Le procès permanent du débat contaminé

Quand on est candidat sur son nom à une élection et que l’on revendique la confiance d’un corps électoral, on sait pertinemment que le risque de l’échec existe. Affirmer le contraire relève de la méthode Coué, qui se pratique de plus en plus souvent. Il faut avouer que dans la période actuelle, toute candidature constitue une sorte de défi, puisque la société française a tourné délibérément le dos aux choix reposant sur des convictions. Lentement mais sûrement s’est imposé, par la faute des « politiques » qui comptent, une sorte de marécage idéologique qui engloutit tous les discours et toutes les propositions. Relayés par un système médiatique tout puissant, avide en permanence de la forme et rarement du fond, les déclarations ou les comportements s’estompent jour après jour.
Durant près de deux mois j’ai parcouru la Gironde, pour tenter de rencontrer des maires et débattre avec eux des conséquences de la réforme territoriale, mise en place par un gouvernement qui cherche par tous les moyens à laminer le pouvoir local qui lui échappe. Un travail de pédagogie citoyenne plus que de campagne électorale proprement dite, qui a montré ses limites. D’abord parce que, dans ces réunions, j’ai rencontré majoritairement des élus déjà… convaincus des effets de la réforme sur la vie démocratique locale. Cette situation d’auto-conversion sur un sujet reste la pratique sociale la plus usitée. On ne vient plus dans un espace pour s’informer, mais pour se conforter. On ne va plus vers le statut de débatteur, mais vers celui de supporteur. On ne souhaite plus être contradicteur mais uniquement partisan. Il en va ainsi de tous les étages de la vie sociale, et pas spécialement de celui de la vie politique. Quasiment plus personne ne court le risque de la découverte dans le domaine culturel, puisqu’il faut un label télévisuel fort pour qu’un spectacle rencontre un écho favorable.
L’opinion se construit dans un rapport positif acquis et pas nécessairement après une confrontation de ses certitudes avec la réalité. Dans une tournée électorale personnelle (tous les frais ont été réglés par mes soins), qui m’a permis de rencontrer 150 élus, je suis certain d’en avoir convaincu… un seul, qui était arrivé avec un positionnement défavorable à mon égard. Le matin du vote, lors des huit minutes de ma présentation improvisée devant l’assemblée des Maires de Gironde, je suis certain d’avoir donné des arguments de « sécurité intérieure » à celles et ceux qui ne voulaient pas, de toutes manières, voter en ma faveur, et j’ai simplement rassuré celles et ceux qui étaient spécialement venus pour voter pour moi.
En fait, seul le bouche à oreille, les « appréciations de réseaux », ont fonctionné sur une élection de ce type, me permettant de ne pas être battu (4 voix d’avance chez les Maires) par une assemblée, mais de l’être par l’autre grâce à une combine d’adhésions tardives mais décisives. En fait, le PS ne mesure pas l’autisme actuel de la population, qui se referme sur elle-même, refuse d’entrer dans un débat indispensable sur son avenir, se recroqueville sur des approximations ou des poncifs que personne ne peut déraciner. Honnêtement, je suis extrêmement inquiet par ce constat, qui reflète un rejet absolu du débat démocratique, que la Droite tente, par tous les moyens, d’occulter, par exploitation pure et simple du rejet du politique dans l’opinion dominante. Le mal me parait tellement profond (même dans les propres rangs d’une certaine Gauche), que je le crois incurable; et je crains que nous ayons malheureusement beaucoup de chances de voir se renouveler l’épisode au premier tour des Présidentielles 2012. En fait, plus éclatent des « affaires » politico-médiatiques, et plus le pouvoir en place en tire profit, même si elles visent des personnalités de son propre camp, puisqu’elles renforcent l’imperméabilité des gens à toutes les argumentations structurées. Rien n’y fait !
Lors d’un repas, récemment, je me suis installé à une table, avec des personnes, pour les unes connues pour leurs opinions d’extrême droite et, pour les autres, Gaullistes. Une rencontre enrichissante. Un convive, qui m’accablait de reproches sur la Gauche, m’a lancé : « Quel est l’homme d’Etat que vous avez à gauche ? » J’ai eu le malheur de lui dire que, parmi toutes les personnalités que j’avais pu côtoyer, un seul me paraissait avoir la stature, en toute objectivité, d’un Homme d’Etat, c’était Laurent Fabius . J’avais pris toutes les précautions, en leur disant bien que mon choix allait provoquer des commentaires de leur part, que j’étais sincère dans mon analyse, que ce n’était pas une affaire de parti pris, mais le fruit de ce que je pensais profondément : j’ai provoqué un tollé. Une agressivité difficilement supportable, car immédiatement est revenu le « sang contaminé », alors que quelques instants auparavant les mêmes personnes, réputées intransigeantes sur la morale, oubliaient leurs propos sur le Médiator, sur la canicule mortifère, sur les attentats de Karachi. Impossible d’expliquer que mon choix portait sur autre chose que des apparences, que ma préférence s’appuyait sur des arguments, sur du vécu, sur des réalités et sur l’intelligence des argumentations développées par celui qui a la stature d’un président de la république. Inutile même de poursuivre l’échange, face à un bunker idéologique confinant au sectarisme. Aucune condamnation contre Laurent Fabius, mais la valeur humaine est dégradée par des certitudes non avérées mais irrémédiablement ancrées dans l’opinion dominante.
Lors de l’élection des Maires de Gironde, le clan « apolitique » louait les mérites exceptionnels d’un sénateur UMP ne faisant pas de politique, lui ! Un sénateur ayant remplacé, dans le fauteuil de Président, Alain Juppé condamné à… 14 mois de prison avec sursis et à un an d’inéligibilité, redevenu ministre d’Etat, sans que l’opinion publique ne s’en offusque. La même opinion « apolitique » des Maires ne se posait même pas, la simple question de savoir les raisons pour lesquelles elle était convoquée in-extrémis à voter (démission pour démêlés avec la justice du Président UMP sortant). Aucun état d’âme. Aucune remarque. Aucune évocation des circonstances de sa démission. Aucune citation de son nom. Le silence absolu, sauf pour commenter la campagne d’explications, d’échanges, que j’avais faite, et qui, selon les avis de beaucoup, avait été trop… politique, trop sectaire, trop effrayante, trop tout ce que vous voulez. En fait, j’ai probablement eu le tort d’ouvrir un débat dans un cadre où, d’habitude, il n’y a jamais de débat avant le vote. Transposez ce constat à 2012… et attendez le résultat sans illusion.

