Un gros nuage d'incertitudes à dissiper vite

La France est rassurée. Elle, que les cendres du volcan islandais avaient angoissée ailleurs que dans les aéroports, a accueilli avec soulagement les propos officiels de Roselyne Bachelot. Ce Ministre est digne de confiance, et dans les chaumières on a retrouvé le sourire. Elle a des références fortes, comme sa gestion, avec l’Organisation Mondiale de la Santé, de la grippe H1N1. Une maitrise absolue des événements et des mesures à prendre dans un contexte de mondialisation des problèmes sanitaires. Elle a déclaré que le risque d’exposition de la population aux particules transportées par le nuage en provenance du volcan islandais « est faible ». Ouf ! On n’a plus besoin de dramatiser puisqu’il n’y a pas d’élections immédiates en vue. Remarquez que les millions de masques inutilisés qui sont stockés dans les remises des hôpitaux, des mairies, et des administrations sont opérationnels. « D’après les spécialistes, la concentration en particules fines qu’il y a dans ce nuage n’est que peu dangereuse, il y a une très faible probabilité que ces particules touchent le sol, et le risque d’exposition de la population est jugé faible », a affirmé la ministre, dont on sait qu’elle est entourée d’éminents spécialistes. C’était vendredi. Elle pouvait même ajouter, afin de clore un débat éventuel, le message classique qui a été ressassé durant des mois en 2009. Si nous voyions qu’il y a un danger pour la population, nous donnerions les consignes sanitaires que nous connaissons bien, destinées aux personnes fragiles (…) les enjoignant de rester effectivement chez elles, d’éviter tout exercice physique, de limiter les déplacements, et bien entendu d’observer le traitement médical en cours », a précisé Roselyne Bachelot. Elle a cité en particulier les nourrissons, les jeunes enfants, les personnes âgées ou porteuses d’affections cardiovasculaires ou respiratoires, précisant que « pour l’instant, il n’y a pas lieu, dans l’état actuel de l’alerte, de préconiser cela ». Le discours est rôdé. Pour celles et ceux qui auraient perdu la mémoire (c’est le mal de ce siècle), je vais rappeler des déclarations d’une autre époque. Les voici résumées dans l’ordre chronologique :
Samedi 26 avril 1986 : explosion du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine)  
Mardi 29 avril 1986 : le nuage radioactif de Tchernobyl arrive en France, (j’espère que cette quasi coïncidence de date ne va pas échapper aux spécialistes)
Mercredi 30 avril 1986 : le Professeur Pellerin, toujours à la tête du SCPRI (30 ans plus tard !), prétend qu’ « aucune élévation significative de la radioactivité n’a été constatée »  
Jeudi 1er mai 1986 : pratiquement toute la France est touchée par le nuage radioactif. Toutes les installations nucléaires détectent une importante radioactivité et en informent le SCPRI.  
Vendredi 2 mai 1986 : le Pr Pellerin, directeur du SCPRI, diffuse à de nombreux destinataires un communiqué qui affirme que « les prises préventives d’iode ne sont ni justifiées, ni opportunes » et qu’ « Il faudrait imaginer des élévations dix mille ou cent mille fois plus importantes pour que commencent à se poser des problèmes significatifs d’hygiène publique ».  
Vendredi 2 mai 1986 : différentes mesures, en particulier concernant l’alimentation, sont prises dans de nombreux pays européens (Pologne, Danemark, Norvège, Finlande, Suède, Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Italie, Grèce etc.). L’Italie met aussi en place un contrôle de contamination à ses frontières, dans le but évident de refouler les produits contaminés venant de France où aucune mesure n’a été décidée.  
Dimanche 4 mai 1986 : la France saisit la Commission européenne, estimant que « les mesures italiennes constituent des entraves non justifiées aux échanges ».  
Lundi 5 mai 1986 : alors que la Commission européenne envisage des mesures sanitaires, la France exige un vote « à l’unanimité » et empêche toute décision contraignante. La population n’est bien sûr pas informée de ces tractations en coulisse.  
