Des nouveaux territoires à taille inhumaine

Depuis plusieurs mois, je multiplie les interventions sur le terrain, face à des élus de tous bords, sur le thème de la réforme territoriale qui, si elle a des facettes indiscutablement utiles, devient catastrophique tant elle est menée dans la précipitation par l’État. J’ai été à de nombreuses reprises raillé, malmené, chahuté même, par des maires ou des présidents de syndicats ayant toujours ce mot fatal au bord des lèvres : « vous faites de la politique ! » Et la suite venait sans problème : « vous êtes pessimiste et vous présentez cette réforme de manière pessimiste… Vous verrez, ce sera mieux après ! » En fait, beaucoup d’entre eux n’avaient simplement pas totalement (ou jamais) lu les termes d’une loi dont ils n’avaient retenu qu’une seule polémique, celle liée au conseiller territorial… qui, dans le fond, ne les concernait pas directement. La face visible d’un iceberg dont ils découvrent chaque jour les vices cachés. Il m’arrive encore de m’apercevoir que, même face aux réalités de cette bombe à fragmentation d’un système républicain ancré dans le territoire, certains font semblant de ne rien voir.
Les supporters inconditionnels du Chef de l’État français se retrouvent pourtant dans la tourmente, à la simple lecture des propositions du Préfet, dans tous les départements. Ils sont souvent sacrifiés sur l’autel de la nécessité de préparer des fiefs électoraux gagnables pour des « vedettes » en devenir de l’UMP, ou de ce qui restera en 2014 de l’UMP. Ils s’aperçoivent du peu de cas que l’on fait souvent de leurs liens avec le terrain, en détruisant ce qu’ils pensaient avoir conquis de manière durable. Les dégâts collatéraux sont en effet extrêmement nombreux et il arrive que, par la force des choses, il faille tirer contre son propre camp pour dégager le terrain devant un « général » qui monte.
La fusion, absorption, confusion qui préside à tous les schémas départementaux de coopération intercommunale seraient inspirés par la pseudo volonté de « rationaliser » la gestion territoriale. Les élus dépensiers et incapables de gérer dans l’intérêt général, ne pensant qu’à leur réélection, égocentriques, intéressés seulement par les indemnités et les écharpes, vont se retrouver confrontés à des immenses « machins » ingouvernables, plus coûteux et surtout éloignés des électrices et des électeurs. Les Communautés de toutes sortes et les syndicats intercommunaux ne sont pas, selon moi, des collectivités territoriales démocratiques, puisque les responsables qui les dirigent ne sont en rien redevables de leurs agissements à l’égard du suffrage universel. Certains ne rendent même jamais de comptes, puisqu’ils n’en sont pas légalement redevables. La réforme va créer d’immenses « machins » d’une complexité absolue, avec une opacité totale dans les compétences, et on rendra leur gestion terriblement difficile. Selon les prévisions minimum, on pourrait avoir des assemblées délibérantes regroupant plusieurs dizaines ou des centaines de délégués, auxquels il faudra envoyer des documents par kilos, on aura des groupes politiques constitués, on utilisera des salles des fêtes comme espaces de réunions. Certes, il existe déjà des entités de ce genre, mais il faut une personnalité indiscutable pour en mener les débats et contenir les divergences inévitables liées à la diversité des territoires.
Les élus découvrent aussi que le Préfet reste le maître du jeu en étant, au départ, la force de proposition (ou force d’imposition) du schéma départemental de coopération intercommunale. Souvent ce SDCI résulte d’une pseudo concertation avec les élus qui comptent, et il devient le document de base de ce qui sortira en juin 2013. Selon une formule célèbre, il ne pourra être aménagé qu’à la marge. D’ailleurs, en Gironde, les membres de la Commission auront eu 15 jours pour mener la concertation et fournir leurs remarques sur un document fondateur d’une nouvelle donne territoriale qui éloigne, dans la grande majorité des cas, les élus du terrain. Il sera donc encore plus facile en 2014 de leur taper sur le dos en leur rappelant que, désormais, on ne les voit plus et qu’ils ne pensent qu’au pouvoir. D’autant qu’inévitablement, ils devront se quereller, se battre, s’annihiler lors de cette année 2012 qui devra les voir refonder les nouvelles entités. Des dizaines d’entre eux n’ont pas encore découvert qu’il va falloir des études financières pointues, des débats juridiques tendus, des prévisions sérieuses, pour connaître les conséquences réelles des propositions préfectorales, qui consistent à regrouper sans tenir aucun compte des réalités locales. On va simplement détruire cette cohésion qui avait parfois mis des années à naître et à exister. Inégalité des évolutions, inégalité des moyens, inégalité des ressources et inégalité des pratiques : attendons le résultat avec impatience, surtout que, dans les faits, les contre propositions devront être rendues dans les 3 mois dont le mois de juillet…
Dans un tel contexte, il va falloir répéter, réexpliquer, redonner des repères, accepter de faire de la politique. Il faudra à ces porteurs de mauvaises nouvelles, un moral d’acier pour résister à la tentation de baisser les bras et de laisser ce merdier pourrir dans d’interminables querelles. A terme, nul ne doit se faire d’illusions, se profile l’implosion voulue des pouvoirs locaux et la récupération des entités rendues faibles et moribondes par l’autre réforme, celle des ressources. Le citoyen s’éloignera encore plus des élus et l’enjeu n’apparaîtra que quand il sera trop tard. Pour l’instant, on assiste à un léger réveil, mais la pass,ivité apolitique a pris le dessus car plus personne n’ose se discréditer et s’exposer dans une société du renoncement. Le mal est profond, mais j’aurai tout fait, personnelement, pour vacciner le maximum de gens !

