Le temps des héritiers est venu

Le plus grand danger que court actuellement la République a deux causes essentielles qui ne cessent de prospérer dans l’indifférence quasi générale : le désintérêt manifeste des consommateurs, endoctrinés par la loi du marché, pour le pouvoir du suffrage universel, et la « vedettarisation » désolante de la fonction politique. La démocratie court à sa perte, sans que quiconque sonne le tocsin, puisque le pouvoir médiatique est confisqué par une cinquantaine d’élus ayant la fortune d’être inamovibles. Un ami, qui ne partage pas mes convictions, et qui fut ministre, m’expliquait qu’il préparait un bouquin sur les « 100 familles, bonne soixantaine de députés imbattables qui, quel que soit le contexte, sont certains de demeurer en place à chaque scrutin quoi qu’il advienne. « Ce sont eux qui font et défont les lois. Ils sont à l’ancienneté dans les commissions stratégiques et comme ils maîtrisent parfaitement le système parlementaire, il peuvent s’opposer ou saboter, promouvoir ou accélérer n’importe quel projet. J’en ai fait les frais » avouait-il. Il sait donc de quoi il parle, et il raconte de manière objective comment on se fait saborder par ces élus à l’emploi protégé. La « vedettarisation » est devenue tellement pesante que c’est un féroce combat, avec approximations constantes, d’un bord et de l’autre, pour avoir le droit de s’exprimer devant un micro ou une caméra. Les parlementaires sincères vous diront que le droit de s’exprimer n’existe quasiment pas dans les groupes où celles et ceux qui veulent paraître confisquent toutes les opportunités d’intervention médiatique. Aucun communiqué de presse n’émanant pas d’une sommité installée ne peut franchir la barrière des rédactions.
Il faut, par exemple, constater que les micros partis permettent souvent, de l’aveu même de ceux qui les ont créés des opérations de « communication » qui ne sont en fait que des actions structurées de valorisation d’une personnalité « achetant » leur notoriété. Inutile de revenir sur le déroulé de la carrière de Michel Noir ou de Alain Carignon, dont on connait les effets. Les financements deviennent alors l’essentiel des préoccupations, après celle de trouver le bon lieu de parachutage. Les grandes manœuvres ont donc débuté sur tout le territoire. Certaines sont beaucoup plus visibles que d’autres, mais elles existent partout. Il faut d’abord se placer médiatiquement par quelques confidences ou accointances qui permettent de devenir une source fiable pour celles et ceux qui, un jour, vous aideront dans votre stratégie. Il arrive que des attaques soient compensées par des contre-attaques, et toute la subtilité consiste à faire savoir, sans se faire voir, et sans se faire avoir. Les citoyennes et les citoyens qui voteront un jour ne connaissent pas cette part invisible de l’iceberg.Les militants, de quelque bord qu’ils soient, se passionnent pour ce qui surnage mais ne savent pas (et c’est heureux pour eux) que tout se construit ailleurs…Prenons un exemple concret, celui de Jean Sarkozy dont la grande expérience de l’engagement public lui a valu une promotion fulgurante. Celui qui est déjà, à 23 ans, conseiller général, président du groupe UMP-Nouveau Centre des Hauts-de-Seine et administrateur de l’Epad, a été stoppé dans sa course effrénée à un fauteuil sûr, par son renoncement contraint, en octobre dernier, à la présidence de l’Etablissement public d’aménagement de la Défense. La tentative de « papa » a porté un tort certain à l’image du fiston, puisque le prétendant au trône des Hauts de Seine n’était entré en politique qu’un an et demi plus tôt, lors des municipales à Neuilly. Nul ne peut prétendre que c’est uniquement ses talents, probablement innés, de serviteur du peuple qui lui ont permis d’effectuer ce parcours.
Toutes les histoires de ce genre sont parsemées de cadavres dans les placards. On tire rarement sans un silencieux, car les assassinats entre amis doivent être le plus discrets possible. Ainsi, le fils de qui vous savez, a tiré à vue sur David Martinon, candidat UMP qui pouvait lui piquer la place dans 6 ans. Il a été évacué sans ménagement, et depuis on l’a perdu de vue. Il faut ensuite, dans un second temps, dégager la voie en récompensant largement les gens qui sont en poste. On opère de deux manières. Soit leur rendre un solide service quand ils sont, de préférence, dans une situation délicate, soit leur faire une proposition de sinécure encore plus sûre et rémunératrice que le poste qu’ils doivent abandonner. Enfin il est indispensable de déclarer ses intentions le plus tôt possible, de manière à réfreiner des vocations intempestives. « Dans les années à venir, j’aurai l’occasion de me présenter devant les électeurs. J’ai la passion de l’engagement public en moi, c’est une vocation qui n’a pas été altérée, parce qu’elle est inaltérable. » avait lancé de manière prémonitoire Jean Sarkozy. Comme il est soigneusement préparé, il respecte le plan de marche. L’étudiant qui attend fiévreusement le résultat de ses examens n’a pas l’âme d’un conquérant, mais plus facilement celle d’un héritier. On a donc mis en place une opération « Jean député », en soutenant la candidature de l’inénarrable Santini à la tête de l’une des plus grosses structures de l’Ile de France : la société du grand Paris. Cet établissement public, à caractère industriel et commercial, a pour objectif d’assurer la mise en oeuvre des nouvelles infrastructures de transports prévues par l’État. La société est dotée d’un conseil de surveillance dans lequel l’État a nommé des membres par un décret du… 8 juillet dernier. Parmi eux André Santini qui bénéficie, en plus, d’une dérogation, car à 69 ans passés, il n’a plus le droit de siéger dans un tel organisme. Même si par le plus grand des hasards, un jour ou l’autre il était frappé d’inéligibilité, il serait à l’abri pour encore quatre ans.
L’idéal serait maintenant que le héros des Grandes gueules sur RTL renonce rapidement à son mandat de député, afin que le fils prodige du père prodigue puisse piquer la place au nez et à la barbe de Frédéric Lefebvre promu… ministre en octobre ! Il est vrai que quand l’héritage arrive, les prioritaires sont ceux qui se sont occupés du « mourant ». Mais il faudra attendre 2012 pour que fiston ait un territoire à sa mesure, et qu’il fasse son entrée au Palais Bourbon pour de longues années. Une sinécure vaut bien deux ans de patience, en améliorant une image écornée par l’empressement de papa.

Cet article a 2 commentaires

  1. Yves

    fort bel article que celui là. il décrit des situations que l’on retrouve en maints endroits et dans toutes les chapelles politiques.
    c’est d’ailleurs en vertu du bal des héritiers que bien des gens de qualités sont brisés quand ils ne se résolvent pas à être dans le ton ou le rôle ou le non-rôle qu’on leur destine!
    mais probablement qu’en 2010, 2011 et 2012 le temps des héritiers sera visible de neuilly jusque dans le sud-ouest ?…

  2. PIETRI Annie

    Ils sont vraiment précoces, ces Sarkozy…un brin paranos, un peu dérangés, ambitieux, un peu « justes », mais réellement précoces : le père rêvait de la Présidence de la République en se rasant le matin, le fils a révé du pouvoir en prenant son biberon dans son berceau….
    Au fait, est-il l’animateur d’un micro-parti, et lui arrive-t-il d’être l’heureux bénéficiaire d’une enveloppe Kraft bien remplie???

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