Le nouveau jury populiste est arrivé…

Le Sénat a adopté, par 171 voix contre 155, le projet de loi portant sur l’introduction de jurés populaires en correctionnelle. Sans surprise, la majorité (UMP) du Sénat – première des deux assemblées parlementaires à laquelle était soumis le texte – a voté pour ce projet présenté en urgence par le ministre de la justice Michel Mercier afin de « rapprocher la justice du peuple. » Encore une pâle copie du système américain, qui va lentement mais sûrement imposer partout des méthodes de pensées basées sur des notions essentiellement libérales. Plus de confiance dans le savoir, la mesure, la méthode, mais une vision constante qui fait que tout un chacun peut s’improviser juge, enseignant ou bientôt policier… C’est la négation absolue des qualités nécessaires pour faire des analyses objectives et raisonnées sur des situations toujours beaucoup plus complexes que les apparences ne le laissent penser.
Le texte prévoit que deux « citoyens assesseurs », tirés au sort sur les listes électorales, siègeront en effet aux côtés de trois magistrats, en première instance et en appel, dans les affaires correctionnelles, pour huit jours d’audience maximum sur une année… Au même moment, au conseil municipal de Créon, nous procédions au tirage au sort des personnes susceptibles de figurer un jour au nombre de ces gens convoqués à l’insu de leur plein gré pour se prononcer sur des cas difficiles, puisque le périmètre de compétence de ce nouveau « tribunal correctionnel citoyen » s’étendra aux atteintes à la personne humaine, punies de cinq ans d’emprisonnement au moins (violences, vols) ainsi qu’aux infractions au Code de l’environnement.
À terme, près de 40.000 affaires par an devraient être jugées par ce « tribunal citoyen »… nouvelle formule, ce qui relève pour partie de la pire démagogie, quand on connaît parfaitement les difficultés de fonctionnement déjà rencontrées par la justice.
Si le Garde des Sceaux Michel Mercier a plaidé pour « une réforme utile », qui va « permettre à nos concitoyens de s’approprier leur justice » (sic), l’opposition s’est déchaînée contre ce « mauvais coup porté à une justice qui ploie déjà sous le fardeau », selon les termes de Robert Badinter dont tout le monde reconnaît la compétence et la lucidité, dans un domaine qu’il connaît au moins aussi bien que le Garde des Sceaux actuel..
« Et pourquoi ?, s’est interrogé l’ancien ministre socialiste. Pour dire, avec un joli mouvement de menton, que le peuple a retrouvé la fonction de rendre justice ! ». « Allons donc ! Laissons de côté ces slogans ! La vérité, c’est une magistrature qui n’en peut plus et à laquelle vous confiez des tâches inutiles ! », a-t-il ajouté. En fait, c’est encore une fois un texte populiste et démagogique, car nul ne sait comment fonctionnera cette nouvelle institution. Comment sélectionnera-t-on ces « citoyen(ne)s ? Par tirage au sort ? Sur quels critères d’âge ? L’illettrisme sera-t-il un critères d’exclusion ? Qui pourra abandonner son boulot pour siéger une semaine loin de chez lui ? Qui va régler les indispensables indemnités, sur des budgets déjà limités ? En fait, c’est encore une improvisation, qui va servir de miroir aux alouettes et plus encore d’outil de propagande électorale… Les policiers pourront-ils siéger comme citoyens ? Y aura-t-il des professions interdites ? Devra-t-on vérifier les casiers judiciaires de chaque personne avant qu’elle juge ? Quelles connaissances minimum seront indispensables ? Qui les donnera ? Quel respect du secret sera-t-il garanti ultérieurement vers les médias ? Qui règlera les conflits éventuels d’intérêt ? Comment ces braves juges supplétifs, tirés au sort, seront-ils préservés de « vengeances » éventuelles ? Peu importe : le chef de l’État veut absolument donner au peuple l’impression qu’il lui redonne le pouvoir…et il se moque pas mal de savoir si la réforme aura une quelconque efficacité !
A New York, au même moment, DSK a été formellement inculpé par une chambre d’accusation (« Grand jury »), de tous les chefs d’accusation retenus contre lui, après la plainte d’une femme de chambre. « Une inculpation a été votée et prononcée contre l’accusé », a déclaré le procureur devant la cour. La décision a été prise à huis clos par un grand jury, instance composée de 16 à 23 citoyens de l’État de New York, tirés au sort sur les listes électorales, et qui se réunit en secret, en dehors de la présence d’un juge.
Etrange similitude des formes avec, pour la France, une amorce de ce procédé, qui dérivera tôt ou tard vers une justice populiste et pas nécessairement populaire. Pas question de mettre en cause les positions prises par ces « jurés » new-yorkais, car ce serait strictement indigne pour la victime, mais on peut se poser la question légitime de savoir comment ces gens ont pu apprécier réellement un dossier, dont ils connaissaient déjà tous les éléments, plus ou moins frelatés par les médias.
Nos jurés sortis du chapeau par l’UMP seront-ils insensibles aux reportages préalables sur les « affaires » qu’ils auront à juger ? Comment apprécier un comportement, quand on vous a asséné des pages ou des minutes d’informations sur le sujet que vous avez à traiter, sans recul et sans aucune expérience ? Il apparaîtra peu à peu, le juge élu par les jurés, puis élu par les citoyens, à la manière américaine, comme dans les westerns… et on sait combien la justice américaine est efficace, malgré cette implication populiste ! On pourrait améliorer les choses en supprimant des postes de policiers ou de gendarmes, en les faisant assister de deux citoyens pour les patrouilles nocturnes, ou encore, dans les examens, désigner deux parents d’élèves chargés de mettre les notes avec les professeurs. On entre dans les séries américaines !

