La larme de Mendès France qui m'accompagne

Mercredi soir, la télévision diffusera un téléfilm que je ne voulais manquer sous aucun prétexte. En plus, événement exceptionnel, ce sera sur France 2, donc accessible à tout un chacun, ce qui constitue un véritable événement. En effet, les occasions sont rares pour un professeur intelligent, de conseiller à ses élèves de regarder une émission du service public afin d’améliorer sa formation citoyenne. Malheureusement, mercredi soir je serai dans le TGV, de retour de rendez-vous parisiens, et je ne pourrai pas voir « Accusé Mendès France » dans son intégralité. C’est vrai que j’ai rarement l’opportunité de me pencher, le soir, sur les programmes télévisés, mais cette fois j’aurai un pincement au cœur, car j’aurais aimé retrouver, même romancé, un épisode de ma vie sur lequel je crois avoir écrit une chronique il y a déjà quelques années.
Je suis et je resterai beaucoup plus mendésiste que socialiste. C’est acquis. Je sais que ce n’est pas branché. Je sais aussi que ça fait vieux con donneur de leçons. Je sais encore que c’est véritablement plus facile d’apprécier un homme du passé que d’être un supporteur d’une femme ou d’un homme du présent, dont l’avenir tient à un pourcentage dans un sondage. Je sais tout ce que l’on reproche à cet homme, dont une image me marquera à jamais : Mendés France essuyant une larme, en mai 1981, lors de la cérémonie d’installation de François Mitterrand à l’Elysée.
Ces larmes résumaient, en coulant sur un visage raviné par la maladie, la franchise et plus encore les valeurs portées par celui qui n’avait jamais su avoir l’habileté manœuvrière de l’élu du jour. Ces larmes, écrasées en gros plan à la télévision, étaient-elles celles des regrets ? Etaient-elles celles de l’espoir ? Etaient-elles celles de l’amitié ? Je pense pour ma part qu’elles ressemblaient à un cadeau, une sorte de label de sincérité donné à un homme avec lequel il n’avait pas nécessairement été toujours en osmose politique.
De Mendès France, je conserve en moi, avec le maximum d’humilité, quelques repères sur son engagement au service des autres, et à aucun moment je n’ose envisager avoir su les mettre en œuvre de manière satisfaisante. Oui, même si c’est prétentieux, je suis certain de ressentir ce qu’il a dû éprouver en tentant de convaincre de la nécessaire rigueur intellectuelle qui transforme le réalisme en pessimisme, pour celles et ceux qui se droguent aux apparences. Pour lui, rien n’était impossible, pourvu qu’on sache inlassablement l’expliquer au peuple, et qu’on lui dise la vérité, car il méritait qu’on lui dise la vérité.
Ainsi, voici une déclaration qu’il fit à l’Assemblée nationale, après le revers militaire de Cao Bang (1950) en Indochine : « […] Il faut en finir avec des méthodes qui ne relèvent ni de la puissance, ni de l’habileté, ni de la force, ni de la politique, avec une action constamment velléitaire, équivoque, hésitante, et dont la faillite était éclatante, longtemps avant les difficultés militaires de ces derniers jours. En vérité, il faut choisir entre deux solutions également difficiles, mais qui sont les seules vraiment qu’on puisse défendre à cette tribune sans mentir…. La première consiste à réaliser nos objectifs en Indochine par le moyen de la force militaire. Si nous la choisissons, évitons enfin les illusions et les mensonges pieux. Il nous faut, pour obtenir rapidement des succès militaires décisifs, trois fois plus d’effectifs et trois fois plus de crédits ; et il nous les faut très vite… L’autre solution consiste à rechercher un accord politique, un accord évidemment avec ceux qui nous combattent. Sans doute, ne sera-ce pas facile… Un accord, cela signifie des concessions, de larges concessions, sans aucun doute plus importantes que celles qui auraient été suffisantes naguère. Et l’écart qui séparera les pertes maintenant inéluctables et celles qui auraient suffi voici trois ou quatre ans mesurera le prix que nous payerons pour nos erreurs impardonnables… , Journal officiel, 1950. Ces propos, liés à un conflit auquel il mettra provisoirement un terme, résume parfaitement le courage en politique. Mendès alliait la lucidité et la franchise. Autant de vertus que notre société ne supporte plus, que les gens qui comptent exècrent, que « militants » oublient au nom d’un parti pris absolu, que les élus ne veulent plus entendre. Mendés se suicidait politiquement en osant prononcer de tels discours.
« Une décision ne peut être prise valablement que si les chefs politiques, et aussi les militants, à tous les niveaux, ont exposé et représenté, face au pays, les thèses entre lesquelles il est appelé à choisir. […] Ils doivent faire apparaître et comprendre les facteurs et les ressorts durables des alternatives qui s’offrent. Chacun soutient alors les solutions qui semblent meilleures en fonction de son éthique personnelle. La discussion publique fait éclater les contradictions, les dissentiments; loin de les redouter et de les masquer, l’homme politique les souligne au besoin, pour faciliter l’arbitrage de l’opinion. Rien n’est plus néfaste que le comportement fréquent qui, pour favoriser des coalitions successives, dissimule les divergences, affirme que « ce qui nous unit est bien plus important que ce qui nous divise », slogan apaisant qui permet de former des majorités […] mais en les condamnant à l’impuissance » Il faudrait mettre ces phrases en exergue de tous les documents que les socialistes diffuseront dans les prochains mois.
En ces jours où Marine Le Pen ressuscite dans les esprits les fantasmes de l’obscurantisme, le téléfilm de mercredi soir ne sera regardé que par quelques milliers de convaincus. Personne ne rappelera que le 11 février 1958, il s’était fait violemment prendre à partie à l’Assemblée nationale par un jeune député d’extrême droite nommé Jean-marie Le Pen qui lui vait asséné ces propos terribles : « vous savez bien, monsieur Mendès France, quel est votre réel pouvoir sur le pays. Vous n’ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ». A méditer.
La joute entre le Barça et Arsenal fera tampon ce soir, pour celles et ceux qui ne veulent surtout pas voir, entendre et commenter une histoire prête à balbutier. Qui est prêt à écouter la voix fluette, éraillée mais tellement prenante de l’inventeur des « causeries au coin du feu », au cours desquelles il aurait pu dire et redire : « la République doit se construire sans cesse, car nous la concevons éternellement révolutionnaire, à l’encontre de l’inégalité, de l’oppression, de la misère, de la routine, des préjugés, éternellement inachevée tant qu’il reste des progrès à accomplir ». Alors forcez-vous, et mercredi soir regardez le service public… et choisissez le bon Messi(e) !

