Méfiez vous de l'impôt aux roses

Personne ne peut prétendre que le Chef de l’Etat français n’a pas de la suite dans les idées. C’est ce qui fait sa force principale. Il utilise un subterfuge permanent dès qu’il se retrouve face à un contradicteur un tant soit peu curieux : il énonce une évidence obligeant son interlocuteur à lui répondre positivement, ou il effectue une provocation, en sachant fort bien que celle ou celui qui est face à lui ne pourra pas faire autrement que battre en retraite. C’est facile de se promener dans un entretien, quand l’interrogatoire reste à la surface des sujets. Ainsi, les exégètes politiques ont mis en évidence son revirement spectaculaire sur le bouclier fiscal, dont il lie le sort à la suppression de l’Impôt sur la fortune dit ISF. Quel courage que celui qui consiste à s‘attaquer au porte monnaie de ces « amis » qui ne vous veulent que du bien. Ce Chef de l’Etat, encensé par DSK pour son programme de « chef du monde » ambitieux chez les autres, va finir par faire pleurer de joie dans les chaumières de Deauville ou du Cap Nègre. La proposition, initiée par les sénateurs Arthuis et Marini, de supprimer le bouclier fiscal et l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et de créer une nouvelle tranche à l’impôt sur le revenu nourrit le débat fiscal. Elle ne manquera pas d’être reprise par le gouvernement qui, selon Alain Juppé, « doit barrer la route aux socialistes » et donc au socialisme.
Cette proposition est astucieuse sur le plan de la communication : elle permet de satisfaire tout à la fois ceux qui critiquent le bouclier fiscal, ceux qui veulent en finir avec l’ISF, voire même ceux qui veulent renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu. Mais au-delà des apparences, il convient d’analyser quels seront les effets réels de cette réforme, tant sur le plan budgétaire que sur le plan de la répartition de la charge fiscale. C’est le superbe boulot qu’ont effectué les syndicalistes du syndicat unifié des Impôts. Allez, faites un petit effort même si, comme moi, vous êtes nuls en maths.
Par exemple, supprimer l’ISF coûterait 3,4 milliards d’euros, supprimer le bouclier permettrait d’économiser 679 millions d’euros. Ne comparez surtout pas, car vous auriez une syncope, puisque ce serait un nouveau trou dans les recettes de l’Etat, mais surtout un cadeau somptueux fait aux privilégiés que l’on croyait évanouis depuis la nuit du 4 août 1789, qui devrait être un jour férié pour les salariés. En revanche, la création d’une nouvelle tranche à l’impôt sur le revenu rapporterait, selon les scénarii (tranche à 50 ou à 45 %) entre 700 millions et 1,9 milliard d’euros. Bilan calculé par les spécialistes : il manquerait entre 700 millions et 2,5 milliards d’euros pour boucler budgétairement la réforme. Devinez où on les trouvera : dans la baisse des dépenses prônées par Fillon et Juppé, qui correspondent en fait, purement et simplement, à un massacre des services publics ! moins d’emplois, moins de services, davantage de précarité et surtout beaucoup plus de bien-être pour le petit nombre de celles et ceux qui les récupèreront
L’ISF est un impôt sur le patrimoine, payé par les contribuables dont le patrimoine net (le patrimoine total déduction faite des exonérations totales ou partielles -biens professionnels, pacte d’actionnaires-, des abattements -30 % sur la résidence principale- et des dettes) est supérieur à 790 000 euros au 1er janvier 2010. Est-ce véritablement une charge terrible, quand on atteint ce niveau de biens ? Si l’on supprime cette contribution à la solidarité républicaine, le résultat conduira à alléger la participation de…. 559 000 contribuables de 3,59 milliards d’euros. Aviez vous perçu le piège ou le cadeau ? D’autant que derrière la proposition sarkoziste, on sait que si le bouclier fiscal a coûté 679 millions d’euros au budget squelettique de l’Etat, il bénéficie à 19 000 personnes seulement. C’est donc un élargissement considérable de la bonté présidentielle qui va récompenser pour un bon et loyal soutien une poignée de bénéficiaires nantis, déjà imposables à l’ISF, qui seront, eux, doublement gagnants. Il y aurait encore une fois une élite du profit habilement arrosée.
Il faut alors, au moment de ce tour de passe-passe réalisable, car personne ne prend le temps de décortiquer les lois, rappeler que l’impôt dit sur le revenu impose les revenus d’un foyer fiscal au barème progressif (5 tranches, de 0 à 40 %). Mais en réalité, les « revenus financiers » (dividendes…) peuvent être imposés au taux de 18 % (plus les prélèvements sociaux de 12,1 %, soit un taux global qui demeure avantageux pour les contribuables dont les revenus excédent largement le seuil de la dernière tranche à 40 %). Or, ce sont les ménages les plus aisés qui bénéficient des revenus de patrimoine : selon l’INSEE, les 10 % des ménages les plus aisés reçoivent les deux tiers des revenus du patrimoine, les 1 % les plus aisés en reçoivent 32 % (ces revenus représentant la moitié de leurs revenus). Relever la dernière tranche de l’impôt sur le revenu à 45 % voire à 50 % exonèrerait ou toucherait peu les contribuables dont l’essentiel des revenus est constitué de revenus financiers. CQFD : dans le fond, je serais UMP genre Bettencourt, je donnerais une petite pièce aux inventeurs de cette esbroufe technique qui me rajeunit. En 1968, j’ai soutenu pour le premier scrutin de ma vie citoyenne, au premier tour, un certain Henri Souque, candidat du PSU qui était inspecteur des finances. Il m’expliquait que, dans le fond, la fiscalité permettait à celles et ceux qui la confectionnaient toutes les manipulations possibles. Et il avait raison, mille fois raison.
Supprimer l’ISF, le bouclier fiscal et créer une tranche à 45 ou 50 % de l’impôt sur le revenu, comme le proclame avec un aplomb tonitruant le Chef de l’Etat, reviendrait donc à alléger l’impôt des rentiers et augmenterait plus ou moins significativement l’impôt d’une partie des 341 000 contribuables situés aujourd’hui dans la dernière tranche de l’impôt sur le revenu. Parmi eux, se trouvent des contribuables aisés, mais tous ne sont cependant pas à l’ISF, ni bénéficiaires du bouclier fiscal. Or, ce sont bien ceux qui paient l’ISF et bénéficient du bouclier fiscal qui gagneraient à une telle réforme… et les pauvres couillons qui auront cru au miroir tomberont comme des alouettes rôties dans le Pôle emploi. Mais bien entendu, je ne vous ai rien dit et je n’y connais pas grand chose… tout ça n’est qu’un tissu d’élucubrations de syndicalistes farfelus. Attendez votre ardoise des impôts locaux 2012 et vous reviendrez lire cette chronique, si vous avez encore les moyens de payer votre triple abonnement qui aura augmenté de 12 % par la grâce de Baroin !