Cette publication a un commentaire

  1. Cubitus

    Je souhaiterai juste faire une réflexion sur une conviction qui n’engage que moi mais qui est néanmoins partagée, je pense, par grand nombre de nos concitoyens.

    Un homme politique, élu ou ministre, ayant fait l’objet d’une condamnation définitive pour des faits en rapport avec son statut ou ayant été reconnu responsable dans un scandale ou pour avoir profité de sa fonction en vue d’obtenir des avantages personnels pour soi ou en faire profiter les amis devrait avoir l’honnêteté et la décence élémentaires de se retirer de la vie politique. De façon définitive.

    Je me souviens trop du « responsable mais pas coupable » lancé justement lors de l’affaire du sang contaminé. Rien que cette phrase était en elle-même un véritable scandale. Cela est difficilement supportable.

    On nous parle régulièrement de la moralisation de la vie politique. Il faut donc croire qu’elle est immorale. D’autant que vu de la « France d’en bas » selon l’expression consacrée, c’est franchement soit utopique, soit du bourrage de crâne.

    Comme dans l’affaire du Mediator, celle de l’hormone de croissance etc, on a mis en danger la santé et même pris le risque d’entraîner la mort de nombreuses personnes au nom du seul profit ou d’intérêts financiers. C’est inadmissible.

    Mais les électeurs et les hommes politiques ont souvent la mémoire volatile. Pas pour les mêmes raisons sans doute.

    Je ne connais pas personnellement Laurent Fabius. Il est certainement très brillant, il l’a montré, d’une grande compétence et il a sans doute la stature d’un Chef d’Etat comme vous l’affirmez. Malgré tout, et j’en suis désolé, mais lorsque j’entends son nom, moi aussi c’est l’histoire du sang contaminé qui me vient à l’esprit. Et je ne me situe pourtant pas à droite. Tout comme le nom de Woerth est indéfectiblement lié à Bettencourt et à Chantilly, celui de Giscard aux diamants de Bokassa et celui de Sarkozy… à Servier.

    Maintenant, ce que j’en dis n’empêchera pas le Monde de tourner et les « affaires » de continuer…
    Alors si en 2012, au second tour, Fabius devait se retrouver face au locataire actuel de l’Elysée, je voterais pour lui bien entendu, mais aussi bien à contre-coeur croyez le bien.

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