Instantanés d’été (14) : les mariés de l’An 10 !

L’été, les mariages fleurissent comme les roses dans les jardins, avec une durée de vie plus ou moins longue, mais inévitablement superbes le jour de leur éclosion. Chaque samedi, Créon résonne des klaxons des cortèges qui parcourent l’Entre Deux Mers pour gagner des lieux de fêtes, tout heureux de constater que même non pluvieux un mariage peut être heureux. L’exubérance sied à merveille à ces unions modernes qui ne se soucient pas toujours des convenances, même si un retour en force des repères institutionnels est évident depuis plusieurs années. On ne se marie plus n’importe comment, pour exorciser les éventuels démons de la décontraction. Il faut en quelque sorte se rassurer en mettant tous les symboles de son côté. Avec plus de 300 cérémonies de toutes les sortes, je possède un certain recul sur les rites et leur vraie valeur, mais j’ai toujours autant de plaisir à recueillir un acquiescement au véritable défi qu’est la volonté de vouloir partager la vie à deux. Indispensables pour les femmes, ils deviennent parfois pesants pour les hommes qui les accompagnent, lesquels, dans le contexte machiste actuel, ne veulent pas apparaître comme contraints, dès le premier jour, à ce qu’ils considèrent comme des simagrées inutiles. Il est assez facile de décoder l’équilibre actuel et futur au sein du couple si l’on observe le respect ou l’irrespect pour la tradition.
D’abord, l’ordre du cortège montant vers la salle réservée à cet effet dans l’hôtel de ville de Créon fournit un indice intéressant. « C’est toujours comme ça la première fois ! » selon une chanson connue. S’il existe au minimum une volonté d’organisation, avec le marié en tête avec maman, et une entrée décalée de la future épouse avec papa, c’est révélateur d’une volonté féminine d’imposer un mode de vie très formaté. C’est aussi, souvent, la révélation d’une belle-mère omniprésente, qui souhaite répéter ce qu’elle a connu, et qui lui paraît être un label de sérieux pour l’ensemble des invités. Force est cependant de constater que ce bel ordonnancement tend à disparaître, en raison des ruptures de plus en plus nombreuses entre les parents, qui se répartissent alors de manière très aléatoire avec leurs nouveaux conjoint(e)s ou compagnons. D’ailleurs, même si ce n’est pas en conformité parfaite avec la procédure « officielle », à la lecture de l’acte, la secrétaire évite de prononcer le mot « divorcé » afin de ne pas raviver des plaies mal cicatrisées. Rares sont désormais les documents qui ne portent pas ce signe caractéristique d’une époque… quelque part dans le texte. Il est omniprésent, comme un pied de nez au mariage réputé éternel ou au moins d’or, de diamant ou de platine. Cette attention, que seules les cérémonies villageoises, beaucoup moins administratives que celles des grandes villes, peuvent afficher, entre désormais dans les habitudes créonnaises. Inutile de détruire les illusions…que portent souvent une robe blanche à la Sissi.
Le volume de la robe, sa longueur, son décolleté et plus encore l’importance des dentelles ou broderies figurent dans la grille d’analyse. La société des apparences se reflète dans ces crinolines tout droit sorties de la vitrine d’une boutique spécialisée en rêves pour jeunes femmes ayant trop lu de livres dans lesquels la princesse épouse un prince charmant… mais dans le fond, rien n’interdit de chercher à entrer dans un conte de fées, même l’espace d’un instant réputé ne jamais finir. La « blancheur » n’a plus aucun sens, quand celle qui la porte est enceinte ou demande à ses enfants de venir à ses côtés pour la rejoindre. Elle n’exonère pas des aléas de la vie antérieure, mais elle exonère d’avoir à les justifier, dans ce monde des convenances établies pour les autres et plus indulgentes pour soi. Les mariages d’été sont ceux des épaules nues et des dames rivalisant dans l’assistance de tenues « réduites ». Ils sont ceux de la beauté sans retenue, comme si, à travers les mariés, tout le monde recherchait à anticiper sur son bonheur ou à revivre le sien. Il y a parfois bien des inquiétudes dans les regards des plus proches, comme s’ils évaluaient le caractère durable de ce à quoi ils assistent. Dans le regard brillant des enfants, leur gêne à approcher des époux ou parfois leur audace à imposer leur présence dans la cérémonie, on trouve les plus belles étoiles du destin, car leur sincérité n’est jamais feinte.
Les unions dites de recomposition ont aussi leur charme, au creux de l’été, car elles sont beaucoup moins sophistiquées. Même si l’amour justifie la présence de deux êtres ayant le courage de tenter officiellement une aventure délicate, ces unions respirent très souvent l’amitié. Dans l’assistance, la famille a de drôles d’allures avec des tripotées d’enfants ayant souvent entamé le cheminement vers l’âge de raison. Ils s’interrogent sur les véritables raisons qui poussent « maman » et « papa » à les réunir dans un complexe familial très sophistiqué. Ces mariages regroupent donc des amis venus de très loin pour soutenir ceux qui ont pris leurs distances avec les repères antérieurs. En général, l’assistance clairsemée sait qu’elle échappe à la cérémonie religieuse et donc elle est beaucoup plus détendue. Ce qui était rare il y a seulement une décennie, devient très largement majoritaire cet été. L’union parfois décidée pour des raisons financières, administratives ou fiscales… se transforme inévitablement en grande fête estivale durant laquelle l’apéro constituera la véritable communion. On s’éclate dans le jardin d’une maison déjà construite, on évoque le bon vieux temps, on évite de causer des écueils et on se forge des certitudes à la énième coupe de champagne. Le jour et l’heure de la rencontre officielle sont véritablement liés à la venue des escouades de potes ou une fratrie dispersée par le boulot, ce qui fait que le samedi perd peu à peu de son aura. L’été, on se marie à tout va comme si la chaleur aidait à préserver celle supposée du foyer. Les Britanniques s’offrent encore dans des châteaux spécialisés de l’entre Deux Mers des week-ends spécialisés pour union à la française, avec surtout du vin qui coule à flots. Une frénésie matrimoniale s’empare de la société, comme s’il fallait se rassurer quand on doute de l’avenir. En fait, si l’été se met de plus en plus au blanc, c’est que le bleu du ciel est devenu éphémère.

Cette publication a un commentaire

  1. Raffin François

    Excellente analyse visuelle, Monsieur le Maire, …ce qui me permet de compléter par la description ( amicale ! )du public observant l’officier ministériel dont l’oeil vif virevolte devant le spectacle magnifique des vallées de la Gorge, digne d’un classement au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, et qui, avec des regards obliques, recherche auprés de sa secrétaire stricte et tremblotante une comparaison aussi mince soit-elle !
    Amicalement

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