Instantanés d'été (28) : il faut cultiver son jardin

Un jardin potager parfait : celui de Mario à Créon !
Dans le monde très restreint des véritables jardiniers, il existe une véritable caste pour qui il ne saurait être question de congés prolongés en été. Ces dernières semaines, ils récoltent les fruits de leur travail acharné et ils n’aiment guère être absents pendant ces moments agréables consistant à remplir un panier en osier ou un « basteau » en bois pour vendangeurs à l’ancienne. S’ils ont les mains vertes, elles n’impliquent absolument pas qu’ils aient fait un choix politique, puisque leur seule ambition réside dans l’approvisionnement de la famille. Ainsi, c’est toujours avec une grande fierté intérieure qu’ils posent sur la table d’une cuisine ou sur celle d’une « souillarde » ces légumes qu’ils ont méticuleusement protégé durant plusieurs mois. Rien n’a plus de prix que ces tomates, ces concombres, ces courgettes, ces piments, ces oignons, ces pommes de terre, dont il est certain que personne ne pourrait les produire nulle part ailleurs. Le potager devient désormais un luxe estival, que de plus en plus de gens rêvent de s’ offrir, mais encore faut-il avoir les connaissances nécessaires pour mettre en pratique le conseil de Candide, après ses multiples aventures terrestres : « il faut cultiver son jardin ! ». Les amateurs éclairés savent qu’il est infiniment plus dur de se pencher sur les plates-bandes que sur les massifs, et que la déception est bien plus grande quand on manque une planche de carottes que quand les pétunias restent chétifs.
Hier, je suis allé inaugurer avec mes amis médocains, un jardin conservatoire dans le Médoc, une sorte de grand livre naturel des légumes. Splendide, éblouissant, étonnant, puisque la biodiversité méconnue de la quasi totalité des consommateurs se trouve réunie dans un espace parfaitement agencé. Un travail de bénédictin qu’une femme passionnée a accompli durant neuf mois, a permis de faire naître les plus étonnantes espèces sur une terre apparemment ingrate. La promenade démontre amplement que notre société du formatage et du calibrage marche sur la tête, car elle a oublié la diversité, qui demeure le véritable ferment de la liberté. Tous les jardiniers qui doivent être respectés ont leurs espèces secrètes, dont la saveur n’a rien à voir avec tout ce que les rayons des espaces « néonisés » peuvent offrir. Chaque pied est en lui-même un trésor à protéger, puisque sa production n’est à nulle autre pareille.
Les tomates blanches, orange ou jaunes ne se languissent jamais de soleil, car malgré les apparences, elles sont mûres. Rares seraient les acheteuses qui tenteraient l’aventure, puisqu’aucun des critères « industriels » n’est respecté, car pour être acceptée dans une barquette la tomate doit être ronde, rouge et lisse... Ainsi en ont décidé les « faiseurs de goût », et plus encore les grands producteurs, qui veulent des résultats ayant la couleur, la silhouette, mais surtout pas la saveur de ces fruits charnus, doux et juteux que l’on déguste en fermant les yeux. Joufflues, oblongues, en poires, tourmentées, en grappes… elles sont autant d’exceptions à ces règles établies par la loi du marché, mais elles ne finiront jamais sur un étal.
Les courgettes rivalisent de créativité, en se tortillant dans tous les sens, ou se poussent du col en affichant des ventres de notables, quand d’autres prétendent garder la taille fine. Un véritable défilé de mode, avec même des grandes tailles pour courges obèses qui attendront que l’automne ait détruit les feuillages pour se montrer au public. Il n’existe pas de jardiniers heureux si, quand novembre est venu, il ne peut pas exhiber une citrouille à la peau parsemée de cicatrices et de verrues. De son poids dépend une part d’un été réussi. Il arrive même qu’il se pique au jeu de l’un de ces rares comices agricoles, dans lesquels on soupèse des pommes de terre, des tomates tardives ou des cucurbitacées géantes ! En général, les malins dopent leur « progéniture » sur des tas de compost ou de terreau, mais ils ne l’avouent pas aisément, de peur que le résultat ne soit pas à la hauteur des espérances.
« Cultiver son jardin (potager !) » nécessite une mobilisation constante contre l’ennemi de l’intérieur, c’est à dire les herbes, qui ne sont pas si folles qu’on le prétend, puisqu’elles savent se glisser dans les interstices les plus inaccessibles. L’honneur du maitre des lieux passe par des allées impeccables, et surtout des plates-bandes aussi nues que le crane de Fabien Barthez. Une lutte implacable occupe tout l’été pour celui qui n’utilise aucun « gaz » de combat. Désherber à la main demande une abnégation quotidienne et une opiniâtreté particulière. Après la moindre pluie nocturne, la délinquance prospère et, justement, les vacances du propriétaire laissent la place aux envahisseuses. C’est la raison essentielle qui le conduit à ne s’accorder qu’une permission réduite à l’arrière du front. Abreuver les sillons appartient également aux exigences auxquelles doit se soumettre un véritable jardiner. Tout est dans l’heure à laquelle il considère que chaque plante va tirer bénéfice de l’eau distribuée, parcimonieusement ou abondamment, selon les besoins estimés. Durant l’été, il n’est jamais question de faire la grasse matinée, pour celle ou celui qui prétend « élever » des légumes aux qualités gustatives parfaites. En général, tout se déroule avant que les rayons du soleil n’aient échauffé l’atmosphère, et c’est tout à l’honneur de l’arroseur sachant arroser. Quand il est huit heures et que la campagne s’éveille, il faut alors procéder aux soins délicats de ces plantes dans lesquelles on met tous ses espoirs. Selon le principe historique qu’un bon binage vaut deux arrosages, le jardinier sérieux casse la… croûte, afin de préparer le sol à recevoir, éventuellement, le minimum de cette rosée que produisent les nuits d’été. Le reste de la journée n’a plus d’importance, car l’essentiel est fait. Il sera temps, dans la soirée, de venir… récolter. Même si les proverbes chinois sont aussi authentiques que les figurines du musée Grévin, il fait convenir que celui-ci porte sa part de vérité : « Si tu veux être heureux une heure, bois un verre. Si tu veux être heureux un jour, marie-toi. Si tu veux être heureux toute ta vie, fais toi… jardinier ». Allez essayez donc, et vous ne pourrez plus vous en passer !

