La proximité indispensable mais dévalorisée

La proximité entre les êtres ne constitue plus une valeur sociale à la mode. Depuis que les modes de déplacement ont fait perdre une grande part de sa valeur au temps et que le monde est entré par l’image sans cesse renouvelée, dans les salons, grâce aux étranges lucarnes, il faut admettre que l’environnement immédiat n’a plus d’intérêt. L’inaccessible rêve, cher à Jacques Brel a supplanté les plaisirs du quotidien. D’ailleurs, si cette mutation n’était pas réelle, les récentes élections cantonales auraient eu un tout autre résultat, au même titre que les élections municipales. Il était, en effet, essentiel que les électrices et les électeurs redonnent sa véritable valeur aux mandats de proximité. Ce fut un échec retentissant, puisque personne ne s’est véritablement intéressé à cette dimension noble d’un mandat qui touche pourtant toutes les générations, toutes les situations sociales, tous les lieux d’un département. En fait, alors que la Gauche s’époumonait à expliquer que la réforme territoriale allait accentuer le fossé entre élus et citoyens, la Droite se planquait derrière le paravent d’un apolitisme de façade. Résultat : le champ était libre pour toutes les démagogies déconnectées de la réalité. Prenons un exemple concret.
Dans certains cantons de Gironde, des candidats du FN ont obtenu des scores en voix (en % ça ne veut rien dire !) dans des villages perdus, alors qu’ils habitaient parfois à des dizaines de kilomètres. Ils ne savaient même pas combien il y avait de communes dans le canton. Ils ignoraient tout de la vie des gens dont ils réclamaient la confiance… qu’ils ont obtenue. On en arrive à des absurdités dans de pseudos programmes standardisés et purement idéologiques, comme celui du candidat FN, à Auros (33), qui n’a jamais mis les pieds sur ce territoire, et qui réclame une maison intercommunale de l’enfance, construite par les élus… depuis 3 ans. Aucune électrice ni aucun électeur ne s’en est ému, puisque désormais on vote pour une « marque », un « produit d’appel », une « promotion de basse valeur idéologique ». Si ce n’est pas une caricature de la démocratie que celle qui permet à des femmes et des hommes de nulle part, de prétendre être efficaces pour une « circonscription » électorale qu’ils ne connaissent pas ! Les résultats ont attesté que le « terrain » était pourtant décisif, puisque tous les sortants ont été réélus… mais il existe une frange de la population qui n’a aucun respect pour cet investissement au quotidien, car elle l’ignore totalement. Pourtant, celles et ceux qui ont évolué sur tout l’échiquier des mandats électifs savent bien que les mandats les plus utiles et les plus passionnants sont ceux qui restent prêts des préoccupations de leurs mandants. L’Assemblée Nationale, ce n’est qu’une arène où les mots (écrits ou oralisés) ont plus d’importance que les actes. Des textes abscons, incompréhensibles pour 90 % de la population, plus ou moins applicables, déconnectés des réalités, exclusivement destinés à satisfaire des intérêts lointains, s’empilent depuis des années, sans trouver la moindre solution à la qualité de vie sur un espace déterminé.
La mort programmée de la « décentralisation » imaginée par Gaston Deferre, l’arrivée d’une caste d’élus « professionnels » n’ayant aucun parcours social progressif, vont porter des coups mortels à une démocratie déjà balbutiante, si l’on se réfère aux abstentions des cantonales, qui viennent après toutes les autres. En fait, l’arrière-pensée idéologique, rarement démasquée, vise à appliquer le fameux « centralisme antidémocratique » qui a tué la société faussement dictatoriale du prolétariat. Elle sera remplacée, à cause du désintérêt coupable de tous les militants des partis politiques pour la proximité, par la dictature de la nomenklatura ayant appris avec les deniers publics, dans des écoles, non pas à gérer l’État mais à conquérir l’État ou à se mettre au service d’une centaine de personnes qui le maîtrisent et souhaitent le conserver. Dans tous les cas, l’essentiel des préoccupations tourne autour des têtes de gondole attractives, pour le super marché des présidentielles. Partout… sauf au FN, on va assister à une dérive catastrophique dans les centres d’intérêt. Inutile de le nier, un maire pourra s’égosiller sur les conséquences de la suppression de la Taxe Professionnelle devant un groupe d’adhérent(e)s d’un parti, qui n’en auront cure. Le gouvernement travaille inlassablement sur cette exploitation du « global » pour éteindre les incendies du « local ».
Le Chef de l’Éat va au Japon s’apitoyer sur le sort de ces victimes d’un triple effet : le séisme, le tsunami et le désastre nucléaire. Il fait ainsi oublier, par un déplacement absolument sans intérêt pour les Japonais, que l’on attend de véritables informations, que rien n’est réglé dans notre pays, et que les militants politiques s’affirmant de gauche auraient dû prendre à bras le corps cette question plutôt que de se préoccuper des modalités de compétitions internes.
Inlassablement, il va falloir ramener tout à la proximité, sous peine de payer au prix fort l’absurdité de débats stériles, mais c’est un combat difficile, car il est peu spectaculaire, peu valorisant, et plus encore peu rentable électoralement. La politique en France va mourir de ce décalage croissant entre des positions relevant de la communication, de la promotion, de la séduction et des besoins concrets, impossibles à satisfaire. Partout où cette dimension disparaît, la démocratie recule, et c’est très perceptible dans l’analyse commune par commune des résultats aux cantonales en Gironde, notamment dans le milieu urbain.
L’érosion de la valeur de la proximité s’accélère avec les technologies modernes. Il n’est plus extraordinaire que des militants soient invités à…voter via internet et ne se rencontrent jamais, que des responsables associatifs réclament des réunions téléphoniques ou par visioconférence, alors qu’ils ont revendiqué leur place dans un exécutif, que l’on justifie l’absence sur le terrain par la modernité, alors que ce n’est que pour éviter les aléas des rencontres physiques. Pour gagner en 2012, il faudra être concret, franc et proche. Cherchez l’erreur !

Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    Conseil Général , vous avez dit Conseil Général ?
    Qu’est ce que c’est ce monstre du Loch Ness ?

    L’ignorance des institutions de la République, grave lacune en instruction civique et conséquence du désintérêt des citoyens est difficilement imaginable.

    Il y a quelques années, je demandais à la secrétaire, dans une petite mairie, qui était le conseiller général du canton.
    Elle m’a indiqué le conseiller municipal le plus proche du bourg !

    Quand j’ai réitéré ma question, elle m’a déclaré qu’il n’y avait pas de conseiller général dans le secteur et que de toute façon elle ne savait pas ce que c’était !
    Une secrétaire de mairie !
    On pourrait croire que c’est caricatural, hélas, c’est authentique .

    La semaine dernière, je discutais avec une voisine d’un âge certain, et ayant en apparence reçu une relativement solide instruction. Nous parlions des élections.

    Alors qu’elle s’insurgeait contre l’abstention des citoyens, elle m’a tout de même avoué qu’elle avait consulté le dictionnaire pour savoir ce que sont (ou étaient ?) les conseils généraux….
    Sans commentaire

  2. Christian Coulais

    Au fin fond d’un petit village rural, comme au fin fond de Bordeaux, comment faire connaître le boulot effectif du Conseiller Général ?
    Le maire possède ses outils, journal, site internet ou de temps à autre le CG33 est cité pour l’obtention de telle ou telle subvention.
    Le Conseil Général de la Gironde possède lui aussi son journal papier ou électronique, son site internet mais ces outils abordent dans son ensemble le travail des élus qui y siègent.
    Alors que faire ? Des réunions publiques ? Peu d’administrés se déplacent. Sauf peut-être pour présenter un bilan tous les 2 ans par exemple.
    Un journal cantonal, une feuille d’information diffusée avec le journal du CG33 pourraient peut-être participer à cette meilleure connaissance du rôle local du Conseiller Général…Car tous n’ont pas le temps ni l’envie de surfer sur le net comme nous.
    Mais quant celui-ci, dénommé Conseiller Territorial, sera au four du département et au moulin de la région, les administrés locaux de nos fins fonds ne seront pas mieux informés du travail effectif de ce représentant « territorial » du peuple !
    Et dans 5 ou 10 ans, avec la génération des « web-surfeurs » qu’en sera-t-il ?

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