L'état de dépendance absolue

L’inéluctable vieillissement de la population a provoqué un débat sur les retraites… et va sans aucun doute alimenter les discussions à la rentrée. C’est essentiel, et il faudra une forte mobilisation sociale pour que les salariés ne soient pas spoliés par une réforme injuste, ne tenant aucun compte de la réalité du travail actuel dans notre pays. Encore une fois, les ratios, les statistiques, le profit financier, restent supérieurs à toute dimension humaine. Le fric et l’économique restent les deux seuls repères de la gestion sociale. Maintes fois, j’ai eu l’occasion d’écrire que la problématique des retraites n’était pas la plus importante, dans une période où la dépendance en fin de vie apparait comme étant un phénomène beaucoup plus préoccupant, car non décalé dans le temps. Le gouvernement actuel fait le mort sur ce sujet, car la solution va toucher durement son électorat actuel et non pas celui de 2050.
La Mutualité française, qui rassemble 700 mutuelles de santé protégeant 38 millions de personnes, propose « cinq principes pour une réforme urgente du financement de la couverture contre le risque de perte d’autonomie ». Sans rejeter le rapport Rosso-Debord – qui donne une large place à la couverture assurantielle -, la Mutualité française « s’inquiète de la proposition parlementaire visant à réduire le champ de l’intervention publique aux seules personnes les plus dépendantes » (allusion à la proposition consistant à supprimer l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) pour les seules personnes classées en GIR 4). Elle propose donc que la réforme respecte cinq principes qui ont fort peu de chances d’être pris en compte car… ils impliquent une reprise en mains par l’État d’une dépense qu’il est incapable d’assumer. Il a confié aux départements cette tâche, car ses implications financières sont insurmontables dans un contexte délirant pour les finances publiques.
La mutualité propose un premier principe républicain, totalement absent dans le fonctionnement actuel : celui d’une couverture universelle (égalité d’accès aux droits dans les mêmes conditions sur tout le territoire), avec un engagement fort de l’État pour le financement de cette mesure de solidarité. Le second consiste à encadrer strictement l’intervention des opérateurs privés, dont les tarifs sont prohibitifs car il s’agit pour eux de réaliser des profits sur la… dépendance physique des plus âgés. En ce qui me concerne je suis pour un service public national de la dépendance. Mais bien évidemment, la Mutualité convient pour sa part que la privatisation (pour moi, la marchanidsation) n’est pas évitable.
Le troisième volet de la FNMF réside dans la nécessité de compléter les propositions de rentes viagères par des offres de services et des actions de prévention. Le quatrième concerne l’égalité de traitement entre les bénéficiaires de contrats dépendance annuels et ceux de contrats dépendance viagers. Enfin, l’Etat devra déterminer des mécanismes de provisionnement, permettant de gérer l’incertitude dans l’évolution du risque de perte d’autonomie. C’est différent d’une assurance strictement privée, avec mise en œuvre par des sous-traitants dépendant le plus souvent des compagnies proposant le contrat. En fait, ce n’est que le principe des vases communicants.
Le même jour, l’association des départements de France (ADF) qui est concernée au premier chef par toute réforme, est beaucoup plus critique. Évoquant les préconisations connues, l’ADF estime que « les propositions contenues dans ce rapport ne sont pas complètement à la hauteur ni de l’enjeu ni des engagements antérieurs du gouvernement ». L’association dénonce notamment le « refus de financer la dépendance par le biais de la solidarité nationale » et la proposition d' »un dispositif basé essentiellement sur l’assurance privée ». Elle en profite pour rappeler sa demande d’une augmentation de la participation de l’État au financement de l’APA. Pour l’ADF, « en dépit des promesses du président de la République, la création d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale (le ‘cinquième risque’) est abandonnée ». Les conseils généraux demandent néanmoins au gouvernement de « redire que le financement de la dépendance relève de la solidarité nationale », et de renoncer aux propositions individualisées… Ce n’est que la mise en œuvre des principes inscrits dans la Constitution républicaine. Le secteur marchand, désormais omniprésent dans le secteur de la santé, va envahir le secteur social… C’est le système américain que Bill Clinton tente par tous les moyens d’atténuer, tellement il est dévastateur, qui sera appliqué.
Comme la secrétaire d’Etat a cependant confirmé la nécessité d’un complément assurantiel à la solidarité nationale, il faut craindre le pâté d’alouette avec une alouette « Etat » et un « cheval » assurances. Il est aussi quasiment acquis que le retour du recours sur succession sera mis en place. En fait, avec des retraites faibles, une dépendance forte, il ne va pas faire bon vieillir en France dans la prochaine décennie, car c’est la génération du baby-boom qui entre dans le papi-boom.
Un rapport de l’Observatoire des Finances locales ne manque pas d’évoquer la question du financement, et de la compensation financière des transferts de compétence. Il considère que la loi du 30 juin 2004 et la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ont « permis de stabiliser et de pérenniser le financement de l’APA ». Mais le principe posé par la loi de 2004 est mis à mal par une augmentation des dépenses réelles plus rapide que celle de la part de financement de la CNSA, et par une augmentation de la dépense plus rapide que celle du nombre de bénéficiaires.
En dépit d’une approche très prudente – le rapport est rédigé en liaison avec la direction générale des collectivités locales -, l’Observatoire conclut que « la fragilité de la situation des départements, marquée par un effet de ciseau entre des dépenses sociales en forte hausse et des recettes très peu dynamiques, voire en baisse, s’accentue chaque année ». Voici un simple constat implacable, qui devrait inquiéter les vieux d’aujourd’hui et de demain, dont je suis. Mais on sait bien que nous resterons plus jeune que notre compte en banque !

Cette publication a un commentaire

  1. Pascal PILET

    Du point de vue de la technique d’assurance, il est évident que le projet ne répond pas aux enjeux. En effet la dépendance ne constitue pas, à proprement parler un risque (en ce sens qu’à la différence des accidents de la circulation ou des incendies de résidences principales, la dépendance n’est pas un phénomène aléatoire). Si nous ne mourrons pas avant, nous serons tous dépendants un jour ou l’autre. Il s’agit donc d’une charge et non d’un risque. La seule technique efficace pour prendre en charge la dépendance, de manière générale et égalitaire est la solidarité. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une nouvelle mission de Sécurité Sociale. Au delà de l’efficacité, se pose également la question de qui paye. Face à une charge génerale, il est injuste de recourir à des assurances individuelles dont la charge repose sur les ménages. Il conviendrait d’augmenter la CSG ou les cotisations sociales, assises sur la création de richesse. Et tant pis si un marché se ferme aux compagnies d’assurance.

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