Au créneau pour changer le partage de la rue

Colloque Strasbourg, 10 février 2011
« Le code de la rue, une nouvelle façon de vivre la ville »
Intervention en tant que Président national du club des Villes et territoires cyclables.

Organiser avec Strasbourg et à Strasbourg un colloque nous est particulièrement agréable et symbolique, au Club des villes et territoires cyclables :

 agréable d’approfondir les problématiques de la mobilité durable dans la ville qui s’enorgueillit à bon escient d’avoir « un vélo d’avance ».

 symbolique de venir dans l’une des 10 villes fondatrices de notre réseau, il y a un peu plus de 20 ans.

 symbolique aussi d’y être accueilli par mon ami Roland Ries, aujourd’hui Maire de cette ville et, il y a 20 ans, adjoint aux Transports, déjà convaincu avec quelques autres élu-e-s de la nécessité de développer le vélo comme mode de déplacement, et de trouver les solutions qui favoriseront son insertion dans nos villes.

C’est l’occasion pour moi, qui ai l’honneur de présider ce réseau qui réunit aujourd’hui plus de 1000 collectivités territoriales – métropoles, petites villes, régions, villes moyennes, départements, intercommunalités… – de lui rendre hommage, ainsi qu’à celles et ceux qui ont lancé la dynamique autour vélo quotidien, en 1989. Et qui ont créé notre Club !
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis ce lancement du Club en 1989, beaucoup de collectivités l’ont rejoint, l’enrichissant de leur savoir-faire et de leur expérience. Le Club est aujourd’hui un acteur incontournable du vélo et de la mobilité durable.
En 1989, le slogan dont se dotait notre réseau était « partageons la rue ». Dès le départ, le développement du vélo était abordé dans une réflexion plus globale sur la mobilité, sur le partage de l’espace, sur la modération de la vitesse.
Aujourd’hui, plus que jamais, la cohabitation des modes de déplacement, la mixité des mobilités et des usages de la rue, sont au cœur des préoccupations des gestionnaires de voirie, des aménageurs et des élus que nous sommes.

