Le poids différent des injures

Dans l’histoire de la République, le réflexe est toujours le même : attaquer celles et ceux qui osent dévoiler la vérité, faire acte d’indépendance caractérisée, ou agir en leur âme et conscience. Des milliers de fois, le courage a consisté à jeter en pâture aux chiens du populisme galopant les femmes et les hommes qui tentent d’approcher de la vérité. La recette est toujours la même. Prendre une grosse dose de culot pour nier, même les évidences, ajouter une part d’affectif en se victimisant au maximum, inclure une grosse pointe d’agressivité et touiller le tout en invitant le maximum de copains à faire prendre la mayonnaise. Les mots n’ont pas changé : « calomnie », « complot », « diffamation », « plainte », « justice »… et ils sont en général réservé à une élite qui peut se permettre d’accéder aux médias. Le pauvre pékin moyen lui, doit subir, mais n’a aucune possibilité de mettre en place une stratégie de diversion…
Bien évidemment, plus le bombardement de répliques est volumineux, outrancier, répétitif, et plus il peut couvrir la faible voix de ceux qui clament avoir simplement fait des constats, avant de les diffuser.Depuis quelques semaines, la France montre les limites du système présidentiel qui, dans le fond, rend le gouvernement totalement inattaquable. Durant des mois, les Françaises et les Français peuvent continuer à douter, à râler, à gesticuler, à manifester, ils n’ont aucune prise sur un pouvoir accroché comme une tique au corps de la République. Plus le temps passe, et plus il sera impossible de décrocher ce clan qui tente de s’approprier le bien commun et les valeurs essentielles qui ont fait l’identité française.
Excédés par cette pression médiatique pourtant réduite puisqu’elle vient essentiellement de supports marginaux et encore modérément relayée par ceux qui comptent, les caïds disjonctent. Ils s’évertuent de lancer toute sorte d’opérations de diversion. Tous les coups sont permis, afin de mettre les dossiers dans les mains d’une justice réputée, si l’on en croit Brice d’Auvergne, laxiste. Pas gêné, le ministre de l’Intérieur, condamné le 4 juin pour injure raciale – présumé innocent en attendant l’appel – a critiqué la justice trop laxiste à son goût, qui casse «le travail des forces de sécurité»: «La chaîne s’interrompt souvent après l’interpellation. Encore faut-il que les délinquants arrêtés soient condamnés et punis et purgent leur peine.»
Il a cité l’arrestation extraordinaire dans le contexte actuel , le 27 avril, d’un… grossiste clandestin de nourriture asiatique (sic) douteuse, à Bagnolet, contre lequel «le parquet n’a pas jugé bon d’exercer des poursuites judiciaires». quel scandale quand on compare à la cuisine électorale de l’UMP. Ainsi qu’un mineur, coincé à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne) pour 15 vols par effraction et 7 de voitures, «déféré et laissé libre. Il ne s’agit en aucun cas pour moi de stigmatiser l’institution judiciaire», a ajouté le ministre, mais «je ne peux pas non plus ne pas m’interroger: dans tous ces cas, à quoi a servi le travail des forces de sécurité ? A quoi sert la détention provisoire ?» On comprend mieux pourquoi Eric Woerth ne craint pas grand chose de l’ouverture d’une enquête publique. Au gouvernement, le Ministre de l’intérieur reste, malgré une condamnation, certes restant à confirmer, mais belle et bien réelle. Alors, comme l’injure marche bien, ses collègues viennent de franchir un degré supplémentaire, en sachant qu’aucun juge ne les fera passer, comme le gars des banlieues, en comparution immédiate… pour avoir insulté un journaliste.
Sur RTL, le secrétaire général de l’UMP Xavier Bertrand a fustigé « un site qui utilise des méthodes fascistes » à partir d’écoutes qui sont, selon lui, « totalement illégales ».« Ce fameux site, là! qui me rappelle une certaine presse des années 30 », s’est offusqué le motoditacte, ci-devant ministre de l’industrie, Christian Estrosi, au micro de France Info. Nadine Morano, secrétaire d’État à la famille, a elle aussi évoqué en finesse, en sortant d’une réunion à Matignon « des méthodes des années 30 » avec « des sites internet qui utilisent des méthodes fascistes (…) Un jour, cela peut vous arriver d’avoir votre honneur jeté aux chiens », a-t-elle dit à la presse, dénonçant « une espèce de collusion médiatico-politico-trotskyste qui essaie de jeter l’honneur d’Eric Woerth » en pâture. N’en jetez plus, la cour du déshonneur est pleine. C’est une avalanche d’injures en tous genres et avec des spécialistes du langage châtié, intelligent et mesuré. C’est aussi, de toute évidence, une consigne donnée par les spécialistes en communication de l’Élysée, assiégés par les révélations… au minimum embarrassantes. Mediapart annonce sa décision de porter plainte pour diffamation contre le secrétaire général de l’UMP Xavier Bertrand qui a qualifié ses investigations sur l’affaire Bettencourt de « méthodes fascistes. »
Dans un communiqué, les avocats du site d’information, Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, ont estimé que les propos du dirigeant du parti majoritaire, qui entendait défendre le ministre du Travail Eric Woerth contre les articles de Mediapart, étaient d’une « exceptionnelle gravité ». Ils précisaient que leur plainte serait déposée devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris. Les avocats rappelaient que la justice avait donné raison à Mediapart, en autorisant la poursuite de la diffusion d’enregistrements contestés à l’origine de l’affaire. Elle avait en effet rejeté le 1er juillet la demande de l’héritière de l’Oréal, Liliane Bettencourt, et de son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, qui demandaient l’interruption de leur diffusion.
Les avocats pourront faire aisément un parallèle. Qu’est-ce qui est le plus grave dans notre société sarkoziste : traiter un média et ses journalistes de « fascistes » parce qu’ils font leur boulot, ou hurler au Chef de l’État français « vas te faire e……, c……, ici t’es chez moi! » lors d’une visite en catamini et de nuit dans une banlieue. Dans un cas, il faudra attendre des mois pour qu’un juge relève un outrage, alors que dans l’autre, après avoir été copieusement secoué, comme le caméraman de France 3, le même soir, le jeune a été illico condamné par un tribunal, ravi de régler son compte à une « racaille » n’ayant pas été « karchérisée » et auquel on n’a même pas lancé « casse-toi pauv’con! ». Et vous voulez me dire où se situe le « fascisme » qu’a décelé Xavier Bertrand ? Voulez-vous m’expliquer si être ministre et condamné pour injure raciste ce n’est pas avoir un comportement… rappellant d’autres périodes ? D’ailleurs, immédiatement, Nadine Morano et le moditacte niçois ont hurlé au « fascisme rampant » et aux méthodes des années trente ». Vous n’avez pas entendu ?

