Dommage : ils ont retiré les pavés !

Pour des centaines de milliers de Françaises et de Français, il faut choisir demain matin, au lever, entre aller battre le pavé pour sa retraite ou battre en retraite sur le pavé. Dans le premier cas, l’action primera sur toute autre considération afin de témoigner d’une volonté de ne pas céder à la fatalité d’une réforme faussement présentée comme salvatrice. C’est un acte citoyen qui, malheureusement, risque d’être réservé à des convaincus trop rares. Hier soir, dans la salle de la Mairie de Créon une soixantaine de personnes était venue écouter une excellente analyse de Jean-Marie Harribey, un véritable pédagogue de la vie sociale. Avec une clarté exemplaire, il a démonté toutes les pseudos certitudes que colportent des médias de comptoirs de bistrot. Il a offert une lampée d’oxygène à celles et ceux qui meurent lentement asphyxiés par le monoxyde de carbone de la propagande de femmes et d’hommes, obsédés par la seule défense du profit de leurs plus fidèles supporters. Bien sûr, il y eut les attaques traditionnelles contre les socialistes et Jospin. Inutile mais normal. Chacun prend son plaisir là où il le trouve et surtout à la hauteur de ses ambitions.
Cet universitaire d’Attac, atypique mais d’une sincérité absolue, a pu, je l’espère, constater que son auditoire, d’une logique implacable, était à 75 % composé… de retraités ! Un extraordinaire paradoxe dans une période durant laquelle les actifs devraient être les plus avides d’information sur le sort qui leur sera réservé dans une quinzaine de jours ! Eric Woerth est resté en place car, perdu pour perdu, discrédité pour discrédité, il va conduire la réforme, en sachant fort bien que la grande majorité des actifs ne va pas bouger. En se levant, ils attendront que les autres aillent justement battre le pavé, pour tenter d’endiguer la suite logique des offensives menées par Balladur et Fillon, après que « droit dans ses bottes » ait calé devant la difficulté. Ils n’espèrent rien de la lutte sociale, depuis qu’on leur a démontré que la lutte des classes était dépassée et que toute forme de résistance se brisait sur le rempart de l’indifférence.
La vingtaine d’actifs supposés, présents pour cette rencontre d’information bien construite, efficace, et surtout formatrice, ne s’est pas véritablement aperçue qu’elle était cernée par ces « vieux qui coûtent cher », majoritairement issus de la fonction publique, car je les connaissais quasiment toutes et tous. En fait, en renonçant à aller battre le pavé pour sa retraite, le « passif » accréditera la thèse de celles et ceux qui se contenteront de battre en retraite sans aller sur le pavé !
La force essentielle du peuple s’évanouit dans cette angoisse des représailles qui reste le meilleur argument anti-grève. D’abord, les représailles de la banque dont les employés resteront derrière le guichet pour ne pas être comme les grévistes… à découvert en fin de mois ! Dans le contexte actuel, il ne faut pas nier que le jusqu’au-boutisme qui a fait tomber les réformes n’a des chances de vivre que si les gens qui le portent ne risquent rien. S’il n’y avait pas eu les étudiants et les lycéens, bien des mouvements sociaux se seraient effondrés après leur premier sprint courte durée. La difficulté présente, c’est que seule une dynamique intergénérationnelle peut créer une véritable résistance aux programmes mis en œuvre via l’UMP par les ultra-libéraux du club de l’Horloge. Croire que le salut passe par une manifestation de retraités, aussi nombreux soient-ils, c’est avouer que, dans le fond, l’avenir lointain ne détermine pas les positions de la jeunesse.
La citoyenneté non enseignée, non pratiquée, non développée, puisque le système éducatif lui tourne le dos sur « ordre ministériel », mine désormais en profondeur la démocratie. Comme la Gauche passe son temps à s’auto-convaincre, en organisant des confrontations internes destinées à savoir quel est celui qui est plus à gauche que l’autre, elle n’a plus de prise sur cette réalité. « Il faut multiplier ce genre de rencontres citoyennes a répondu, Jean-Marie Harribey, car ce n’est que par l’explication que nous pouvons espérer modifier le rapport des forces ». Battre le pavé c’est bien, mais se battre pour transformer des millions de consommateurs sociaux indifférents en citoyens solidaires lucides, c’est beaucoup mieux ! Le problème c’est que dans un cas, on a vite bonne conscience, dans l’autre on perd vite ses illusions.
Demain, le personnel communal de Créon sera ne grève à 100 %, tous services confondus. Ce n’est pas le fruit d’un endoctrinement coupable mais une lente évolution des esprits portée par un mûrissement des consciences. En 1993, dans les mêmes circonstances, les grévistes se comptaient sur les doigts d’une main. Par contre en 2003, les écoles publiques, la perception, la Poste étaient fermées, alors que désormais elles restent ouvertes. Cherchez l’erreur, et vous aurez une idée plus précise des raisons pour lesquelles le Chef de l’Etat français pourra laisser un porte parole parader sentencieusement demain soir au journal de TF1, ou, malheureusement, sur feu le service public. Il aura gagné, car une éruption ne fait pas une révolution.
Avalé à toute allure par une assemblée nationale aux ordres et surtout pressée de se débarrasser d’une réforme dangereuse, le texte consacrera la victoire du monde du profit sur celui du travail. Personne n’aura véritablement le temps de réagir, de se mobiliser, et de mobiliser vraiment. Sous les pavés demain, il y aura la grève… celle qui permet parfois d’oublier que ceux qui vivent sont ceux qui luttent en permanence contre ce qui est injuste, surtout pour les autres. Dommage. Il n’y a plus de pavés dans les rues. Depuis 1968, pour le confort des automobilistes, les pouvoirs pubics les ont éliminés. Sur le sol lisse des rues, il n’y a plus qu’une société piégée dans son confort et dans ses certitudes, et dessous les vieux pavés, des souvenirs.

Cet article a 5 commentaires

  1. jocelyne Troscompt

    dommage d’avoir raté des explications claires sur une politique compliquée, mais quand on occupe un emploi précaire payé à l’heure, avec des enfants à charge, le soir on rentre épuisé et pas envie de sortir. Je ne pourrai pas revendiquer sur mes droits non plus, deux fois dommage, surtout qu’au vue de mon parcours professionnel je vais devoir travailler jusqu’à ce que « mort sans suive ». J’ai des convictions mais pas la possibilité de manifester pour elles. Vive le monde moderne !

  2. J.J.

    «  »J’ai des convictions mais pas la possibilité de manifester pour elles. » »

    C’est bien là un des leviers qui permet de clore le bec à une opposition, qui sans cela se ferait peut-être plus agressive et organisée.

    En entretenant cyniquement un « volet de chômeurs » et de travailleurs précaires, en divisant les syndicats (le patronat en a un seul ! ) on désarme la contestation. Avec en supplément tous les coups bas et la propagande anti-grève dans les média béni-ouioui.

    Diviser pour régner….

    Il faut aller chercher des écrits comme ceux de JM pour avoir une vue objective de la situation, et c’est rare !

  3. Claude MEFIANT

    Mon personnel communal et les enseignants sont en grève à 100%. Je n’ai jamais vu ça : les salariés commencent enfin à comprendre. Mais que nous réserve la gauche pour 2012?

  4. Suzette GREL

    J’ai beaucoup apprécié cette explication claire, construite et formatrice et la marche sous le parapluie à la manifestation avait du sens .Merci pour ces informations précises.

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