La trève de la déconfiture pour l'Education qui fut nationale

Lorsque l’on fréquente depuis l’origine, dans tous les rôles, les structures dites de concertation qui ont été créées dans l’Education nationale, on peut vérifier l’évolution sociale. En effet, ces instances (conseils d’administration, conseils d’école surtout) sont devenues des espaces réputés citoyens dans lesquels on ne parle vraiment plus de ce qui est décisif. Le débat n’existe pas, car chaque « collège électoral » se cantonne dans les poncifs des dialogues préfabriqués. Les parents d’élèves s’intéressent souvent à d’infimes détails de la vie de l’établissement (targettes des WC, ligne blanche à ne pas dépasser à l’entrée ou à la sortie, la longueur du repas, le bruit dans la cantine, le bruit dans la cour, le montant de la cotisation à la coopé ou au Foyer, l’utilisation des cartables à roulettes, la longueur du gazon de l’aire de sport…) sans se préoccuper de ce qui devrait être leur préoccupation essentielle : le temps scolaire, le projet éducatif, les motivations pédagogiques, l’encadrement en personnel qualifié. Je pourrais, en tant que parent, enseignant, directeur ou élu, faire un florilège désabusé de ces réunions qui consistent à débattre du superflu pour passer à côté de l’essentiel. « J’ai rencontré une mère qui m’a dit que… » et on enchaîne pour des affrontements passionnés entre le bloc enseignant se sentant agressé ou assiégé, et des parents s’estimant susceptibles de demander des comptes sur des faits sans intérêt véritable pour la réussite éducative !
La suppression des postes, le saccage absolu d’un système éducatif accablé par des flots de critiques, l’absence de crédits de cet Etat qui privatise à tout va pour favoriser la réussite par l’argent, les atteintes profondes et durables à la laïcité, ne passionnent personne dans un conseil, quelle que soit son application. Absence croissante d’engagement citoyen du corps enseignant, écœuré par le sort qui lui est fait, et plus encore par absence totale de formation, union sacrée contre ce que l’on appelle la « politisation » de la vie sociale, rivalités syndicales ou associatives, qui rendent l’unité d’action impossible, disparition de ces creusets communs qu’étaient les « amicales » ou les « patronages » laïques, conduisent à une désolante passivité à l’égard des attaques dévastatrices du système public d’éducation.
J’ai vécu cette année, dans ce contexte, une soirée révélatrice de ce phénomène d’extrême individualisation qui transforme les parents citoyens en simples consommateurs éphémères (le temps du passage de leur progéniture géniale dans un lieu) du système éducatif. Inutile de parler des objectifs éducatifs, de parler des ravages des suppressions de postes, de parler d’équilibre des établissements, de chance accrue liée à des prises en charge plus individualisées, impossible de placer un mot sur le fait que les collectivités locales subissent les coupes sombres dans les écoles ou les collèges…l’assistance était sourde à toute argumentation raisonnable. Elle en voulait pour son argent, et dans un rapport « qualité-prix » reposant sur les apparences, et pas sur la réalité ! En effet, comment ne pas remarquer que c’est entre Noël et le réveillon du Jour de l’an que le Ministère de ce qui va bientôt être le radeau de la Méduse de l’Education nationale, annonce la suppression des postes pour la prochaine rentrée. Un pur hasard !
Aucune académie n’évitera des destructions de postes… d’enseignants face aux élèves. Le ministère de l’Education nationale vient de boucler la répartition, par des suppressions de postes consécutives à la Loi des finances. On passe aux actes à l’avant-veille du réveillon au cours duquel on va se présenter les meilleurs vœux de réussite pour les enfants ! Une razzia de 16.000 nouvelles suppressions de postes d’enseignants programmées au budget 2011 sur toute la France quelles que soient les évolutions démographiques. Le démantèlement se poursuit et j‘attends avec impatience les prochaines réunions des conseils d’administration et des conseils d’écoles pour rappeler que 13.500 avaient disparu en 2009 et 11.200 en 2008. Les parents vont sortir les banderoles quand ils apprendront qu’à la prochaine rentrée il faudra faire avec 8967 postes de moins en primaire, 4800 en collèges et lycées dans le secondaire et 600 administratifs. Sachant que dans le même temps, on attend 8900 nouveaux élèves en primaire et 48.500 dans le secondaire, il va falloir se rendre à l’évidence : les effectifs par classe déjà très lourds vont exploser. Le privé va justement vanter désormais ses équilibres librement consentis, et dans ses meilleurs établissements, limiter ses effectifs pour en faire un gage de qualité qui sera refusé au public. Lentement mais sûrement, on se dirige vers des usines pré-formatées à élèves standardisés qui passeront par les mailles du filet de la réussite de plus en plus fines. Les inspections académiques vont gratter poste par poste pour tenter de masquer la dure réalité : l’éducation n’est plus la priorité nationale puisque dans quelques années ce sera le remboursement des banquiers de l’Etat !
C’est véritablement une volonté politique forte, portée par le clan ultra libéral, qui gouverne en sous-main la France : tuer lentement mais sûrement ce qui reste le principal danger pour un gouvernement qui veut installer un autre régime que la République. Les dégâts de ces mesures qui vont se poursuivre ne seront mesurables que dans plusieurs années. Acculturation, niveau des connaissances faibles, manque de personnes responsables qualifiées, prépondérance de l’éducation par des médias contrôlés, creusement du fossé séparant les nantis pouvant payer une éducation choisie pour leurs enfants, des classes moyennes contraintes à accepter des classes surchargées pour les leurs. C’est délibéré. C’est voulu. C’est une tactique. Mais pendant ce temps, dans les conseils d’administration et les conseils d’école, on débattra de la groisseurs des pois ou de la longueur des frites à la cantine…

