Le bleu passe de mode

Quand j’étais au service national ce qui, soit dit en passant, n’était pas si agréable que ça, mais pourtant selon moi, pas si inutile que ça, il existait un code de langage propre à l’armée. Il avait traversé les époques pour s’imposer comme un dialecte initiatique. Ainsi, on appelait les nouveaux venus « les… bleus » ! Ils arrivaient au régiment et n’avaient aucune expérience de ce qui les attendait, ce qui leur valait immédiatement les railleries des anciens. Certes, on faisait appel aux plus expérimentés des adjudants ayant obtenu quelques médailles au front, pour tenter de les former au combat, mais la tâche était délicate. Tous ceux qui ont vécu cette incorporation dans une nouvelle équipe, dont on ne connaît pas les membres imposés par le responsable du recrutement, savent fort bien que le statut de « bleu bite » ou de « bleusaille » n’a rien d’enviable. Il fallait porter les erreurs du passé et surtout assumer des dérives, dont on avait le sentiment qu’elles détruisaient la personnalité, alors qu’elles permettaient de la construire dans l’opposition, beaucoup plus que dans la soumission. Le service, au sens large du terme, ne supportait pas que l’on reste longtemps le « bleu », car il faut absolument des résultats dans des délais restreints. Ces « bleus » là découvraient au moins en commun le sentiment d’appartenir au même pays, à la même nation, même s’ils étaient de plus en plus réticents, au fil des ans, à l’idée d’avoir un jour à la défendre.
Depuis la désastreuse épopée sud-africaine, d’autres Bleus, réputés avoir les pieds agiles alors qu’ils avaient surtout la langue bien pendue, ont perverti durablement cette vision de la solidarité active. Ils ont enterré définitivement, pour le plus grand plaisir de Brice « Croidefeu » le concept rassembleur des « Bleus », blacks-blancs-beurs. D’ailleurs, ces « bleus » là ont carrément perdu leur majuscule dans l’affaire, cette reconnaissance donnée à ceux qui entrent dans l’histoire par la graphie. Désormais, rares sont ceux qui arborent une tenue vestimentaire permettant de comprendre leur affection pour cette couleur d’un maillot. Plus personne ne veut être considéré comme un « bleu », car c’est avouer sa faiblesse, son manque d’expérience, une forme d’échec collectif. Le bleu n’a plus la cote, car il n’y a plus de modestie en ce monde où il n’y a plus besoin d’apprendre puisque le principe du libéralisme veut que la réussite soit personnelle et autodidacte. Hier soir, de vrais bleus se sont fait ridiculiser par des briscards modestes, travailleurs, solidaires et pauvres en comparaison de ceux qu’ils affrontaient. Une véritable décadence, qui va faire voir rouge à Laurent Blanc et qui détruit encore davantage les vertus d’une couleur portée jusqu’à présent, en opposition au « rouge » par la droite, sur le plan politique. Le bleu va en effet bien au teint des bien-pensants qui ne se privent pas de rappeler que c’est la couleur unique des vêtements de la vierge ! Pour eux, l’avenir ressemblera à un ciel d’été couleur lavande. Dans le passé, il y a eu des regards suspects qui scrutaient la ligne bleue des Vosges. Il n’y ont vu surgir que du vert de gris, ou des uniformes détestables.
L’orage monte, et va obscurcir l’avenir. On sent bien que demain conduira à revoir la météo sociale. Là-haut, les gouvernants, loin d’être des bleusailles de l’action, font cependant semblant de ne pas voir que le noir gagne du terrain, étouffant le soleil de l’espoir. Il en est même qui prédisent que demain, le rose pourrait l’emporter sur tout le reste si, par bonheur, une majorité décide de redonner des couleurs à la vie. Certains ont cru durant quelques mois, avec le Grenelle, qu’avec un peu de jaune de trahison de certains habitués, il suffirait de mettre un peu de « jaune » dans le bleu UMP pour se retrouver avec un vert salvateur. Fini : l’espoir s’est évanoui dans l’arc en ciel politique des promesses non tenues.
Le bleu du ciel n’est qu’éphémère, mais chacune et chacun d’entre nous fait semblant de croire en son éternité, pour se persuader que l’obscurité finale n’est réservée qu’aux autres. La société ne vit que sur des images portées par des magazines glacés. Grâce aux retouches que permettent de bleuir ce qui est gris, on triche sur les apparences. Comment ne pas avouer à tout le monde que l’époque du bleu de travail est terminée ? Il n’y en aura plus pour tout le monde, de ce symbole uniforme du prolétariat, il ne restera pas dans un vestiaire ou n’ira plus dans une machine à laver, épuisée par le boulot que représentait l’élimination des souillures d’un métier. Le bleu de chauffe, porté par sur les locomotives à vapeur par les fournisseurs de nourriture noire de charbon au ventre rougeoyant, est uniquement entré dans les métaphores reprises par les journaux sportifs. Le bleu demeure cependant la couleur de l’effort, et surtout celle dont on parle au passé.
Hier soir, avec la nouvelle déconvenue des « bleus » qui avaient pourtant reçu la visite du grand Bleu à la chaussure noir magique, répondant au surnom de Zizou, la France est plongée dans le doute le plus profond. Tous les porteurs de ce symbole sont gagnés par la gangrène du profit personnel. Au foot, au basket, au rugby… porter une tunique bleue ne rime plus à grand chose, quand rôde le spectre des contrats avec d’autres couleurs, auxquels ont doit souvent beaucoup plus pour sa réussite sociale qu’à une sélection nationale. Ils préfèrent se battre pour le Roi de Prusse dont le bleu est beaucoup plus rentable, ou ils entretiennent le « blues » dans des contrées où le fric constitue la référence en matière de réussite personnelle. Cet été, le stakanovisme des expulsions a laissé beaucoup de bleus à l’âme de trop peu de Françaises et de Français, et beaucoup plus de bleus sur le corps de celles et ceux qui sont embarqués à l’insu de leur plein gré dans les avions. Ces coups portés aux principes démocratiques laisseront des traces indélébiles… et ce n’est pas la bleusaille footballistique qui les fera disparaître. Palsambleu, ventrebleu ou sacrebleu, probablement parce que je n’ai pas une goutte de sang bleu dans les veines, je ne jure que par le rouge et je ne crois plus en autre chose !