Cet article a 5 commentaires

  1. Christian BAQUE

    Tout à fait d’accord avec toi JMarie. Le plan préfectoral est un plan d’intercommunalité forcée, dans des ensembles de plus en plus importants avec pour objectif de faire disparaître nos communes, nos petites communautés de communes : en les fusionnant, par constitution de communautés d’agglomération, ou par absorption dans les métropoles (une CUB de près de 800 000 habitants), lesquelles feront ensuite disparaître les départements eux-mêmes… Quant aux syndicats intercommunaux (ceux qui servent à qque chose) terminé ! Les RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux) devraient « fusionner ». Et demain ce sont nos écoles communales qui disparaîtront. Bien pratique quand le gouvernement prévoit 16 000 suppressions de postes d’enseignants.
    La disparition des syndicats des eaux, conduira à la main mise totale des grands groupes financiers sur la gestion de l’eau et de l’assainissement. Finies les régies. Avec les syndicats de gestion de l’électricité, c’est un autre verrou qui saute : on permettra à la privatisation d’EDF de s’exprimer à plein régime (au détriment de l’usager).
    C’est cela « la modernité » à laquelle on veut « adapter » notre démocratie locale ! En fait liquider la démocratie tout court.
    Le pb reste qu’il n’y a pas qu’à l’UMP que l’on est pour. J’attends de voir comment ceux qui ont fait semblant d’être « contre » la réforme vont contribuer à l’appliquer en collaborant avec le Préfet dans la CDCI ! En tout cas, contre la droite ou la pseudo-gauche, il faudra combattre pour défendre la démocratie.

  2. gueurlet

    Il est vrai que la « petite » communauté de commune de BOURG accompagne la Poste qui fait disparaître les équipes de tri qui étaient dans les bureaux de Poste!
    Elle facilite la construction du Centre de tri par un promoteur privé pour regrouper les facteurs de 2 cantons en lui fournissant le terrain pour ce faire…sur PUGNAC!
    Et en remerciement, la Poste fait disparaitre la fonction de Bureau de Poste de BOURG pour rattacher les agences et bureau de Poste de ce canton aux Bureaux de Poste de ST SAVIN et BLAYE!
    Quant aux Syndicats des Eaux, si les élus concernés le veulent, par une dimension pertinente, ils peuvent justement trouver la capacité à mettre en place une gestion directe en régie.
    Celle-ci pour pouvoir fonctionner utilement, cf département de Haute Garonne, doit se doter de compétences techniques, de capacités économiques et financières.Les gros groupes font trés bien aussi leur beurre avec des Syndicats de moins de 10 000 abonnés ou de petites villes de 5000 habitants.
    Le risque est aussi bien sûr que les fusions projetées par le Préfet, du fait de la complexité des mesures techniques et financières pour aboutir à une seule entité, améne les élus des collectivités concernées à se jeter dans la gueule du loup desdits grands groupes!

