Instantanés d'été (21) : choisissez bien votre eau de vie !

Durant toute la période d’été, une obsession traverse la société, quel que soit le pays du monde, celle de l’eau ! Cette année, elle a même été omniprésente à divers titres dans l’actualité, sans troubler outre mesure les rites des vacances. Certains, partis à la recherche de ce qui est indispensable à leur survie « touristique », patientent des heures durant sur des rubans d’asphalte surchauffés, avant de pouvoir au minimum, l’apercevoir. C’est le prix de ce rendez-vous entre une immensité allant du bleu saphir au gris nordique. Toutes et tous l’assument, car sans leur séjour sur une plage bondée, à regarder monter et descendre un océan, il ne supporteraient pas le retour.
Le corps enduit d’un produit magique qu’ils ont soigneusement choisi dans le rayon d’une grande surface, ils attendent l’instant suprême qui va les conduire dans ce milieu où ils estiment avoir leur place. Certes parfois réduite, compte-tenu de la promiscuité, mais elle leur appartient, comme une sorte de récompense attribuée à celui qui a un mérite particulier. Cette eau a une valeur aussi sacrée que celle du Gange, que ses collègues sont allé contempler. Il y plonge et y replonge avec le sentiment d’un véritable baptême lui permettant d’entrer dans la religion des adeptes de Poséidon, dont d’ailleurs il se fout pas mal puisqu’il ne joue dans aucun club connu ! L’eau, pour lui, demeure l’élément référence de sa réussite. Si par hasard elle frigorifie la Belle qui tend son orteil avec les précautions d’un démineur entrant dans un champ dangereux, il plonge avec l’enthousiasme de Tarzan allant sauver un lionceau menacé par les crocodiles. C’est parfait pour l’image qu’enregistre le copain avec son téléphone mobile, mais c’est parfois douloureux pour le corps de l’imprudent croyant l’été fait pour réchauffer l’eau uniquement pour le plaisir du bain.
Avez vous remarqué combien Alerte à Malibu a inspiré le mâle moderne ? Il adore l’eau de l’été, celle des vagues qu’il affronte avec la satisfaction de ne pas leur céder, mais il déteste par-dessus tout passer pour un médiocre en étant décalqué par un rouleau destructeur venu du fond de l’océan. Il sait que cette eau là ne lui est disputée par personne, car son immensité couvre tous les besoins de la planète. Tout y est possible, car elle ouvre sur une apparence de l’infini. Il arrive même, comme hier à Lacanau, que des Adonis cherchent à chevaucher une lame dentelée d’écume qu’ils espèrent mère nourricière d’un voyage glorieux. Inélégants et gauches, semblables à des canards barbotant sur une mare, ils rament à plat ventre pour tenter de passer inaperçus, cherchant, le moment venu, à saisir le support jugé le plus robuste.
Cette quête ancestrale du « marcher sur l’eau » n’existe que sur les rivages rectilignes de l’Atlantique… et c’est ce mouvement perpétuel qui permet de sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier. Le surfer, adulé par les nymphes des plages, a en effet une vocation de Sisyphe latente, puisque jusqu’au jour où sa balance de salle de…bains le dénoncera comme devenu « submersible », il poursuivra son rêve de s’offrir le tube de l’été. Il se repliera alors sur un espace plus paisible, et tournera le dos à l’océan pour affronter simplement le bleu artificiel de sa… piscine. C’est la dure loi de l’évolution sociale. Plus on grimpe et plus on s’éloigne des fonds baptismaux salés. Du matelas pneumatique au yacht en passant par le voilier, la vocation de marin sommeille dans tout homme qui a une ambition particulière. Il ne rêve que d’être au-dessus des éléments, pour éviter de se mouiller, et se croire dominateur. Cet été, le paradoxe de la fréquentation touristique tourne pourtant autour d’un constat qui dénote un souci de rentabilisation des vacances, celui de la réussite des lieux de résidence, quasiment en bord de plage, proposant… une piscine chauffée. Ils affichent complet et refusent même du monde. Un camping, un village de vacances, une résidence hôtelière sans piscine ne font plus recette. L’enfant des temps modernes ne doit pas, en effet, être privé de son destin de « fiston nageur » après parfois avoir été un bébé aquatique. Quel que soit le temps, les gamins ou même les ados en arrivent à préférer faire la bombe avec leurs copains dans un bassin sécurisé que se retrouver face à un élément naturel non maîtrisable. On nage dans l’artificiel durant les vacances, quand on ne peut pas le faire à la maison. LA « piscine » est devenue, à juste titre, la référence du bonheur, car elle est l’outil du lien familial ou social. Plus question de dire « vous passerez bien prendre l’apéro », mais on va plutôt vers « vous passerez bien prendre un bain… et l’apéro ! » comme si l’eau du Ricard avait rejoint celle chlorée et chimique de ce lagon privé… où l’on se baigne aseptisé.
Cet été, l’eau manque partout ou presque. Les restrictions ne gênent que celles et ceux qui travaillent ou construisent leur avenir autour de sa présence, mais les autres ne se restreignent pas trop, puisqu’ils payent et qu’ils en veulent pour leur argent. Les Grenelle de tous genres sont relégués aux oubliettes de la citoyenneté, transformés en catalogues de bonnes intentions pour « demeurés », c’est à dire pour ces malheureux qui sont restés à la maison ou pour les jours de rentrée. « L’égologie » va bien au teint bronzé du vacancier de cet été, et au moindre « bobo » pour la planète, on redeviendra « écolo » à la rentrée, quand l’automne sera venu. L’eau de vie perd toute sa valeur quand elle n’est considérée que comme un « outil » de loisir inépuisable. Souvent, sa qualité ne constitue même plus un souci. L’essentiel, c’est que l’on puisse en… profiter, sans cesse en profiter, quelles qu’en soient les conditions. Je déteste cette eau-là, en été et tout le temps. Je préfère une autre approche.
En finissant ou en commençant une journée, laissez simplement une bonne douche envelopper votre corps d’une tunique éphémère, régénératrice, protectrice. Rien ne vaut ces instants où l’on s’oublie sous la caresse plus ou moins vigoureuse d’un jet venu du ciel. On appelle les bienfaits de cette eau qui rejoint le sol, en offrant son visage à ses effets lénifiants. Elle n’envahit pas, elle n’oppresse pas, elle ne noie pas, mais elle respecte celui qui lui fait confiance dans la discrétion absolue. Il n’y a aucun caractère ostentatoire à offrir son corps à cette pluie maîtrisable. Ne vous privez surtout pas de donner du temps à votre passage sous la douche, car si vous savez apprécier, c’est en été, quand la canicule frappe, le vrai retour aux origines, quand tout est surfait autour de vous. Retirez-vous sous la pomme cet été, c’est là que vous serez le mieux.

Cette publication a un commentaire

  1. Annie PIETRI

    Je te trouve bien sévère avec cette chronique, Benji….dont je partage, pour ma part, le contenu. Je n’ai jamais été une adepte des bains de mer, et ce n’est évidemment pas maintenant que je vais découvrir les joies des 2m2 de sable ou de galets, comme ici à Nice, et la promiscuité bruyante des plages…
    Bref, on se retrouvera d’accord sur d’autres sujets….

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