Les citadelles des résistances légendaires

Il existe des silhouettes plus inquiétantes les unes que les autres. En Écosse certaines ont des allures de squelettes, exposées à l’imagination des gens, elles sont là, battues par les vents et la pluie ou immédiatement séchées par des rayons d’un soleil rare et donc précieux. Comme pour exorciser des comportements désastreux qui les ont conduites à leur perte, elles sont placées dans des endroits particulièrement visibles. Il s’agit de rappeler que la décadence avoisine souvent la gloire, et qu’il n’y a pas de certitude sur tous les avenirs. Émergeant de la brume, isolés en bordure des « Lochs », dépecés par des pillards avides de se construire des havres de paix avec les bâtisses de la guerre, ou conservées avec précaution, ces citadelles mortes émergent d’un passé forcément tumultueux. Toutes n’ont que des recoins sombres, des escaliers tortueux, des ouvertures étroites dans lesquelles rôdent les ombres des chevaliers d’une table ronde de granit. Aucun doute n’est possible, ce sont eux qui, d’une manière ou d’une autre, ont occupé ces lieux mythiques. D’ailleurs, pour que plus personne n’occupe leur place, ils ont enlevé les toits pour observer ces fourmis modernes qui déambulent dans des restes gris et massifs.
Ces combattants d’un monde imaginaire ont trempé dans des complots ou dans des assassinats, mais nul ne songe à imaginer que des traces de ce sang impur soit encore sur ces pelouses vertes qui constituent des sols d’une exceptionnelle richesse. Les châteaux écossais qui se voulaient forts n’ont plus que des murs de lamentations. Ils n’existent que par la gloire de leur passé, mais plus pour les atouts de leur présent. Décharnés, dévalorisés, ils ont laissé leur orgueil aux vestiaires de l’histoire.
L’Écosse se veut une terre de mystère, où tout est dans l’apparence, mais pas dans les réalités. Lorsque la nuit tombe, personne ne peut en effet douter que la lune redonne vie à ces quartiers occupés par la souffrance. Comment imaginer que, dans ces cadres de moellons grossiers de granit, puisés dans des carrières ouvertes dans le flanc des landes voisines, il y ait eu autre chose que du froid, de la peur et des larmes ? La vie galante dont s’enorgueillissent les constructions moyenâgeuses sous d’autres cieux, devait avoir des allures beaucoup plus grossières. Il n’y a vraiment aucun signe extérieur de richesse dans ces châteaux aux tours carrées peu élevées, car certaines de rencontrer souvent les nuages sans se pousser du col. On s’attend à y trouver davantage des Harry Potter des temps modernes que des troubadours des temps passés. Le mystère plane sur ces squelettes rongés par le temps ou mutilés par les vengeances. Impossible de déambuler sans chercher les références de ces aventures violentes, chères à Walter Scott. Le fracas des armes, la fumée acre de la poudre à canons, les affrontements humains, appartiennent au silence que les collégiens, cherchant les images des films tournés sur place, déchirent avec leurs commentaires. Les territoires les plus ingrats raisonnent de chevauchées épiques dont on est certain, avec un brin d’imagination, qu’elles reprennent parfois dans cette nuit noire, créée par le couvercle étanche des nuages roulés par des vents de révolte.
Il faut se promener en solitaire dans ces forteresses que tous leurs concepteurs prétendaient imprenables. L’imagination de l’enfance, renforcée par les lectures relatant les exploits glorieux d’ Ivanhoé, la vaillance de Quentin Durward, la noblesse de Rob Roy, prend vite le dessus. Les romans historiques de kilts et d’épée ont considérablement revalorisé ces ruines oubliées, que l’Écosse a vite sorti des pages pour crédibiliser les légendes. Elle sait fort bien que son identité ne repose que sur ces combats tempétueux contre toutes les agressions. Résister à tous les envahisseurs, ne pas se laisser emporter par les vents violents du modernisme, redonner une valeur particulière à la cruauté séculaire : le programme reste attractif. Il suffit d’entendre le récit épique des querelles meurtrières entre les Mac Donald et les Campbell. Le massacre débuta simultanément en trois endroits de cette vallée désertique de Glen Coe — Invercoe, Inverrigan et Achacon — mais les meurtres s’étendirent à toute la vallée lors de la fuite des Mac Donald. Trente-huit hommes du Clan Donald furent tués par ceux à qui ils avaient accordé l’hospitalité, et quarante femmes et enfants moururent de froid après l’incendie de leurs maisons. Les assassins avaient été commandités. Ces effrayantes destructions revêtent un caractère particulier, puisque derrière chaque nom se cache désormais des marques de tous genres. L’exploitation libérale de toutes les facettes du patrimoine s’accélère d’ailleurs de jour en jour.
Les églises vendent leurs édifices que l’on voit affublés d’un étrange « for sale » que des promoteurs transforment en appartements de luxe, en hôtels ou en théâtres pour auteurs modernes. Incroyable revers de fortune, semblable à ceux de cette noblesse, dont les manoirs périclitent, ou ceux des maîtres des forges transformés en agents immobiliers aménageurs puis vendeurs. L’Écosse se débarrasse de son passé ordinaire, afin de ne conserver à Edimboug, à Saint Andrews, Fyvie, Urquhart, Stirling, Dunottar, Eilean Donan…que les restes glorieux des « morts au champ d’honneur » de son plus précieux trésor : son identité !

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