La manipulation de la mort des otages

Il y a une telle avidité, à l’Elysée, de monopoliser en permanence l’attention des médias que l’on en arrive à des positions caricaturales. Le problème, c’est qu’elles défilent sur les écrans de cette télévision perverse et démobilisatrice, que personne ne prend le temps de les analyser. On se contente de les écouter, avec malheureusement les mêmes effets que l’eau sur les plumes du canard : tout glisse sans jamais ouvrir les fenêtres du doute dans les consciences citoyennes. Cette fin de semaine aura permis de vérifier que, souvent, l’iceberg des informations ne montrait qu’une face séduisante, dissimulant ainsi le plus important. Comment faire confiance à un Premier ministre, des Ministres, qui changent d’avis et de « vérités » toutes les heures, qui se contredisent, qui affirment avant de se rétracter ou de rectifier sur des sujets pourtant décisifs ?
Le 7 janvier, deux jeunes Français sont enlevés vers 22 h 30, par « quatre hommes portant des turbans et équipés d’armes automatiques, qui ont fait irruption dans le restaurant, a expliqué un témoin présent dans le bar. Sous la menace d’une arme, les deux Français sont alors contraints de monter dans un 4×4 aux vitres tentées immatriculé au Bénin. C’est le début d’une affaire d’Etat qui vaut une déclaration immédiate du Chef de l’Etat français qui, depuis les Antilles, fournit des infos sur le déroulement des opérations, preuve que c’est véritablement lui et le gouvernement qui ont pris les affaires en mains.
Le véhicule est alors pris en chasse par les forces de sécurité nigériennes et… des soldats français, qui surveillent la région. Objectif : empêcher le groupe de rejoindre la zone refuge, «qui constituait une menace grave pour nos otages», a expliqué le ministre de la Défense, Alain Juppé. Mais après un accrochage dans la nuit, au cours duquel le chef du détachement de la garde nationale nigérienne a été blessé, les terroristes auraient poursuivi leur progression en direction de la frontière malienne, située à environ 200 km au nord de Niamey. Si des échanges de tirs ont eu lieu, les forces nigériennes n’ont pas voulu ouvrir le feu sérieusement, de crainte de blesser les otages et de mettre leur vie en danger. Personne ne sait qui a donné l’ordre de ne pas « trop » tirer !
 Il est décidé par le Chef de l’Etat français de passer à l’action (pour ne pas avoir deux otages supplémentaires à gérer ? Par volonté de rouler des mécaniques ? Par mauvaise évaluation des risques ?) L’opération spéciale, mise sur pied en moins de douze heures par les forces spéciales françaises, en coopération avec les hommes de la Garde républicaine nigérienne, se poursuit. Les ravisseurs sont bloqués dans leur progression par des hommes du COS (commandement des opérations spéciales) débarqués, selon un témoignage local, dans deux hélicoptères. Cet assaut aurait eu lieu en territoire… malien et aurait été mené par les seules forces françaises. Ce qui sous-entend que, pour la suite de l’affaire, il ne faudra pas jeter la responsabilités sur les Nigériens qui sont restés chez eux !
 La communication officielle va débouler dès la fin de l’opération qui est présentée comme sans alternative. «Alors qu’ils se trouvaient dans la zone frontalière (sic), l’opération engagée, coordonnée avec des éléments français présents dans la région, a permis à ces derniers d’intercepter les terroristes à la frontière avec le Mali et de neutraliser certains d’entre eux », a commenté un représentant du Ministère de la défense. « A l’issue de cette action, les corps des deux otages ont été découverts sans vie », a-t-il ajouté, en présentant «ses condoléances attristées aux familles des victimes et à leurs proches». Circulez, il n’y a plus rien à voir. François Fillon entre alors en scène.
 « Les preneurs d’otage, lorsqu’ils se sont vu poursuivis, ont éliminé froidement les otages, selon les premiers éléments dont je dispose » déclare François Fillon, en préambule de ses vœux de nouvelle année à la presse. « Bien sûr, l’enquête sera approfondie. Et tous les résultats seront communiqués aux familles », a poursuivi le Premier ministre, après avoir évoqué un « drame ». En écho au président Nicolas Sarkozy, François Fillon a réaffirmé la « détermination » française contre le « terrorisme ». « Le terrorisme a brisé leurs vies, a dit le chef du gouvernement. Et pourtant (…), cela ne saurait entamer notre détermination à lutter contre ce fléau. » On exploite à fond, chacun à son tour, le drame pour faire frémir les chaumières. En fait, c’est un premier rideau de fumée médiatique qui va se dissiper au fur et à mesure. En fait, on apprend vite que les combats ont eu lieu non pas « dans la zone frontalière » mais bel et bien au Mali. Il annonce avec un coup de menton que 4 ravisseurs ont été tués (rappelons que les témoins en avaient bien vu 4 ) mais que deux « prisonniers avaient été faits et livrés aux autorités nigériennes ». Une seul certitude : les otages sont morts ! Pour le reste ?
 Au début, on avait affirmé que les commandos français avaient « encadré les militaires nigériens », qui venaient d’essuyer un échec lors d’un premier assaut. Ensuite, on a appris que des Français étaient blessés, et le lendemain, on se demandait même si les militaires nigériens avaient participé au combat, puisque « les militaires français seuls » auraient pris part à ce raid. Pourtant, on aurait trouvé trois corps portant un uniforme de gendarme… nigérien… Des terroristes camouflés, des soldats nigériens qui avaient été de l’assaut, des prisonniers ? Un ministre nigérien évoque la présence de 4 gendarmes nigériens blessés ou morts… pendant l’assaut, alors que les Français n’en ont pas vu, mais ils ont trouvé des prisonniers… qui doivent être des gendarmes !
 Dans une interview accordée à RFI le 11 janvier, le ministre de l’Intérieur nigérien a démenti purement et simplement les affirmations d’Alain Juppé selon lesquelles les deux ravisseurs arrêtés samedi par les Français avaient été remis aux enquêteurs nigériens. « Il n’existe pas actuellement de terroristes auditionnés par nos services , affirme Cissé Ousmane. Je peux affirmer que les services compétents nigériens ont reçu des autorité françaises, en deux phases, six cadavres et deux blessés. »
 Il restait à éclaircir les causes objectives de la mort de ces deux pauvres jeunes, sacrifiés pour raison d’Etat. Selon AQMI, « en lançant un assaut militaire pour tenter de libérer ses deux ressortissants, la France porte la responsabilité de la mort des otages. Dans le communiqué mis en ligne au nom du groupe islamiste, on peut ainsi lire qu’en raison des bombardements des avions français sur les véhicules des « moudjahidines », les combattants d’AQMI ont emmené l’un des otages loin du véhicule visé, mais n’ont pu prendre l’autre qui a été tué par des tirs français. Avant de poursuivre, en expliquant qu’avec les frappes aériennes constantes des troupes françaises, les « moudjahidines » ont alors pensé qu’ils n’allaient pas s’en tirer. Ils ont alors exécuté le second otage d’une balle dans la tête et ont décidé d’exécuter aussi six soldats nigériens (sic) qui, rappelons le, n’étaient pas présents. Ce serait donc d’autres victimes ? Les mêmes ? En plus ? L’autopsie provisoire va confirmer que l’assaut a été sans nuances et qu’en tirant dans le tas, les forces françaises n’ont pas eu une action très efficace, comme si quelqu’un avait donné l’ordre de stopper, coûte que coûte, cette nouvelle affaire de prise d’otages. Les balles sont diverses ? Le feu est intervenu ? Qui l’a déclenché ? Avec quelles armes ? La version officielle sera, n’en doutons pas, soigneusement confuse…
La seule vérité, c’est que deux Français sont morts en raison d’une décision de l’Elysée que plus personne n’assumera, pour une opération ressemblant à un fiasco militaire, pour avoir eu le tort de souper ensemble, heureux, dans un restaurant du bout du monde. Mais pour le reste, ce n’est que manipulations et approximations volontaires peu glorieuses d’un gouvernement qui n’assume rien d’autre que la communication faite sur le triste sort de ces otages.