Le Code de la rue est la traduction de ces enjeux, l’aboutissement d’une démarche engagée en avril 2006, au lancement de laquelle le Club a très largement participé.
Le Code de la rue, c’est plus qu’une démarche réglementaire !
Comme l’indique le titre de notre colloque, c’est « une nouvelle façon de vivre la ville » ! C’est une nouvelle manière de vivre sa ville !
C’est en quelque sorte un « nom de code » pour une nouvelle approche de la ville, des usages et des usagers de la rue ! C’est le passage du statut de consommateur de l’espace public à celui de citoyen utilisateur d’un espace partagé.
J’aime aussi tout particulièrement le titre de la Rencontre du Club au printemps 2006, qui faisait suite à notre congrès national de Lille, lequel avait donné le coup d’envoi d’une réflexion sur le code de la rue, sur le modèle de la Belgique. Cette Rencontre s’intitulait « la ville multi-usages, multi-visages ».
Ce titre résumait bien l’objectif de diversité tant des usages de la rue que des femmes et des hommes qui y vivent, y séjournent, s’y déplacent, travaillent, s’y arrêtent, s’y rencontrent…
Dès 2005 et en 2006, notre Club s’est fortement mobilisé sur cette problématique : nous avons accueilli nos collègues belges à plusieurs reprises, de la ville de Courtrai, du ministère des transports et de l’Institut belge de la sécurité routière pour profiter de leur expérience, notamment à partir du 1er janvier 2004, qui avait été le coup d’envoi de leur code de la rue.
Chez nous, c’est le ministre des Transports, alors Dominique Perben, qui a donné ce coup d’envoi en avril 2006. Nous l’avions rencontré dès le lendemain du congrès de Lille.
Les medias avaient été nos alliés dans cette aventure, en relayant nos propositions et en faisant une large publicité au code de la rue, avant même que la DSCR ne soit missionnée pour piloter la concertation.
En cela, la démarche était déjà innovante : réunir des représentants d’usagers très différents, des acteurs de la rue, des opérateurs, des collectivités locales… était déjà une démarche innovante. Les Pouvoirs publics avaient plutôt l’habitude d’entendre séparément ces catégories et leurs représentants. Et les opposaient parfois artificiellement.
Si l’évolution réglementaire est au cœur de la démarche nationale, elle n’épuise pas le « code de la rue » qui est bien plus qu’un seul nom pour désigner des aménagements nécessaires de la réglementation, pour mieux prendre en compte tous les usagers de la rue et non les seuls flux automobiles.
Le code de la rue, c’est un état d’esprit : des aménageurs, des décideurs, des usagers.
Côté aménageur, c’est penser l’interface entre le piéton, l’usager du bus ou le cycliste et leur environnement. C’est concevoir un aménagement qui induit le bon comportement du piéton, son confort, sa sécurité, et non uniquement qui corrige les effets indésirables de l’infrastructure sur telle ou telle catégorie d’usagers.
Côté décideur, c’est faire de la relation un angle privilégié : relation entre les modes de déplacement, relation entre les usagers, relation entre la ville et la mobilité… Et bien entendu, favoriser la co-conception, l’expertise d’usage et la participation en impulsant des dynamiques de concertation.
Côté usagers, c’est s’ouvrir à d’autres points de vue, concevoir les autres modes non pas comme des obstacles à son déplacement, mais comprendre les autres usagers de la rue, être en capacité de passer d’un mode à l’autre et d’envisager de le faire … C’est concilier la liberté de déplacements avec l’égalité des supports de déplacements. C’est aussi admettre l’autre dans son approche différente de ses déplacements.
En d’autres termes, il faut enfin, et sans délai, passer de la ville routière à la ville pour tous !
Ne plus raisonner en vitesse nominale de chaque mode de déplacement – comme critère de performance – mais en capacité de ce mode de donner accès à un grand nombre de services, de fonctions urbaines, d’activités et de gens. C’est tout l’état d’esprit de la démarche nationale et locale du code de la rue, et il faut le valoriser. Il faut donner envie, et en cela, cette démarche est innovante car elle ne cantonne pas les problématiques de mobilité et d’aménagement urbain aux seules questions de respect de la règle, de sécurité et d’accessibilité. C’est bien, à travers ce code, notre capacité à vivre-ensemble qui est en jeu !
Cependant, 5 ans plus tard, le bilan de la démarche nationale est en demi teinte. Un constat toutefois : la dynamique est lancée et on ne pourra pas faire marche arrière. C’est un acquis important qu’il ne faut pas sous-estimer. Des évolutions réglementaires conséquentes ont vu le jour en 2008, à l’issue d’un travail collaboratif important pendant les deux premières années : principe de prudence, création de la zone de rencontre, généralisation des double-sens cyclables dans les zones apaisées. Mais depuis, force est de constater que la démarche se traîne ! Les délais, les incertitudes et le faible portage des chantiers en cours ne sont pas l’un rassurants.
Le Club sollicite actuellement un rendez-vous auprès de Nathalie Kosiuscko-Morizet pour évoquer plusieurs sujets à l’agenda : la relance du code de la rue en est l’un des principaux.
Mais ne nous décourageons pas non plus !
En effet, les démarches locales se multiplient. Elles sont courageuses, innovantes et font une large place à la concertation de tous les acteurs de la rue. Après Bordeaux, Toulouse, Chartes et d’autres villes, Rennes a lancé son code de la rue en novembre dernier. Strasbourg est en train d’élaborer le sien.
C’est une nouvelle histoire de la ville, plus respectueuse de tous, qui s’écrit.
Alors, si le Code de la rue national marque le pas, réjouissons-nous des codes de la rue locaux, de l’innovation qui, au local, chahutent souvent le national, les pouvoirs publics, les habitudes, les modes de pensées. Même dans un pays centralisateur comme le nôtre… !
Comme l’expose fortement Gilbert Lieutier, président de Rue de l’Avenir, dans le dernier numéro de notre revue : « l’espace public est le creuset de la citoyenneté ». C’est, en effet, dans tous les domaines que nous devons les uns et les autres construire ou reconstruire une citoyenneté concrète qui repose sur le partage et pas sur l’affrontement, sur la diversité et pas sur l’unicité, sur la responsabilité et non plus sur la supériorité.
Le défi est grand… mais nous sommes aptes à le relever.

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