On va faire parler LE mort

Devant le corps du général de Gaulle reposant à Colombey les Deux Eglises, le duo composé du Chef de l’Etat français et de son « collaborateur » reconduit dans ses fonctions (par la vertu des sondages) pourrait s’exclamer, à l’instar de Henri III devant le Duc de Guise assassiné à Blois : « Qu’il est grand ! Plus grand mort que vivant ! » Même si, après son pèlerinage de rédemption gaulliste, le plus petit des deux va encore une fois dispenser un discours écrit par un nègre élyséen, il aura du mal à faire croire que l’habit de celui qui avait un mépris viscéral pour les personnes manquant de « sincérité » et de « grandeur » peut lui convenir. Ils ne sont pas dans la même catégorie. Loin s’en faut. Il faut donc se demander si cette démarche de récupération pure et simple d’un anniversaire dont la France actuelle a perdu le contexte aura le retentissement attendu. Celui qui a osé placer le début de son mandat sous le signe de la Résistance (visites au Mont Valérien et dans le Vercors, gerbe au pied de la statue de Clémenceau, et surtout lecture -totalement oubliée depuis- de la lettre du jeune communiste Guy Mocquet), n’évoquera certainement pas les raisons du départ de de Gaulle du pouvoir. En cette période de saccage absolu des fondements républicains, il serait pourtant utile de rappeler que celui qui symbolisait une incontestable autorité morale avait démissionné de ses fonctions en raison… du refus du peuple de le suivre dans une démarche « monarchique », liée à une modification des Institutions.
Il lui fallait une légitimité sortie des urnes, après la contestation sociale de Mai 1968… et le courage d’affronter le peuple via un référendum. « Le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » était repoussé par une majorité des Françaises et de Français, comme ce fut le cas pour le traité constitutionnel européen. Le lendemain, 28 avril 1969, Charles de Gaulle démissionnait de sa charge. Il tire les conclusions du scrutin et écrit dans un communiqué : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ». Désavoué par le suffrage universel, il décide donc de quitter l’Elysée, alors que rien ne l’obligeait à le faire. Il tire sa révérence de la scène politique française.
Il est certain que pendant la minute de recueillement, sous l’œil de toutes les caméras convoquées pour cet événement qui va bouleverser le quotidien de la France, le Chef de l’Etat va penser que, lui aussi, aurait du, dans un moment de lucidité, engager sa « responsabilité » en organisant un référendum sur la réforme des retraites et ainsi obtenir une légitimité incontestable pour son projet. Il est vrai que rien ne l’aurait empêché de contourner un refus (comme ce fut le cas sur le Traité), en passant ensuite par la voie parlementaire et bénéficier des « godillots » UMP, critiques dans l’ambiance feutrée des couloirs, mais dociles dans l’Hémicycle. De Gaulle qui avait le mérite de la franchise, considérait les Français comme des « veaux », mais il avait plus de respect que bien d’autres pour leur décision.
Il est aussi certain que des propos du Général pourraient être lus par Fabrice Lucchini, qui fait un triomphe au théâtre par sa capacité à mettre en valeur des textes ingrats. A propos des réformes en cours ou déjà effectuées, on entendrait ce constat : « C’est purement négatif de toujours remettre tout en cause, c’est en somme la marque des faibles et des incapables » qui sonne comme une sentence mais que bien évidemment celles et ceux qui se réclament du gaullisme oublieront.
On pourrait aussi agrémenter ce florilège d’une sentence sur le comportement du gouvernement ou du Chef de l’Etat depuis le début de ce mandat : « Comme un homme politique ne croit jamais ce qu’il dit, il est étonné quand il est cru sur parole ! »
. La leçon pourrait être profitable à celui qui s’apprête à redoubler à Matignon et qui a obligé son « mentor » à le conserver quand tout semblait perdu pour lui.
Il apprécierait certainement cette autre citation, qui convient parfaitement à la situation du « couple » en cours de reconstitution. « Dans toute association de deux hommes, il y en aura toujours un qui se fait porter par l’autre ». Durant la minute de silence, il serait amusant de chercher celui qui, comme Louis de Funés dans « la Grande vadrouille », est juché sur les épaules de l’autre… A chacun son choix ! Enfin, s’il trouve la scène un tantinet grotesque, il clôturera l’entretien avec cette appréciation finale sur la venue de son hôte, hantant le même Palais de pouvoir que celui qu’il a fréquenté. Il lui donnera probablement un conseil, pour sauver l’infime bribe restant du Gaullisme. Elle ressemblera peut-être à cette dernière citation : « Le président de la République ne saurait être confondu avec aucune faction. Il doit être l’homme de la nation tout entière, exprimer et servir le seul intérêt national » et en rentrant, le Chef de l’Etat français, inspiré par la grâce, annulera immédiatement toutes les réformes non conformes à ce principe.
Je n’ai jamais été gaulliste et je le revendique. J’ai pourtant une véritable estime pour cet homme qui avait la stature d’un homme d’état. Je reconnais donc sans peine qu’une génération ait pu avoir confiance et respect pour lui. Le problème, c’est que les héritiers n’ont jamais été à la… hauteur. Au fil de ces quarante années, le Gaullisme a perdu tout son sens puisque, dans le fond, le « Général » aura été beaucoup plus grand vivant que mort, mais c’est ce privilège que l’on devrait respecter.