Cet article a 4 commentaires

  1. J.J.

    Pourrait-on avoir l’adresse de ce jardin-conservatoire ?

    La seul évocation donne aux « afficionados  » de la serfouette l’envie de quitter leur paradis quotidien pour l’aller visiter.

  2. François

    Et oui! C’est cela, le jardin ! N’oublions pas le côté thérapeutique de l’affaire qui, souvent à l’insu du jardinier, permet de calmer le stress ou la nervosité ( sans les méfaits de la cigarette ou inversement des anti-dépresseurs au grand dam de la gente médicale, mais gratuitement pour notre Pauvre Sécu !).C’est aussi un « Bon Projet » de réinsertion pour de nombreux délaissés ou isolés de la Société plus apte à sanctionner ou à matraquer qu’ à épauler ou consolider ! !
    Amicalement

  3. PIETRI Annie

    Voltaire terminait son conte philosophique Candide par cette petite phrase bien connue « …il faut cultiver notre jardin ». Le titre de ce conte est en réalité « Candide ou l’optimisme », et je suis de plus en plus persuadée que là, en effet, réside la clé de l’optimisme et du bonheur.

  4. J.J.

    Et, (je ne me souviens ni de l’auteur ni de la citation précise, si quelqu’un peut me corriger…), quelque grand auteur déclare en substance qu’il n’est nul souci qui résiterait à une heure de jardinage.

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