Mardi 6 mai 1986 : le ministère français de l’Agriculture diffuse un communiqué « historique » : « Le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides, consécutives à l’accident de la centrale de Tchernobyl »  
Jeudi 8 mai 1986 : note confidentielle du ministère des affaires étrangères pour Matignon, expliquant que la France a « obtenu un adoucissement des mesures de contrôle » envisagées par Bruxelles et « surtout que les contrôles de radiation soient faits dans les pays exportateurs et non dans les pays importateurs »  
Samedi 10 mai 1986 : au Journal télévisé de TF1, le Pr Pellerin finit par avouer que les mesures de radioactivité étaient anormales dès le 30 avril. Mais il continue de prétendre qu’aucune décision particulière n’était nécessaire.  
Jeudi 15 mai 1986 : fondation de la Criirad (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) par des citoyens qui dénoncent, à juste titre, l’absence de contrôles indépendants.  
Vendredi 16 mai 1986 : réunion de crise au ministère de l’Intérieur. La présence de plus de 10 000 becquerels par litre dans du lait de brebis en Corse n’entraîne aucune décision du gouvernement, alors que la réglementation européenne préconisait de retirer de la consommation tout produit alimentaire contenant plus de 500 bq/l. Un document est annoté à la main : « Nous avons des chiffres qui ne peuvent être diffusés ». Ce document sera saisi par la justice lors d’une perquisition en 2001.  
Vendredi 16 mai 1986 : le ministère de la santé diffuse un invraisemblable communiqué : « La santé publique n’est aucunement menacée par les conséquences de l’accident de Tchernobyl. Les activités courantes peuvent donc être poursuivies sans précautions particulières, notamment l’alimentation et les activités de plein air. » On connaît la suite des décisions gouvernementales… prises strictement pour des considérations économiques (est-ce véritablement différent pour la grippe H1N1 ou pour le nuage de cendres ?)
Un quart environ des cendres rejetées par un volcan en éruption en Islande contient pourtant des particules très fines qui les rendent « plus dangereuses » parce qu’elles pénètrent plus avant dans les poumons, a estimé l’Organisation mondiale de la Santé. « Les particules dont la taille est de moins de 10 microns sont plus dangereuses car elles peuvent pénétrer plus profondément dans les poumons », a expliqué la directrice du département de la santé publique et de l’environnement de l’OMS, Maria Neira, celle qui a diffusé des messages subliminaux sur la grippe.
La seule certitude que l’on possède, c’est que, désormais, la mondialisation des échanges montre ses limites. Elle s’effondre par pans entiers, dès que la nature reprend ses droits. En six mois (Haïti, le Chili -passé sous silence-, Xynthia, la Chine ces derniers jours, le volcan islandais…) il y a matière à douter des communiqués officiels en tous genres, car les plus sérieux, les plus fiables, ne sont pas toujours ceux qui paraissent dans la presse. Allez, consolez-vous, le gouvernement a aidé « ses » pauvres banques mal en point, « ses » constructeurs automobiles pollueurs, qui ont muselé toutes les avancées technologiques néfastes à leur business pétrolier, les laboratoires pharmaceutiques : il empruntera encore quelques millions pour sauver les compagnies aériennes.

Cet article a 2 commentaires

  1. Catherine

    OK à 100% pour le principe de précaution, ayant moi-même eu un cancer de la thyroïde –lié ou non- . Fini à présent, et je me porte au mieux. Il m’en reste une révolte viscérale vis-à-vis de ceux qui nous ont alors menti quant au nuage de Tchernobyl. Nous ne l’avons su qu « après »… lorsque les dégâts ont été constatés, en Ukraine et plus loin. Les nuages traverseraient ils donc les frontières géographiques sans autorisation ? Rappelons nous aussi de Bhopal, de Seveso, de Minnamata : de simples faits divers ?

  2. Gilbert SOULET

    Bonjour,
    Où une grosse trouille à raisonner par …l’Education.
    Amitié,
    Gilbert de Pertuis en luberon

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