14 juillet : plus que jamais des bastilles à prendre !

Le défilé de l’armée professionnelle française permettra au Chef de l’Etat de « complimenter » les militaires. C’est une tradition. Le Peuple, le jour où ses représentants les plus révoltés et les plus courageux, avaient envahi la Bastille avec des armes de fortune, va assister au spectacle des soldats foulant le macadam des Champs Elysées. Il aime cette démonstration reposant sur la discipline, l’ordre et la force, car elle lui permet de rêver à un pays puissant, ordonné et solide. En cette période de crise sociale, les défilés n’ont pas nécessairement la même signification.
En supprimant la garden party de la Fête nationale, Nicolas Sarkozy a joué le symbole contre la réalité… En effet, les 780 000 euros de cette garden-party, pince-fesse des gens importants, n’ont rien à voir avec le coût de cette manifestation militaire, qui tourne autour de la bagatelle de 4 millions d’euros. Bien entendu, on oubliera de mettre les deux montants en comparaison, car dans un cas on tente de sauver l’honneur du pouvoir en place, et dans l’autre on essaie de se rassurer sur la magnificence de cette armée, qui vit véritablement au-dessus de nos moyens. On va d’ailleurs tailler dans le budget, mais beaucoup moins que dans celui d’une éducation n’ayant plus rien de nationale. L’armée française devra économiser 3,5 milliards d’euros sur la période 2011-2013 dans le cadre de la politique de réduction des dépenses publiques, apprend-on de source proche du dossier. En effet, il faudra économiser 3,5 milliards d’euros sur la période 2011-2013 dans le cadre de la politique de réduction des dépenses publiques mais c’est, dans le fond, nettement inférieur aux économies que l’on pourrait réaliser sur les 95 milliards (hors pensions) prévus pour cette période dans la Loi de programmation militaire (LPM).
Le budget s’élèverait probablement à 30,1 milliards pour 2011 (comme en 2010), 30,5 milliards pour 2012 et 31 milliards pour 2013. Le ministère de la Défense espère ramener l’effort consenti par les armées à 1,5 milliard, grâce à des recettes exceptionnelles évaluées à deux milliards, provenant de la vente d’actifs immobiliers (casernes) et de fréquences de télécommunication. Il faudrait d’ailleurs accentuer cette démilitarisation du pays, en cédant au monde civil des bâtiments, amortis depuis belle lurette, et qui parfois pourraient être d’une grande utilité pour des usages publics. Les économies à réaliser seront faites sans toucher aux effectifs, ni au calendrier de production et de livraison des grands contrats comme l’achat d’avions Rafale, de frégates multi-missions Fremm, de Véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI), de sous-marins Barracuda et de systèmes Felin (Fantassin à équipements et liaisons intégrés). L’armée ne perdra que sur son fonctionnement (réduction de 10 %), mais pas sur ses investissements, et surtout ne verra pas un « fonctionnaire sur deux partant à la retraite non remplacé ». Sur les Champs Elysées, on ne présentera que des armes en bon état, des soldats d’élite pour épater les citoyennes et les citoyens. Il y a 221 ans, les soldats professionnels étaient dans la camp d’en face, comme il le furent en 1791 lors de la commune, comme ils le furent face aux mineurs, aux viticulteurs du Midi, aux ouvriers, aux immigrés… et aux peuples colonisés.Le 14 juillet a perdu toute sa signification. La majorité actuelle tente de persuader l’opinion dominante qu’en supprimant les petits fours, les pâtisseries et tout le reste, elle va restituer sa dignité à la République, après la révolte des artisans et commerçants parisiens. Ce jour fut celui d’une révolte désordonnée, improvisée, et non pas celui d’une mise au pas aussi parfaite soit-elle esthétiquement. Une tribune officielle de roitelets, de dictateurs, d’usurpateurs et même de monarques républicains se régalera en voyant passer le symbole de leur pouvoir. En aucune manière, ils ne supporteraient que des enfants, des jeunes, des ouvriers, des paysans, des fonctionnaires, des cadres, des chômeurs, des retraités actuels ou futurs constituent des vagues différentes, mais successives, pour redonner au peuple sa journée. Le 14 juillet a cessé d’être, depuis maintenant des décennies, le rendez-vous de la solidarité, de la fraternité dans l’action collective.
Depuis 210 ans, la journée fériée rappelle que notre identité nationale a ses racines dans ces événements dont, dans le fond, on ne connaît pas le déroulement exact.
Cet été de 1789, une grande agitation règne à Paris. Face au mécontentement populaire, le roi a réuni les États généraux, une assemblée des représentants de la noblesse, du clergé et du tiers-état. Ces derniers demandent une réforme profonde des institutions et, le 9 juillet, se proclament Assemblée nationale constituante. L’initiative inquiète le roi, qui fait venir en secret des régiments suisses et allemands à proximité de Versailles. La rumeur court bientôt que les troupes royales se préparent à entrer dans Paris pour arrêter les députés. Le 12 juillet, un orateur harangue la foule qu’il appelle à réagir : c’est Camille Desmoulins, monté sur un tonneau, qui annonce une « Saint Barthélemy des patriotes ».
Au matin du 14 juillet, des Parisiens en colère vont chercher des armes aux Invalides, puis se dirigent vers la vieille forteresse royale de la Bastille, en quête de poudre. Après une journée de fusillade sanglante, et grâce au ralliement de… gardes nationaux, les Parisiens s’en emparent et entament sa démolition. Au final, ils ne libèrent que quelques prisonniers et malfrats sans envergure. Mais cette vieille prison médiévale incarne l’arbitraire de l’Ancien régime, et ils ont surtout affirmé une volonté solidaire de ne pas renoncer à exister, et de ne pas sombrer dans l’indifférence. Ce n’est pas cette France là qui défilera devant les autorités, mais une vision très légaliste. Ah! Si un Camille Desmoulins pouvait se lever ce 14 juillet au matin pour dénoncer une Saint Barthélémy sociale, une Saint Barthélémy citoyenne, une saint Barthélémy environnementale, une Saint Barthélémy des valeurs… Alors demain, si vous allez devant un Monument aux morts, ou si vous préférez « voir et complimenter l’armée française », pensez aussi à celles et ceux qui ont payé de leur vie leur opposition à la soumission de la justice, au pouvoir absolu, à la domination du pays par un clan et pour un clan, à l’inégalité sous toutes ses formes… et préparez vous : il y encore de plus en plus de bastilles à prendre !

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