Cet article a 5 commentaires

  1. ERIC BELET

    A la décharge des parents siégeant en conseil d’école, l’objet de ces conseils n’inclut pas les aspects pédagogiques, domaine réservé des enseignants, mais vise essentiellement les aspects organisationnels ( donc plutôt les temps en dehors de la classe ). Et quand l’association de parents veut élargir le débat, elle n’est pas forcément suivie par la majorité de ses ( peu nombreux ) adhérents, dont une bonne partie est plus motivée par l’organisation de la kermesse que par des réflexions sur notre système éducatif (« on veut pas faire de la politique » ). Le travail de sape de l’éducation nationale s’accélère donc dans une indifférence effrayante.
    Bonne fin d’année quand même.
    Eric BELET ancien président du conseil local FCPE d’ARTIGUES PRES BDX

  2. J.J.

    Ce serait savoureux, si ce n’était tragique : les discussions à propos de la longueur des frites ou de la couleur du plafond de la cantine (pardon, du restaurant scolaire).

    Et évidemment haro sur le « politique » qui voudrait que l’on débate des décisisons et orientations ministèrielles : aucun interêt.

    On ne brandira la banderole de la révolte que lorsque l’I.A. aura confirmé la fermeture d’une classe.

    On dirait que tu as assisté à ça toute ta carrière, Jean Marie.

  3. sylvie

    Pendant ce temps là, dans les C A les parents votent contre le budget… et les professeurs eux votent comme Monsieur le Principal, parce que la pression serait trop difficile à supporter, il faudrait assumer de ne pas avoir de nouveaux ballons, des photocopies couleurs, de ne plus tourner avec un fond de réserve indécent (au risque d’une vilaine note de l’IA) et de plutôt privilégier la non augmentation du tarif cantine, l’alimentation du fond social.
    Il y a 5 ans à collège Château Gaillard Libourne, la catastrophe à gérer était le cout du chauffage (collège vétuste, chauffage au fuel)
    Aujourd’hui collège Marguerite Duras, Libourne, la catastrophe : le chauffage !
    Collège neuf en fonction depuis 2 ans. (Bâtiments neufs et chauffage au GAZ) !
    oui dans un collège neuf on peut installer de nos jours un chauffage au gaz et payer 28 000 euros de facture.
    Qui s’est engagé à veiller personnellement à l’installation d’un chauffage « propre et économique » ? le maire de Libourne, conseiller général et PS de surcroît.
    Alors il est un peu facile de tirer sur les parents, quand les politiques au pouvoir n’ont pas le courage de leurs ambitions et que les professeurs deviennent la fonction publique la plus « lâche » du pays.
    Nous sommes TOUS cautions du système, du plus petit au plus gros profiteur.
    Quand la gauche devient plus à droite que la droite…
    Après des heures de réunions, de conseils (m’être mis à dos tous les petits soldats du principal) j’irai vérifier aussi comment on mange à la cantine et comment surtout certains ne mangent pas !

  4. Sartori

    Pendant une dizaine d’années, j’ai exercé comme documentaliste contractuelle. C’est vrai : repas infâmes calculés au plus juste, permanences absentes ou surpeuplées, parents qui s’attachent aux futilités, empoignades stériles,professeurs dont certains ne sont plus de courageux « hussards ». Le plus grave, c’est au final, qu’on accorde si peu de place au savoir et à la culture !

  5. J.J.

    «  »Alors il est un peu facile de tirer sur les parents » » »

    Non, il n’est pas facile de tirer sur les parents d’élèves, il existe des parents d’élèves, dévoués et actifs dans certains conseils, et c’est tout à leur honneur (c’est vrai que de ceux là on n’en parle pas…)

    Malheureusement, la catégorie que j’ai rencontrée le plus souvent (comme enseignant et comme parent d’élève)est l’opportuniste- égoïste, dont la seule ambition est de se trouver au conseil le jour où on fait les affectations et les passages de classe.

    Evidemment, on remarque peu ensuite les naïfs (dont j’ai fait partie, en désaccord avec certains enseignants et certains parents…), qui se sentent investis d’une mission d’interêt général et qui se dévouent à leur tâche.

    Nous avons tort de généraliser : les assureurs sont tous des voleurs, les enseignants des vélléitaires, les fonctionnaires des paresseux etc, etc…

    De même il existe des parents d’élèves exécrables et d’autres parfaitement fréquentables et responsables….

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