Du cassoulet radsoc au pince-fesse chic

Durant la IIIème République, toute la vie politique se jouait autour d’une table bien garnie. La « radicalité » s’accompagnait d’un symbole, monté dans la capitale depuis le Sud-Ouest : le cassoulet ! On déjeunait avec les Maires d’un territoire avec un bon litron de rouge, de la cochonnaille et une cassolette fumante, avec, en conclusion, une tourtière pour régler les investitures et faire progresser… les idées ! La moquerie a fait péricliter ces habitudes, qui permettaient de faire des tours de table plus efficaces que toutes les argumentations sereines. Ce serait véritablement commettre un péché d’orgueil que de croire que cette tradition de la « politique gastronomique » a disparu. Au contraire, elle a permis à de nombreux parlementaires sans convictions de se faire élire avec aisance. Un bon gueuleton vaut beaucoup mieux que plusieurs réunions publiques ! Un ventre bien plein élimine bien des réticences.. D’abord, parce que dans notre société, tout ce qui est « offert » prend une valeur particulière et ensuite parce que c’est entre la poire et le fromage que se scellent, dans une pièce discrète, les accords les plus durables. Désormais, le « cassoulet radical » a fait place au « repas partenarial »
La table permet aussi des miracles, en regroupant les ennemis de hier et en les transformant en amis d’un instant, avant de devenir, un coup à boire aidant, des alliés objectifs pour sauver les meubles. C’est incroyable combien les buffets, les lunchs, les soupers, adoucissent les mœurs et favorisent l’oubli. Plus personne, au moment du café, ne se souvient des trahisons, des engueulades, des méfiances, des concurrences… La notabilité se conquiert avec la capacité que l’on a à offrir à bouffer. C’est certainement typiquement français car c’est une tradition qui a résisté au temps ! Encore faut-il avoir un budget pour parvenir à entretenir ce lobbying de la bonne chère. Il faut donc avoir de l’estomac pour faire carrière et ne pas se laisser démonter par un plat ou un breuvage hors normes.
Une campagne qui s’adresse au suffrage universel passe par l’organisation d’apéros. Pas plus, car les reproches sur une éventuelle débauche d’argent produirait l’effet contraire à celui recherché. Il faut être « sobre » et « discret » pour rassembler autour du même dénominateur commun le maximum de gens. En fait, rien n’est pire que de proposer des repas ostentatoires. La cacahuète, le saucisson, le fromage en cubes et le kir demeurent les fondements d’une action conviviale mesurée. L’électrice sera soignée avec du jus de pomme et son alter-ego masculin aura droit à un vin rouge de qualité, produit sur le territoire où on se trouve. La proximité passe par le verre en plastique ou depuis quelques temps par celui qui se déclare biodégradable ! Il est l’apanage de l’élu de terrain, mais s’il entretient l’amitié, il ne convainc guère au-delà des frontières traditionnelles.
Pour une campagne plus individualisée, il faut donc ouvrir un budget « repas » conséquent pour réussir à récolter les quelques voix qui font une responsabilité. Les candidats qui possèdent un crédit institutionnel ne se préoccupent pas trop de savoir si leur argumentation a une quelconque valeur : ils arrosent au sens propre comme au sens figuré. Ils dénichent en plus des partenaires en tous genres pour assumer des gueuletons de grande qualité qui étayent leur pensée politique et la… renforcent. Une femme ou un homme qui vous offre un festin ne peut pas être une mausaive femme ou un mauvais homme. J’avoue que j’ai un faible pour ces agapes républicaines, car avec un ouïe fine, et en sachant être patient, on apprend beaucoup plus qu’en lisant le journal. Pour s’informer, il est indispensable de se promener négligemment, un verre à la main, entre les groupes, en faisant semblant de s’intéresser à tout autre chose qu’à ce qui se passe à proximité. C’est fou ce que l’on peut dire de mal de « ses » amis de toujours, mais avec toujours un air de conspirateur qui permet de donner à la confidence une sincérité exceptionnelle. Tenez, lors d’un récent pince-fesses parisien, j’entendais de mon oreille droite une personnalité UMP demander doctement à une autre personnalité de gauche de « la débarrasser du mentor de Gironde Avenir » jugé « néfaste pour la majorité présidentielle »… Elle ajoutait : « bien évidemment, si tu répètes ce que je viens de te dire, je le démentirai ». Bien entendu, mais pas répété ! C’est André Labarrère qui m’a appris que plus un invité à une réception vous assure de son soutien, plus vous devez être méfiant. « S’il te répète sans arrêt que tu peux compter sur lui, méfies toi, il ne votera pas pour toi et il essaie de se dédouaner avant de trahir ! » Sage conseil !
Les repas, faute de sceller les alliances durables, mettent souvent fin de manière purement factice aux haines durables ! C’était étonnant de constater que des gens qui se sont concurrencés, entretués, dépecés se retrouvent comme des amis de trente ans ! C’est aussi dramatique pour la sincérité de constater que le seul ciment politique, c’est la défense de son intérêt personnel au nom de l’intérêt général. Il est aussi épuisant d’expliquer sans cesse que l’on peut être dans la politique sans ambition autre que celle de servir les valeurs que l’on défend… je m’épuise à répéter que je me contente de répondre aux sollicitations de personnes en qui j’ai confiance, et que je ne suis candidat à aucun poste tellement désiré par d’autres plus capables que moi de les revendiquer. Dans ces repas politiques, il faut se fermer les oreilles, ne pas croire à tout ce que l’on entend, et noyer son chagrin républicain dans les verres de l’excellent vin rouge que l’on y sert. Il est indispensable de ne pas s’interroger sur qui paye, et plus encore ne pas se bercer d’illusions sur l’efficacité de son discours. Il devient urgent de se fondre dans la masse et de ne pas trop critiquer, car on court le risque d’être mis à l’index. Alors, depuis lundi à Paris j’écoute, je mange et je bois sans me poser de questions, mais parfois je digère mal… mais avec du bicarbonate de soude en sachet, on finit par supporter la cuisine politicienne, confectionnée avec enthousiasme par les maîtres queux de… l’apolitisme de droite !

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