois en 2009, le premier client hors Union européenne (UE) en doublant ses importations de vins de Bordeaux, avec 137.000 hectolitres (+97%), pour un chiffre d’affaires de 74 millions d’euros (+40%), elle ne peut compenser la chute en volume de –27 % sur les USA, -18 % sur le Japon, -19 % sur l’Europe ! Sur le marché français, qui représente 68% des ventes, le chiffre d’affaires des ventes grandes et moyennes surfaces, soit 44% des ventes, est en légère baisse (-3%) pour atteindre 869 millions d’euros.
Au château Turcaud on a sagement tourné le dos à cette logique, en considérant qu’un produit ayant un excellent rapport qualité-prix méritait un autre sort que des ventes massives via le négoce ou les centrales d’achat. La clientèle individuelle française a donc été privilégiée, sur la base d’une constance absolue dans la nature des productions (chaque année la propriété truste les podiums au concours général agricole). Le record de fréquentation de la journée portes ouvertes de ce samedi aura amplement démontré que cet investissement opiniâtre, ingrat, de longue haleine, parfois regardé d’un oeil ironique, constituait maintenant, dans le contexte de crise, la bonne décision.
Épuisée par cette longue journée de relations publiques, avec à la clé une fidélisation largement profitable de la clientèle de proximité, la famille Robert, hier soir, a oublié la fatigue. L’amour de toutes les facettes d’un métier incertain, car lié à de nombreux paramètres, leur a permis de tisser des liens affectifs forts entre leurs vins et celles et ceux qui savent les boire avec modération. Leur « rouge », fin mais charpenté, avec un belle robe pourpre; leurs « blancs », fruités ou aux arômes accentués par le passage en fûts de chêne; leur « rosé », aux teintes et aux goûts de fête, offrent le plus beau des cadeaux à celles et ceux qui leur ont fait confiance : le plaisir! Car le maître mot de la consommation actuelle reste celui-ci : le plaisir! On ne boit plus que par plaisir!
Il faut d’abord que les craintes sociales multiples qui pèsent sur le vin se dissipent, qu’ensuite la confiance revienne sur la base d’un rapport qualité-prix raisonnable, et qu’enfin les producteurs relèvent le défi des circuits courts de distribution. Ces trois paramètres mériteraient un plan gouvernemental, mais… pour l’instant on se préoccupe surtout là-haut des seuls céréaliers, car ils auraient mal voté ! En tous cas, je vous assure que hier, en fin de soirée, la réussite du Château Turcaud m’a fait chaud au cœur, car jamais le principe que je m’applique quotidiennement « aide-toi, surtout si le ciel ne t’aide pas! » ne m’a paru aussi juste. A la vôtre !

(1) http://www.chateauturcaud.com

Cet article a 3 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Coucou du Luberon

    In Vino Veritas!

    Ainsi tu as bu avec Maurice Robert & Co et chanté avec DosilaSauve?

    Le site vaut le détour; Je te remercie pour cette mise en boûche.

    Amicalement,

    Gilbert de Pertuis

  2. PIETRI Annie

    Tu as vraiment l’art de mettre l’eau à la bouche de tes lecteurs….Le chateau Turcaut est un excellent vin…que tu m’as fait découvrir, il y a quelque temps déjà. Mais le déguster, ainsi que tu le décris, sur la propriété, au soleil, au milieu de bons amis, j’imagine le plaisir incomparable que cela procure !

  3. Grand merci ! cher Jean-Marie Darmian, pour ce bien bel article sur Turcaud (qui nous a d’ailleurs déjà valu une demande de tarif d’un M. Gilbert Soulet dans le Lubéron !), lumineux comme le soleil de samedi. Oui, cette journée « portes ouvertes » fut une belle réussite(même si, à Turcaud, les portes sont un peu ouvertes toute l’année, mais d’une façon un peu plus festive à cette occasion-là !). Oui, pour l’heure, nous traversons la crise à peu près sereinement, mais au prix tout de même d’efforts décuplés ! Il n’y a pas là de solution miracle, c’est une alchimie de la qualité des vins, des prix, de l’accueil et du savoir recevoir qui a toujours prévalu à Turcaud – l’intelligence du coeur, qui fait tant défaut ! -, de l’indépendance vis-à-vis du négoce, de la grande distribution, etc.
    Comme nous le disions dans une des lettres destinées à nos clients, c’est là une forme de sacerdoce, d’engagement total comme c’est sans doute le cas dans le métier politique.
    Encore merci.
    Bien amicalement et à bientôt !

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