Les messages venus de la mer du temps

Deux mails reçus, parmi la centaine qui atterrissent comme des OVNI sur ma messagerie, ont brutalement bouleversé ma journée. Ils sont pour moi les plus superbes correspondances reçues depuis des mois avec ceux de mes collègues normaliens qui accompagnent la sortie de mon bouquin « Jour de rentrée ». Ils viennent de deux élèves de ce fameux premier jour où je suis officiellement entré comme instituteur (une qualification aujourd’hui disparue et un mot condamné) dans leur vie. Denis et Alain ont éclairé ma journée et l’ont rendue exceptionnelle. Tous deux sont revenus sur ce passé que je chéris car il fut le fruit d’une longue croissance des valeurs qui guident chaque pas dans la vie publique. Personne, à par moi, même si cette affirmation semble nombriliste, ne mesurera la valeur de ces mails inattendus… Si je ne savais pas les raisons qui m’ont poussé à écrire ce livre, ils me les ont fournies puisque 43 ans plus tard, je suis encore présent dans leur parcours d’adultes.
« Quelle émotion en voyant cette photo, m’écrit Alain. Ma sœur, toujours à Castillon, m’a dit que cette photo a paru sur un journal. Je cherche depuis, dès que j’ai le temps, sur le net, et j’ai trouvé votre blog. Je suis assis à gauche de la photo, que de visages, de noms oubliés qui reviennent à ma mémoire. Pas tous hélas.
Il me semble me souvenir que nous étions votre première classe, je me souviens très bien de vous comme un des plus sympa des instits que j’ai eu (avec M. Minvielle, pas sûr de l’orthographe de son nom). Je faisais partie des cancres purs et durs, toujours dans les derniers de la classe. Cela m’a fait plaisir de revoir cette photo de classe.
Le temps passe vite, 44, 45 ans? Depuis la photo ? Je ne sais plus, mais c’est émouvant ».
Il faut avoir été instituteur pour connaître l’importance de ces modestes mots lancés sur la toile. C’est la plus belle des récompenses, car ce message est totalement désintéressé, totalement déconnecté de ce quotidien d’élu où il faut toujours avoir des yeux derrière la tête, se doper pour croire en la sincérité, et se persuader en permanence que l’on a une utilité sociale. Denis m’avait délivré quasiment le même mail avant de se mettre à la recherche de ces quinquagénaires actuels qui furent des élèves d’un cours moyen 1 d’une école publique comme tant d’autres. il veut les revoir. Il a besoin de les rencontrer, de les retrouver avec moi, pour mesurer le chemin parcouru, celui qui ressemble parfois à un sentier malaisé ne conduisant pas nécessairement vers les sommets.
On ne se débarrasse jamais de sa blouse d’instituteur. Je ne serai jamais un « défroqué » ayant perdu sa foi dans la république et ses vertus. Je sais, ce n’est pas glorieux, par les temps qui courent, d’affirmer que l’on a été un simple instituteur et que l’on a été fier de l’être. Il faut paraître, aligner les titres, cumuler les réussites. Alors, se contenter de deux messages arrivés comme des bouteilles à la mer sur le rivage du temps, relève de la mesquinerie. La société actuelle du paraître et de l’éphémère n’a cure de ces états d’âme. Elle préfère, et de loin, ce qui brille sous les sunlights, et elle se moque bien de l’arrivée d’un message rattrapant… 43 ans de silence. Denis et Alain avaient disparu, happés par la machine à broyer du temps. Grâce à un livre, les voici revenus sur les pages. Le seul fait qu’ils m’aient recherché pour pouvoir partager avec moi les joies d’un échange me touche profondément.
Nous sommes nombreux à avoir fait une place dans nos souvenirs à un (e) instituteur (trice) à un titre ou à un autre. Malheureux(reuse) doit être celui (celle) qui a traversé sa scolarité sans avoir croisé la route d’un « maître », c’est à dire d’un adulte susceptible d’imprégner sa vie. Si nous avons eu un père ou une mère physiologiques, nous ne sommes le résultat que des rencontres avec des pères ou des mères spirituels. La réussite que nous croyons trop facilement la nôtre n’est que la résultante de notre capacité à prendre chez les autres la substantifique moelle de ce que l’intelligence ou le talent qu’ils ont su vous offrir. Tout le reste n’est que vanité.
Sur France 2, Christophe Hondelatte, recevait ces profs balancés dans des classes terribles, où il n’ont plus aucun rôle de référence. Plus de formation. Plus de pédagogie. Plus de partage. Plus de vocation. Plus de suivi. Dans 43 ans, ces jeunes n’auront probablement aucun mail du type de ceux qui sont arrivés comme des bulles de nostalgie sur ma messagerie. Alain et Denis me raconteront… ce que j’ai toujours voulu savoir : que se passe-t-il dans la tête d’un gamin qui a face à lui un homme de 20 ans, chargé de lui faire aimer l’école ? Qu’attendaient-ils de moi ? Que leur ai-je apporté ? Qu’ai-je raté ? Plus de 40 ans après j’ai hâte de leur poser ces questions. Peu importe les réponses qu’ils oseront me donner, pourvu qu’ils aient le courage de m’en donner. «… j’ ai été au marché à Castillon , j’ y ai rencontré un ancien de la classe ( Laurent Musset), il est au courant du livre qu’il a acheté. Nous avons évoqué plein de souvenirs, car il y avait au moins 20 ans que nous nous sommes pas vus .Pourquoi ne pas essayer de retrouver un maximum de personne et se faire un petit repas ?… En attendant de vous rencontrer pour évoquer tout ça. Cordialement » Allez Denis, il faut écrire « je suis allé au marché » ! Et la concordance des temps t’oblige à écrire « nous ne nous étions pas vus » Mais que t’a appris ton instit’ ? Il devait être nul. Alors, qu’as-tu appris ? Que dis-tu ? « L’autonomie ? La responsabilité ? Le respect ? L’amitié ? » Des mots. Rien que des mots usés jusqu’à la corde sensible !

Cet article a 2 commentaires

  1. le voilà ton flambeau, cette lumière que tu as laissé sur les chemins de l’école. Tu as remis ta blouse bleue, repris Excalibur, la règle jaune qui te servait à allumer les boules en verre du plafond de notre classe à Créon pour que la lumière marche et qui claquait sur le bureau pour nous remettre à l’écoute et accessoirement servait à tracer les figures géométriques au tableau … Tu vois en fait la sauterelle bleue du chemin de Sadirac elle vole toujours, tu essayes toujours de la capturer parfois mais en fait tu nous l’a donné pour accompagner nos rêves d’enfants même si parfois tu doutes que nous ayons su la voir … nous l’avons vu dans ta classe un matin !

  2. Suzette GREL

    Maintenant tu sais pourquoi tu es un homme politique qui dérange….tu n’as pas quitté ta blouse d’instit!
    tu as raison de la conserver avec ses doutes et ses lumières qui humanisent les comportements de l’homme de responsabilités que tu es resté.

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