Cet article a 5 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Bonjour Jean-Marie,

    Amen, la Messe est dite!

    Paix à l’âme des trois jeunes dont la future jeune épousée, et à leurs proches.

    Très respectueusement,
    Gilbert de Pertuis en Luberon

    Ps) Voir encore les infos de Paul QUILèS

  2. J.J.

    Cela ne fait que le troisième otage(ou le quatrième c’est selon…)qui en peu de temps aura trouvé la mort,suite à une intervention des forces françaises dites « spéciales ».

  3. Annie PIETRI

    Il est vrai que depuis le début de cette affaire les récits qui en étaient faits laissaient entrevoir….au minimum des zones d’ombre! Les affirmations péremptoires des uns, aussitôt contredites par les déclarations des autres ne pouvaient que susciter la méfiance et l’incrédulité de citoyens exerçant leur sens critique….
    Personne, au gouvernement, ne peut se glorifier de ce qui s’est passé, puisque l’opération de soit-disant sauvetage s’est terminée par la mort de jeunes innocents qui avaient toutes les raisons d’être heureux de vivre !
    Et pourtant, Monsieur Sarkozy n’hésitera pas,demain, à transformer cette malheureuse affaire en opération médiatique, accompagné en cela par « plusieurs membres du gouvernement », à ce que je viens d’entendre ….
    Pour moi, c’est totalement insupportable !

  4. revilio

    « le savoir faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permettent de régler des situations sécuritaires de ce type »……dixit MAM à l assemblée nationale…bilan :2 vies volées…..

  5. J.J.

    Je pense que si certains responsables nationaux avaient pour « deux sous »de pudeur, d’honneur et d’amour propre, ils resteraient à l’ombre et feraient profil bas dans de semblables circonstances.

    Non, on va se montrer, se pavaner en prononcer de fortes paroles creuses, faire encore des promesses définitivement provisoires(ou provisoirement définitives).

    En bref, instrumentaliser ainsi une forme de propagande indécente, en jouant sur l’émotion du moment et en apportant une mascarade de soutien que les familles en deuil auraient bien de la peine à refuser.

    C’est faire bon marché de la vie et de la douleur d’autrui

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