Citoyens satisfaits, sujets absents

Depuis maintenant plus d’une décennie, j’ai lancé la pratique politique des rencontres citoyennes au plan communal. Dans tous les mandats que j’ai exercés, j’ai toujours préféré le dialogue direct, l’échange personnel avec les citoyennes et les citoyens qui acceptaient de le pratiquer, à toutes les plaquettes ou magazines sur papier glacé. Un choix qui, parfois, sape le moral, car les présences à ce type de réunions n’atteignent jamais les sommets, et débouchent sur un silence plus inquiétant qu’une diffusion massive d’écrits dans la société. Certes, le blog ajoute une touche supplémentaire à cette volonté d’entrer dans une dimension de « responsabilité assumée » des élus vis-à-vis de leurs mandants, mais rien ne remplacera le face à face, le débat, les échanges les yeux dans les yeux. D’abord, il atténue grandement les effets d’estrade et les mentalités du théâtre politique. Ensuite, il ne soumet pas la transmission de ses convictions ou de ses informations à la férule de médias réducteurs, approximatifs et forcément dédaigneux vis-à-vis de tout ce qui relève de la pédagogie citoyenne. Enfin et surtout, ces « réunions » permettent à celui qui rend compte de son action de se faire une idée précise de la perception qu’a l’assistance de son action au quotidien. Il reste le plus dur : persuader les femmes et les hommes repliés sur leurs certitudes, recroquevillés sur leur canapé, anesthésiés par des poncifs sur la politique, de l’utilité de ce dialogue direct, dans une démocratie ne reposant pas sur l’image !
Hier, avec Martine Faure, députée de la Gironde, nous sommes allés à la rencontre des habitants du canton de Sauveterre de Guyenne, sans aucune exclusive. Tout le monde était le bienvenu, et nous avions eu soin d’inviter largement à travers la presse, par tous les moyens mis à notre disposition, les élus locaux, en supposant qu’ils seraient, eux au moins, intéressés par un compte-rendu de mandat effectué par la Députée et son suppléant. Comme à l’habitude, le bilan serait simplement le recensement de la présence d’amis, de proches et de personnes ne se contentant pas des gesticulations médiatico-politiciennes quotidiennes ou d’un discours ressemblant à celui que l’on psalmodie en faveur du Saint des Saints, d’un Dieu infaillible, installé dans un Palais sanctuarisé. C’est la loi du genre, même si, pour reprendre un mot célèbre d’un inspecteur général de l’éducation nationale, les efforts accomplis ont éveillé une seule conscience… les deux heures de temps consacrées à une valeur démocratique n’auront pas été inutiles. Elles permettent de penser qu’au moins, militants ou non militants, auront les arguments nécessaires pour résister au vent de sable idéologique de l’opinion dominante. Le problème, c’est que, pour enrichir le débat, il faut… qu’il y ait débat, et que les gens en désaccord assument leurs positions publiquement.
Dans les castelets pour marionnettes, il est facile d’affirmer, sans témoin du terrain, que l’action d’un ou d’une élu (e) est inefficace. Il est aisé, en bonne compagnie, d’arranger les faits à sa sauce, que l’on veut piquante. Il est assez facile de prêcher face à des muets ou des affidés. Beaucoup plus dur de démontrer, de s’appuyer sur des preuves, de présenter une argumentation globale, de ne pas tenir un double langage salvateur selon les circonstances. Je demeure convaincu que le véritable enjeu politique demeure l’application du principe défini par Alfred Sauvy : « Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets ». Il est vrai que tout concourt, dans l’époque actuelle, à mettre en place ce second volet d’un processus de destruction de la démocratie, de moins en moins participative. Le débat direct, proche, contradictoire, dont me parlait mon grand-père Abel, « rouge » des années 35, acteur musclé des réunions décentralisées sous les préaux des écoles, a été confié à une douzaine d’actrices et d’acteurs politiques, égocentriques, certains de leur avenir, qui affirment, sans autre mandat que celui qu’ils se donnent à eux-mêmes pour développer leur…carrière.
Dans les zones rurales, les élus entretiennent à leur avantage cette supercherie : tout ce qui les dessert est politique et surtout dicté par des ambitions attribuables à leur « ennemi », mais étrangères à leur pose, devant leur miroir, en se rasant !
Hier soir les personnes présentes, même déjà bien informées, ont pris conscience d’un contexte global, et pas entendu seulement parler d’un embryon de cette politique qui vise à installer une société reposant sur l’intérêt pour le plus fort, et le demain pour le plus faible. C’est cette dimension qui démontre que ce qui apparaît comme une débauche de réformes, inutiles, absurdes, inapplicables ou désastreuses pour la stabilité socio-économique du pays, qu’il faut inlassablement démontrer. Il devient urgent de rappeler que derrière des décrets techniques, des lois apparemment modérées ou amendées, se déroule inexorablement le tapis noir de la perte des valeurs républicaines. A force de ne pas voir plus loin que le bout de son nez, on finit, par manque de perspectives, par terminer sa vie dans le précipice que l’on a vu venir trop tard !
A Coirac, coquet village de l’Entre Deux Mers, face à une cinquantaine de personnes, la rencontre fut citoyenne, car marquée par la volonté réciproque d’apprendre. Il n’y a aucun effort vain dans ce domaine, puisque c’est à partir du moment où, comme pour le vélo, on arrête d’avancer sur la route du savoir que l’on chute lourdement. Dommage que certains en aient eu plein le dos, car il aurait été intéressant de vérifier si leurs discours étaient les mêmes quand il n’y pas l’écho médiatique pour démultiplier leur facilité… mais il est vrai que les destins les plus nobles se construisent dans l’adversité, et pas nécessairement dans la facilité. En tous cas, avec Martine Faure? nous avons eu le plaisir de vérifier, à quelques heures de la commémoration de la chute des idéaux nazis, que rien ne serait pire que le renoncement !

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