Instantanés d'été (22) : c'est jamais comme ça la première fois !

Vous connaissez certainement, quel que soit votre âge, le plaisir d’écrire sur une page blanche, immaculée, avec une application particulière. Toutes les ouvertures de cahier d’écolier étaient autrefois d’une calligraphie parfaite, ou tout au moins d’une qualité supérieure à celle des écrits quotidiens. Désormais, l’art d’écrire n’entre plus dans les critères de jugement, car les pleins et les déliés appartiennent à l’histoire scolaire. L’immigré italien naturalisé français Bich, en rendant le stylo bille jetable, a partiellement tué cette envie de transmettre un message parfait. C’est néanmoins toujours ainsi la première fois comme le voudrait la ritournelle de Serge Lama. Durant l’été, on a de nombreuses occasions de découvrir ce que l’on ressent quand on ouvre une page inédite de sa vie. L’intérêt des vacances réside justement dans cette possibilité de ne rien faire de ce que l’on connaît déjà. Tout peut être neuf et bienvenu. Si vous cherchez bien dans vos souvenirs, vous trouverez un moment particulier de vacances qui a imprégné votre esprit. Parfois, d’ailleurs, il faut du temps pour l’enfouir sous les cendres de l’oubli, alors qu’il arrive aussi qu’il ressemble, dans les cieux gris du quotidien, à une fleur de feu d’artifice. Rien n’est banal pour un enfant durant ces vacances où l’ennui se trompe par une aventure dérisoire ou enjolivée.
Premiers mètres parcourus sans les petites roues secourables d’une bicyclette, premières brasses sans ces fichus brassards, premiers émois amoureux avec la voisine de camping, première sortie au restaurant avec ses parents, premier succès dans un tournoi…Il n’y a pas d’émotions plus fortes que celles qui marquent une réussite, inconnue jusque là. Il n’y aura que le temps qui estompera les contours de ces faits ordinaires, devenant, au retour au bercail ou lors du passage de membres de la famille, des événements ! Des premières pages, les enfants en découvrent d’autres plus concrètes, que leur imposent souvent les parents désireux d’être fiers de leur progéniture. Allez, faites un effort. Je suis certain que vous avez tiré la langue un jour devant un cahier de devoirs de vacances ! Expliquez-moi pourquoi les mots « devoirs » et « vacances » sont incompatibles pour tout le monde, sauf pour les élèves ayant posé leur cartable ? Cherchez bien, vous finirez par en repérer un, oublié au fin fond de votre mémoire. Fermez les yeux et tentez de le reconstituer, pour en mesurer l’importance réelle. Un instrument de « torture » mentale que même SUD-OUEST proposait aux abonnés, afin qu’ils occupent au mieux les journées sans télévision des écoliers d’antan. Des instituteurs rémunérés… sur leur temps de loisirs, concevaient ces ouvrages permettant de préparer une rentrée que personne n’ose envisager. D’autres prenaient alors un malin plaisir à les corriger, afin que le journal puisse publier un palmarès avec des livres comme récompenses. Il fallait s’escrimer encore plus qu’en classe, afin de sauvegarder l’honneur de la famille, puisqu’un premier prix ou un accessit valait davantage par sa publication officielle que tous les cahiers de composition mensuels qui restaient confidentiels. La première page du cahier était, là encore, la plus belle, la plus propre, la plus soignée, la plus décorée. Quant aux autres… elles démontraient que le plus dur reste de tenir la distance ! Toutes les astuces étaient bonnes (même celle d’être volontaire pour la sieste), afin d’éviter ces séances douloureuses, présentées comme ludiques, alors qu’elles brisaient la magie de l’été. On aurait aimé qu’il n’y eût aucune page derrière la première ! En grandissant, la corvée était inenvisageable, car contraire au statut de collégien (ne)!
La première sortie seul(e), la première soirée de liberté, le premier flirt sur un slow statique, la première cuite, les premièrs baisers volés, le premier coucher de soleil à deux, donnent des lettres de noblesse à une adolescence boutonneuse. Ils entrent dans le patrimoine de chacune et chacun d’entre nous. Rien n’est toujours comme ça la première fois, car aucune ne ressemble véritablement à une autre. Le secret enveloppe celle qui naît dans la transgression des règles établies ne prévoyant pas le droit à l’expérimentation. En été, si tout n’est pourtant pas permis, il est possible d’obtenir des dérogations implicites, en invoquant le droit à la liberté, que seuls les adultes s’accordent à eux-mêmes.
Les mères sont beaucoup plus méfiantes, par exemple, durant les vacances que tout au long de l’année. Certaines d’entre elles ont tendance à penser que leur première fois est évidemment renouvelable, et comme elles en connaissent les circonstances, elles redoublent de vigilance. En pure perte, car ce n’est souvent qu’une affaire de circonstances…imprévisibles. Le hasard aime bien la période estivale, jouant ainsi des tours pendables à la logique. L’unité de temps, l’unité de lieu, l’unité de l’action concourent à transformer une « amourette » en tragédie provisoire. Les séparations douloureuses apitoient les mamans au cœur d’amadou et réjouissent souvent les papas protecteurs. Premiers serments de retrouvailles. Premiers SMS échangés avec une vraie distance. Premières frustrations charnelles. Plus de premières lettres. Plus de premières photos. Plus de premiers amours… il n’y a pas de pire allié de l’oubli, puis de la tentation, que l’éloignement physique. « Pour une amourette, qui passait par là, j’ai perdu la tête, et puis me voilà… » Lény Escudéro a prévu la suite… qui relativise grandement la valeur des engagements de l’été. Beaucoup de ces amateurs de premières fois se laissent attirer par les lumières artificielles du bonheur, comme ces éphémères qui se brûlent les ailes par leur obstination à croire que le soleil existe, même les nuits d’été. Vous retrouverez leurs mines déconfites à l’arrière de l’automobile paternelle sur le chemin du retour ou étrangement absents lors des rencontres amicales postérieures aux vacances. Le regard est ailleurs ou fixé sur l’écran d’un téléphone mobile. Ils boudent. Ils entrent dans le monde du silence. Inconsciemment, ils sentent que plus jamais ils ne revivront ces instantanés uniques de l’été. Allez, fouillez dans les vôtres et dites moi si vous n’avez pas un cliché qui sort du révélateur !

Cette publication a un commentaire

  1. Mistou

    Je viens de découvrir quelques uns de tes textes sur le post.fr (cet instantané 22.. celui sur le muguet.. et celui de la peur de déplaire..). Merci. Merci beaucoup.
    Je commence très bien ma journée.. même si, certains clichés personnels du mot « vacances » ne sont pas extras pour moi .. J’en garde quand même dans ma besace de très jolis.. et d’un peu secrets 🙂
    Bonne journée !

Laisser un commentaire