Cet article a 4 commentaires

  1. Christian Coulais

    Très belle mise en perspective de cet homme d’état.
    1958 > 2011, l’Histoire est une grande roue, mais nos Grands Hommes (actuels)ont tous la prétention d’en connaître un rayon ! Malheureusement, la tête dans le guidon de la croissance mondialisatrice, ils ont la mémoire courte.
    Ah tiens c’est la journée de la femme…Sont-ils pas malins ces grands petits bonhommes, après la journée pour Mamie, dimanche dernier, avant la journée pétainiste pour Maman, voici la journée pour Ma……..dame voyons !

  2. J.J.

    L’ honnêteté, la franchise et la compétence sont des qualités rarement appréciées en politique, comme dans la vie courante…

  3. François

    Bonjour,
    Tout à fait d’accord avec toi, J.J, et je peux en témoigner par plus de 60 années de pratiques inculquées par mon grand’ père et dépréciées par mes propres parents (si on peut leur attribuer ce titre ) jusqu’à me faire passer par la case « prison ».
    Ta phrase, ô combien simple, est un bon support de morale pour nos chères têtes blondes … et POUR TOUTES LES AUTRES !
    Cordialement.

  4. François

    J’ajoute « à la case « prison » :avec la complicité de la Gendarmerie et de la Justice.
    Cordialement.

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