Instantanés d'été (29) : l'héroïne, c'est la vache !

Quand l’été se prépare à tirer sa référence, sur la pointe des rayons de ce soleil tellement désiré, il faut savoir retenir une tendance générale, une préoccupation qui a traversé les semaines écoulées. Le gouvernement le sait, car il a fait le maximum pour que l’insécurité réputée grandissante préoccupe les mamies en cure thermale, les papis regardant les carreaux des tireurs des litres (de Ricard) du bord des terrains de boules, les mamans angoissées par les sorties nocturnes de la fille reçue au bac, et celle qui déploie des trésors d’imagination pour ne pas avoir de traces de bretelles du soutien gorge sur son bronzage d’enfer, les papas qui tentent de rentrer un ventre pas si développé que les autres veulent bien le dire. Ils ont aussi introduit un mot dans le fil de l’actualité, un mot qu’ils ont donné en pâture aux beaufs « puncheurs » qui ne connaissent pas nécessairement son orthographe. Le « rhum », eux, ils apprécient, même s’ils savent qu’il ne faut absolument pas dépasser un certain dosage, afin que l’intégration colorée qu’ils concoctent quand ils sont en société soit réussi. Il leur est aisé de reconnaître aussi que trop de rhum, par une chaude soirée d’été, peut se révéler extrêmement dangereuse pour leur équilibre nocturne. C’est probablement la raison essentielle qui les pousse souvent à soutenir, un verre à la main, Brice « Boutefeux » dans les débats de fin de cocktail.
En fait, l’autre « Rom », celui qui souffre de l’indifférence des adeptes du whisky glaçons ou du jus de tomate, se serait bien privé d’être devenu le punching-ball de gens qui parlent toujours plus vite que les autres… pour ne pas être oubliés durant les vacances. A la rentrée, ils savent fort bien que Maïté Chabot, pâtissière de la tarte à la crème de ce qui tient lieu d’information sur France 2, ne partagera plus entre ses amis préférés le gâteau médiatique.
Tout cet été, on aura pourtant négligé la référence permanente de l’actualité qui n’a rien à voir avec cette vie dite politique dont on se moque pas mal dans les bungalows, sous les tentes, dans les camping-cars ou dans les villas cossues ou modestes. Au risque de surprendre, un constat s’impose : les bovidés auront été les grandes vedettes des vacances 2010 ! Une jolie fleur dans une peau de vache a poussé dans les paysages, mais comme trop de gens en ignorent encore l’importance ou même l’existence, elle est passée inaperçue ou presque. Les touristes qui ont pris le TGV ont constaté avec amertume que les belles Frisonnes pie noire, les Normandes ou les Limousines, qui autrefois regardaient passer les attributaires de congés payés partant pour la mer, se faisaient très rares. Certes, elles sont déboussolées par la vitesse de ce spectacle traditionnel qui les empêchait de ruminer des idées noires par sa qualité, mais elles sont surtout devenues rares sur l’écran vert des prés où, soit-disant, on trouvait autrefois le bonheur.
La vache, compagne en campagne du campeur « vert », ravi de boire du lait chaud dans un bol en matière plastique dans lequel il avait auparavant déposé du Neskquik, n’existe plus, à cause des quotas européens, et surtout de l’aseptisation des mœurs. La France profonde du lait mousseux, sorti d’une étable garnie de toiles d’araignées, afin que les queues des laitières ne transforment pas la traite en combat de Don Quichotte contre les moulins à vent, existe de moins en moins. Elle a même failli définitivement mourir au cœur de cet été, poignardée par la crise laitière touchant la crème des producteurs. En fait « mort aux vaches » était devenu le mot d’ordre du « grand capital », comme aurait dit Georges Marchais de ses vacances en Corse avec Lilianne, et si sauvetage du petit-déjeuner des pensions de famille il y a eu, tout le monde convient qu’il ne fera trinquer que les consommateurs.
Cette mise à mort qu’aiment tellement les « belles étrangères» de Ferrat a quitté les arênes inutiles de Catalogne. Durant cet été des ferias majoritairement pathétiques de Bayonne, Mont de Marsan ou Dax il n’en falait pas plus pour qu’un vent de révolte souffle sur les afficionados décontenancés par cette bavure historique. L’Espagne, terre d’asile du bovidé de combat, donnait un coup de pied de vache à ce qui constitue une passion rentable pour son économie déclinante. Les corridas menacées à la fois par des taureaux de pacotille et des adversaires acharnés, ont probablement traversé le pire été de leur histoire, à cause d’un peuple qui préfère voir le Messi planter des banderilles au Camp Nou, que s’extasier avec les belles étrangères qui se pâment d’aise devant la muleta ! L’affaire a fait grand bruit, mais je ne regretterai que la splendide daube de taureau que ma belle-sœur dacquoise m’a servi dimanche soir. Les vacances ne pourront plus, dans le Sud-Ouest, reposer sur les courses de vaches landaises qui font trop penser à ces qualités d’esquive que doivent déployer les « écarteurs » de la vie sociale, face aux charges des réalités. Une réhabilitation du célèbre Riri des premieres vacheries d’Intervilles, guidé par le grand Lux, inventeur des querelles de clochers réglées sur les écrans des télés, encore en noir et blanc !
Il reste de cet été d’autres bovidés en résine, qui ont réalisé un triomphe. Dans les rues de Bordeaux, elles font le trottoir ou s’esbaudissent dans des positions ollé-ollé. Toutes ont fière allure, grâce à l’inventivité d’artistes qui se sont fait vachement plaisir. Elles sont devenues les grandes vedettes des vacances à Bordeaux, et se figent avec une pointe d’humour dans des regards habituellement bovins. Barbouillées, décorées, festonnées, dorées, rosies, chamarrées, vêtues ou dénudées, inventives ou classiques, elles attendent que l’on pose à leurs côtés pour cette photo qui immortalisera leur présence dans une ville bourgeoise s’il en est, et pour qui il ne saurait être question de retrouver la bouse sur les pavés. Par contre, si les vaches font les folles, personne ne s’inquiète, car on a confiance dans cette épidémie artistique qui ne risque pas d’être contagieuse. Les vacances auront permis à des milliers de gamins de vérifier que, si les poissons étaient carrés et panés, si chez MacDo le beefsteak ressemblait aux semelles des baskets, on pouvait aussi trouver des vaches synthétiques inusables, qui rient en broutant le macadam. Drôle d’époque !

Cet article a 2 commentaires

  1. Christian Coulais

    Prenons le temps de rouler en vélo le long de la piste cyclable Roger Lapébie. On y voit encore de paisibles ruminants brouter. Mais il est vrai que sur Cénac, les dernières vaches sont parties l’an dernier pour être remplacées par des chevaux.
    Les agriculteurs deviennent des viticulteurs et louent leur terre à de jeunes cavalières, en souhaitant les transformer en jackpot constructible !
    Vous avez remarqué que de plus en plus d’équidés et leurs cousins les ânes se nourrissent des pâtures.
    Et sur Latresne, à cause d’un futur bassin d’étalement de la Pimpine, mes enfants ce matin regrettaient le départ de ces blondes d’Aquitaine.
    Un jour vous verrez que la cow-parade se déroulera dans « nos près » de l’Entre-Deux-Mers ! Ben meuh alors !

  2. Cubitus

    Je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement du titre de ce billet avec un film de Pierre Granier-Deferre sorti en 1969.
    Car pour ce grand cinéaste, l’héroïne c’est le cheval (film « La Horse » avec Jean Gabin).
    En tout état de cause, on ne quitte pas le domaine des quadrupèdes.

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