Cet article a 3 commentaires

  1. mathilde

    Dans la même veine, et pour bien comprendre ce qui se passe d’une façon très générale et très simple (lecture vraiment facile)achetez et offrez à Noël ce bouquin. Après lecture, personne ne peut plus ignorer l’ampleur du désastre.
    PS: je n’ai aucune action, ni aucun intéret direct sur les ventes!!..

    La France des riches : Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon (Broché – 9 septembre 2010)

  2. Annie PIETRI

    Tu as raison, Jean Marie, cette chronique est très technique, et nombre de tes lecteurs penseront que cela ne les concerne que de très loin puisqu’ils ne sont pas soumis à l’Impôt sur la Fortune, qu’ils ne profitent pas du bouclier fiscal, et qu’ils ne paient pas l’Impôt sur le revenu dans la tranche la plus élevée… Mais ils doivent cependant comprendre que nous sommes tous concernés, ne fût-ce que parce que c’est un nouveau pas de géant dans l’inégalité. Quite à les ennuyer un peu plus, il m’a semblé qu’un exemple chiffré leur permettrait de mieux comprendre l’enjeu…et la supercherie que leur propose le Président de la République.
    Imaginons un célibataire (très riche) qui déclare 100 000 euros de salaire annuel et 500 000 euros de revenus financiers grâce au patrimoine dont il a hérité :
    Avec un patrimoine taxable à l’ISF de 30 millions d’euros son ISF s’élève à 463 400 euros. Il paie aussi 25 000 euros d’impôts locaux, et 71 000 euros de prélèvements sociaux. Le bouclier fiscal dont il bénéficie s’élève à 372 938 euros (ce qui le situe parmi les 1000 plus grands bénéficiaires du bouclier, qui perçoivent chacun un remboursement moyen de 370 000 euros).
    Pour notre heureux célibataire, la réforme annoncée (suppression de l’ISF, suppression du bouclier, création d’une tranche supérieure de l’impôt sur le revenu) va avoir les heureuses conséquences suivantes : il économisera 90 462 euros, grâce à la suppression combinée de l’ISF et du bouclier (463 400 – 372 978 =
    90 462 ). Certes, il acquittera un peu plus d’impôt sur le revenu : 958 euros si le taux de la nouvelle tranche est fixé à 45%. Mais globalement, il paiera 89 504 euros de moins. Et voilà, le tour est joué ! On clâmera qu’on a donné satisfaction à la gauche en supprimant le bouclier fiscal…. Mais en fait, en ayant en même temps supprimé l’ISF, on aura encore fait un cadeau somptueux aux plus riches. C’est cela la Justice fiscale selon Sarkozy et ses acolytes.
    Vous comprenez mieux, mes camarades, pourquoi il était important de lire jusqu’au bout la chronique de Jean Marie.
    Et pardonnez moi d’avoir été si longue !

  3. J.J.

    Merci pour cette démonstration qui ne fait que renforcer le pressentiment que l’on a déjà : rien de bon pour les non nantis ne peut venir de ce gouvernement « ploutocratique »,comme on aurait dit il y a quelques décennies.

    La suppression « séche » du bouclier fiscal aurait certes été une bonne chose (et le cas échéant une réforme juste de l’ISF), mais assortie de celle de l’ISF, on subodore bien que c’est une magouille à sens unique.

Laisser un commentaire