Cet article a 6 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Sacrebleu Jean-Marie,
    Tu m’as « foutu » une peur bleue avec ton article sur le bleu et les Bleus.
    Mais comme à l’habitude, c’est bien dit!
    Sur l’infâme bleusaille, comme toi, je regrette que filles et garçons ne soient pas astreints au service militaire pour une durée maxi de 6 mois. car nous pouvons tous mesurer aujourd’hui la perte des repères sur la Nation et le Drapeau, l’effort collectif et la solidarité, etc…
    Allez, comme ex-cheminot, je terminerai en pensant « au train bleu ».
    Amicalement,
    Gilbert de Pertuis en Luberon qui aime bien manger du bleu avec un bon rouge…

  2. Christian Coulais

    Bel arc en ciel volubile !
    Quant aux planqués (autre terme du service militaire) bling-bling de ce quinquennat, ils sont tous revenus dorés…sur tranche dans « nos » palais républicains.
    Le 7 septembre, le peuple de France verra-t-il rouge sur l’air de « ah ça ira, ça ira, ça ira » ?

  3. PIETRI Annie

    Le premier mot qui m’est venu à l’esprit en lisant cette chronique est le mot « arc en ciel »….mais puisque Christian me l’a volé, je dirai que cette chronique est un feu d’artifice….Feu d’artifice des couleurs, feu d’artifice des mots, feu d’artifice des idées ! en tout cas, un régal pour le lecteur….Comme il serait dommage que tu nous prives de ces moments de plaisir quotidiens !

  4. Michel d'Auvergne

    La défaite des Bleus, Blanc rouge de rage !

  5. daniel PALACIN

    Bonjour Jean Marie,
    J’ai comme cette impression, que vue depuis le LOT, le « bien dire » Aquitain, ne convient plus trop aux oreilles de Midi Pyrénées.
    Alors de grâce, avant que la risée l’emporte sur vos malhonnêtetés verbales,
    Mettez là en veilleuse.
    Merci
    CQFD

  6. J.J.

    car nous pouvons tous mesurer aujourd’hui la perte des repères sur la Nation et le Drapeau, l’effort collectif et la solidarité, etc…

    Et ce que j’ai le plus apprécié (si, si,)pendant le service, c’est vivre en communauté avec d’autres gens, venus d’aileurs, d’autres profesions.
    Dans ma chambrée, il y avait un postier, un agriculteur, un employé de bureau, trois instits, un ingénieur, un « bibendum » de Clermont -Ferrant etc…
    Et nous avions tous à coeur d’expliquer aux autres notre ptit pays , notre métier.
    c’était très enricis

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