Instantanés d'été (17) : César, Angélique et Cruchot, l'éternel retour

Avez-vous remarqué, en été, le paradoxe qui menace tous les vacanciers restés chez eux ? Parfois, c’est vrai, ils consacrent leurs congés à bosser beaucoup plus qu’ils ne le font chaque jour travaillé. Ampoules, lumbagos, coups de soleil vont de pair avec un chantier prévu de longue date, mais que seul le mois d’août permet de réaliser à moindre frais. Économe, l’auto-entrepreneur intello estival tente de se persuader qu’il peut être un manuel efficace, alors que souvent il s’épuise uniquement à rechercher le mode d’emploi des matériaux qu’il a achetés en soldes dans un entrepôt inconnu. L’homo bricolus se sacrifie pour le confort de sa famille, et espère secrètement passer pour un héros dès son retour au bureau. « Vous passerez voir la terrasse… Vous verrez le boulot que j’ai fait en quelques jours…! ». Le résultat mérite un apéro… Cette tradition se perd car désormais, dès que la piscine est venue, la chaise longue a suivi et donc la tentation est grande de confier, dans les milieux où l’on ne compte pas trop, ces agrandissements, ces embellissements à des ouvriers qui eux, ne sont pas en vacances, et de se contenter de les surveiller. Il faut alors savoir se sacrifier en utilisant ce canapé que l’on ne fréquente guère d’habitude.
Une bonne part des activités de la soirée, après un dîner frugal reposant sur le concept des 5 légumes, consite à céder à la tentation de la rediffusion télévisuelle. Une sorte de madeleine de Proust annuelle, destinée au plus grand nombre, est en effet offerte chaque soir au téléspectateur payant sa redevance audiovisuelle. Incontestablement, c’est l’un des musts du service qui fut public de télévision que ces moments qui ramènent pour la énième fois sur le petit écran, des films ayant comme seul intérêt celui de nous éviter de deviner la fin ! La « rediffusion » appartient aux incontournables de l’été, surtout qu’elle permet de partir avec le premier épisode d’une série et de revenir avec le dernier. Bien évidemment, il arrive qu’un différend familial éclate autour de l’année de sortie de cette merveille du septième art, ou que l’on se chamaille sur l’âge présumé d’une actrice mais, dans l’ensemble, il y a consensus dans le salon car le spectacle proposé permet aux aînés de devancer le scénario et aux plus jeunes de découvrir un « collector ».
Un été sans « gendarmes », sans « Angélique », sans « Pagnol », c’est véritablement un été de détresse absolue, susceptible de vous pourrir vos congés. Bien entendu, il est vivement recommandé, pour les femmes, de ne pas raconter aux collègues à la rentrée, que vous avez passé des soirées enflammées sur le canapé, devant un Louis de Funés en uniforme, grimaçant sur les bords de la grande bleue, un Robert Hossein claudiquant dans un palais oriental, un Raimu ventripotent dans son tablier de cafetier, servant les quatre tiers d’un mandarin, citron-curaçao. Ce n’est pas très « sea-sex and sun » pour le café pris entre copines bronzées au self service.
Bien évidemment, la fierté masculine peut aussi en prendre un coup si, devant un parterre féminin, un avachi estival fasciné, évoquait les formes généreuses de Michèle Mercier, la naïveté mélancolique d’Orane Demazis ou les baigneuses nudistes de plages de Saint Tropez ! La « redif » a cette particularité de n’avoir été regardée par personne, mais de toujours réaliser un carton à l’audimat ! Personne n’a revu, une fois l’été fini, ces séquences mythiques de la partie de cartes, de la conduite extravagante de sœur Clotilde, de la vente sur le marché des esclaves, d’une Angélique révoltée; personne n’a ré-entendu ces répliques merveilleuses comme « tu me fends le coeur ! », « je t’aime Jeoffrey ! », « les voies du seigneur sont impénétrables, lui seul connaît la route ! » et tant d’autres qui sont entrées dans la légende. C’est tabou !
N’empêche que si vous voulez passer un bon été, il vous faudra, d’une manière ou d’une autre, retrouver ces images d’une période durant laquelle vous ne rougissiez pas de vous détendre. Il est vrai que désormais, seule la violence permet de captiver un auditoire intéressé. L’amour impossible, c’est dépassé, les contes de fées, c’est obsolète, l’épée n’a plus cours, le sacrifice s’est ringardisé et la grimace ne se contemple que dans les zoos. De Funés a rejoint Raimu, Fernand Charpin, Jean Claude Pascal, Pierre Fresnay, Orane Demazis, Jean Lefèvre, Christian Marin, quelque part dans un studio céleste. Sur l’écran noir de ces nuits d’été, ils sont les étoiles du plus formidable générique populaire, ayant réuni les générations dans la continuité devant des écrans blancs, dressés dans l’obscurité. Il ne reste parfois que des souvenirs d’été joyeux de ces rencontres répétées avec ces membres de la famille « rediffusion », et il devient impossible de s’en passer, comme ces psychotropes permettant de voir la vie autrement.
Tout devient simple si l’on entre dans le jeu de ces scénarios, oscillant en permanence entre l’espoir et la peur, la cruauté et la tendresse, la fortune et la misère, le dérisoire et le profond, l’exotisme et la proximité, la beauté et la laideur, le mensonge et la sincérité… Chaque film ouvre les portes à celles et ceux qui désirent aller se réfugier quelques instants hors du monde. Hier soir, les gendarmes étaient en balade, Angélique sortait ses griffes face à un sultan musulman intégriste, et il ne manquait que Marius, Fanny et César qui n’avaient pas été « enchaînés » ! Il reste encore un espoir, puisque l’été n’est pas fini…
Les « rediffusions » appartiennent aux rites d’une société nostalgique de ces époques où on avait le droit de ne pas vivre dans l’exceptionnel permanent, de se laisser aller à rire, à admirer ou à savourer. Nous ne saurions nous en passer, sous peine de ne pas mesurer le chemin que nous avons parcouru sur les chemins de la vie. Aimer Angélique ou le Rescator, se moquer des gendarmes ou de sœur Clotilde, refuser le mariage de Fanny, sont des sentiments que seule la jeunesse permet… et c’est justement en se retournant sur son passé que l’on a la chance de la retrouver.

Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    Et pourtant il y a au moins une remarquable émission sur la « 2 », en ces temps de disette, malheureusement en dehors du « prime time » : 22h30 01h30 le jeudi. Le magnétoscope est de rigueur pour les couche tôt de mon acabit.

    Il s’agit de la Boîte à Musique, de Jean Fraçois Zigel.
    Ce musicien remarquable et pédagogue de talent sait mettre à la portée (c’est normal pour un musicien ! ) du plus grand nombre, des oeuvres dites classiques, sans tomber dans la démagogie ou la facilité, liant le « clasique », la bonne variété, le traditionnel.
    Un plateau de musiciens aussi divers que remarquable, des invités coopérants et sans prétention, un montage de haut niveau, bref des qualités hélas trop rares sur notre télé, et qui ne survivent que quelques jeudis d’août.

    On en redemanderait plus souvent, et à des heures plus « convenables pour le profit de tous.

    Un seul défaut, ce genre d’émission aurait tendance à ouvrir l’esprit des téléspectateurs…

  2. daniel PALACIN

    Nous sommes installés, mon épouse et moi même depuis peu de temps dans un petit village du lot comptant 600 habitants, et nous avons tout de suite mesuré l’abandon très rapide de cet objet télévisuel si indispensable dans les grandes agglomérations et si peu présent dans la France profonde, ou rien que le fait d’allez porter le soir ses poubelles au container en même temps qu’une ballade digestive, des rencontres inopinées, des gens surtout qui vous disent systématiquement bonjour, c’est vraiment rassurant, aujourd’hui ou l’on pourrait croire que l’être humain dépourvut de discernement, se laisse manipuler par cette technologie envahissante de soi disant de l’information.
    Je dirais plutôt, que l’on a simplement trouver une autre manière de faire prendre du Nozinan aux français sans creuser le trou de la sécu.
    A DURAVEL, construite à bonne distance du Lot, ville chargée d’histoire, ou à l’époque de charlemagne et de Clovis et plus tard pendant les combats avec les Anglais, DURAVEL comptait 6000 âmes, et étant la seule ville ayant réussie à battre les Anglais, Le ROI décora la ville.
    Je ne parlerai pas non plus des produits du terroir qui ont changés fondamentalement notre appétit, et nos impôts locaux et fonciers ne nous empêcherons plus de partir en vacances.
    Alors économisez ce qui vous reste d’enthousiasme et d’idées, il y a tellement de choses à faire en campagne et notamment auprès des jeunes, laissez tomber les incurables, de toute manière c’est le Bateau Europe qui tangue, et l’échiquier économique vient d’être bousculé par le passage de la Chine devant le Japon!
    La promenade au bord du Lot dans la zone de pêche de DURAVEL est si revivifiante, que je me demande encore pourquoi j’ai attendu si longtemps pour fermer mon Blog

Laisser un commentaire