Cet article a 3 commentaires

  1. Christian Coulais

    L’exemple de la Grande Vadrouille, me fait penser à une expression « dans la vie certains sont fait pour faire les ânes et d’autres pour monter dessus ».
    Peut-être qu’une partie du peuple français en a marre de faire l’âne !
    Car même petit, Nico Sancho est lourd est à (sup)porter !
    Quant au souvenir du Général, les anciens en tirent encore qq. ouvrages, n’est-ce pas M. Debré, mais que reste-t-il dans la conscience collective ?
    La bombe atomique, le nucléaire civil, les guerres d’indépendances, les grandes écoles, le train à grand vitesse, le Concorde et le France…Et Alain Peyrefitte (ministre de l’information en 1962, ministre de la bombe H en 1967, ministre de l’enseignement en 1968)
    De Gaulle en 1969 avait 79 ans, c’était donc juste une porte de sortie digne !
    Mais Notre Président de la République Française-Chef de l’Etat Français-Chef des Armées-Garant de la Constitution-Chanoine de Latran n’a que 55 ans et s’il démissionne, même si son orgueil ne lui permettrait pas, il sait très bien qu’il ne pourrait plus remettre le pied à l’étrier et son auguste postérieur sur le trône. Sauf si en cas de guerre, il fait don de sa personne à la France !

  2. Michel d'Auvergne

    En cas de guerre… Une catastrophe suffisant… je n’en écris pas plus !
    Alain Peyrefitte nous a aussi légué une fiction: Quand la Chine s’éveillera… La France lui fera un câlin, ce à quoi était récemment occupé le demi-sosie du Général.

  3. Michel d'Auvergne

    Le Grand Charles et le petit Nicolas, il n’y a rien qui puissent les rapprocher, et le premier doit se retourner dans sa tombe en écoutant le second ! Le Grand n’a pas débuté à la mairie de Neuilly ni ficelé le destin de la France aux missiles de l’Otan, et s’il a débuté sa carrière politique à la radio et l’a continué dans la foule, le second la finira la sienne par télé interposée (narcissisme oblige, à la radio on se voit pas !) tant il faut de « Robocop » pour protéger chacune de ses apparitions publiques.
    J’ai, dans de précédents commentaires, usé du terme « clowns tragiques » pour désigner l’équipe au pouvoir, un internaute va plus loin puisque, évoquant l’envol d’une partie de l’équipe UMP (Usure de la Minimalité Présidentielle) et autres gratins brunis sous les projecteurs « pipeules » vers la Corée du Sud à bord d’Air-Sako-One, il parle carrément de « Pinder-Volant », si la plaisanterie ne nous coûtait pas si cher, j’apprécierai davantage l’humour et surtout l’exactitude de cette appellation !

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