Cette publication a un commentaire

  1. Annie PIETRI

    Comment ne pas être révolté quand on voit et qu’on entend, à longueur de journée, à la télé et sur les ondes, le « couple » (ex, à ce qu’on dit à Nice) Estrosi – Morano se répandre pour fustiger le « fascisme »….Qu’est-ce qu’il en sait, Estrosi, des « methodes » des années 30….il n’était pas né, et ce n’est pas ce qu’il à appris durant sa scolarité qui les lui a fait découvrir ! Lui, ancien d' »Occident », ancien proche collaborateur de Jacques Médecin, lui, ministre de l’industrie, en dépit d’un passé commercial plus que douteux en diverses circonstances, lui, maire de la ville la plus « fliquée » de France, lui, qui semble avoir oublié qu’il a deux appartements de fonction à Paris, qui ne semble pas se souvenir d’un certain voyage en avion, très onéreux, qu’il s’est fait payer par l’Etat pour ne pas « louper » une réception organisée par son chef bien aimé, à l’Elysée, lui qui, député du Haut Pays Niçois et Président du conseil général, a durant des années fait chaque week end, ses visites dans sa circonscription, en profitant – gratuitement- bien sûr, d’un hélicoptère ne lui appartenant pas…Les habitants de la vallée de la Tinée s’en souviennent encore très bien, eux qui levaient les yeux vers le ciel en disant « Tiens, voilà le député qui se promène…. ». Alors, que des gens comme cela, avec leurs gueules de faux culs (pardon, mais l’indignation me rend grossière…) viennent donner des leçons d’éthique à des journalistes qui font – très bien – leur métier, et défendre tous les pourris qui nous gouvernent, c’est un peu fort ! Qu’ils traitent tous ceux qui ne pensent pas comme eux de fascistes, c’est encore plus fort…mais, compte tenu de toutes les casseroles qu’ils traînent, ils doivent craindre que d’autres révélations ne les atteignent, alors, ils frappent avant que cela n’arrive, on ne sait jamais !
    PS : A propos, qu’est ce qu’on a bien pu promettre à l’ex-secrétaire de Mme Bettencourt, ou de quoi a-t-on bien pu la menacer, pour qu’elle se rétracte « partiellement » ? Tout cela sent très fort les « méthodes » du S.A.C…

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