  3. Christian BAQUE

    Notre ami Gueurlet, qui a l’air très au courant, pose de vraies questions. N’étant pas membre du conseil de la CdC de Bourg, je ne peux répondre à sa place. Mais le pb reste la privatisation de La Poste, sur directives européennes, ce dont la CdC de Bourg n’est pas responsable. Par contre, la politique des gvts successifs, de gauche et de droite depuis Maastricht… ! N’en rendons pas responsables les élus locaux !
    Et Gueurlet ne se prononce pas sur la question de fond : est-il réellement opposé à cette contre réforme ? Se prononce-t-il pour son abrogation ? Ou, au contraire, va t-il collaborer avec le préfet dans la CDCI pour la mettre en place ? Par exemple, pense-t-il comme le député Plisson, que fusionner les 5 CdC du Blayais en UNE seule (plus de 80 000 habitants) « reste tout de même une perspective éventuelle à plus long terme » ? Une perspective ? Du positif donc, mais pour plus tard ? Que pense-t-il de la fusion de 3 CdC du libournais à l’initiative de G. Mitterrand ? Oui ou non les regroupements sont-ils un sabotage de la démocratie locale ?

  4. gueurlet

    Bien sûr que le problême majeur est la privatisation de la Poste mais dénonçons aussi des pratiques d’élus que Christian connait bien qui participent à l’accélération du délabrement d’un service au public en contribuant à l’alourdissement des toutnées de facteurs, en faisant que le courrier arrive de plus en plus tard dans les boîtes aux lettres des particuliers et des petites entreprises!
    Concernant les regroupements voulus par le Préfet, ils sont consultables sur le site point gouv de la préfecture de la Gironde.
    Si la taille de la collectivité est de nature à faciliter l’exercice de la démocratie, elle ne suffit pas à l’établir: combien d’assemblées délibérantes de collectivité de proximité sont de fait fagocitées par quelques élus potentats ou experts dans l’art de la parole pour justifier l’inaction!
    Plutot que de dogmatisme, d’où qu’il vienne, nous avons besoin de débats fondant l’analyse.
    En cela, la procédure imposée par l’Etat est autoritaire, orientée et prédéterminée. Cependant, l’honnéteté intellectuelle doit conduire à ne pas nier en bloc toute évolution. Pour ma part, ainsi, j’estime que l’accès à la ressource à l’eau potable, contrairement à ce qui figure au schéma préfectoral ne doit pas être de la poliique de chaque micro territoire mais bien d’une approche à l’échelle des ressources souterraines disponibles à la dimension de la Gironde, ce afin que la solidarité s’exerce.
    Ou alors, parce que la nature fait que l’on dispose d’une ressource abondante sous ses pieds est on en droit d’ignorer la situation du territoire voisin?
    Débattons sur le fonds tout en contestant les délais que l’Etat veut nous imposer. Les élus qui siègent à la CDCI qui éxamine le projet du préfet, doivent assumer leur mandat afin que le débat démocratique se développe et fonde l’argumenaire de réponse…plutot qu’il ne conforte l’immobilisme d’où qu’il soit favorisé!

  5. Christian BAQUE

    Voilà qui a le mérite de la franchise et clos le débat.
    Pour Gueurlet le pb n’est donc pas le contenu de la réforme territoriale, mais les rythmes imposés, dit-il, par le gouvernement et le Préfet. Joli tour de passe-passe. Ce qui distingue donc la gauche de la droite, c’est juste une question de rythme dans la réforme ! Bravo, c’est clair.
    Gueurlet « par honnêteté intellectuelle » ne se prononce donc pas CONTRE la réforme territoriale, encore moins pour son abrogation, mais pour son aménagement.
    Et pour faire avaler la pilule à tous ces élus « de base » qui ont voté pour les listes de gauche à la CDCI, pensant voter contre cette réforme, il prétend combattre le dogmatisme « d’où qu’il vienne » et un soi-disant immobilisme ! On nous a dit la même chose pour Maastricht et aussi en 2005.
    Désolé, je ne suis pas quant à moi du côté des soi-disant « réalistes » et des soi-disant « modernes », de ceux qui jettent par la fenêtre les acquis ouvriers et aujourd’hui les acquis mêmes de la République, mais du côté des élus et de la population qui se révoltent pour en finir avec les contre-réformes.

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