Cet article a 4 commentaires

  1. facon jf

    bonjour,
    Ce billet me rappelle un de mes collègues tiré au sort pour être éventuellement juré aux assises. Le pauvre transpirait d’angoisse à cette éventualité, imaginait les pires vengeances à son encontre. il échafaudait tous les scénarios pour pouvoir se dérober à son devoir. D’où ma question, les Français sont-ils prêts à assumer cette nouvelle responsabilité, sont-ils demandeurs de cette réforme?

  2. françois

    Détrompe-toi, facon jf, les Français aiment jouer au juge.
    Il y a une quinzaine d’années, j’ai eu cette « chance » d’être juré d’assise. Le premier jour, on assiste à la fuite éperdue de quelques « j’ai autre chose à faire  » avant d’écouter les consignes de bon déroulement. Puis les Affaires arrivent; Là, au fil des jours (15 jours), j’ai été frappé de voir monter insensiblement un jeu de scène entre les jurés qui se vont jusqu’à se précipiter sur le premier Sud-Ouest matinal du Palais pour connaitre les commentaires de la presse sur leur action de la veille: un simulacre de Croisette ou de « Guignols de l’info » sauf qu’ils viennent de jouer la vie et l’avenir de l’accusé sur … un coup de roulette judiciaire, pardon, d’intime conviction ! !

  3. Christian Coulais

    Encore un hameçon pour la droite de la droite….
    « le chef de l’État veut absolument donner au peuple l’impression qu’il lui redonne le pouvoir… »
    Souvenez vous en 2005…
    « À la question « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ? », 54,68 % des électeurs français s’étant exprimés (hors bulletins blancs et nuls) ont répondu « non ». Ce troisième référendum français sur un traité européen après 1972 et 1992 est le premier à être rejeté » Source Wikipédia.
    Sans commentaire !

  4. J.J.

    J’ai découvert avec horreur le système judiciaire étasuniens, que je ne soupçonnais pas aussi arbitraire et violent.

    Que ce soit DSK ou tout autre citoyen, accusé à tort ou à raison, qui soit la victime d’une telle mise en scène me semble parfaitement odieux.
    Et je dénie aux Etats Unis le droit exorbitant qu’ils se sont adjugé de faire la leçon à des pays qui ne respecteraient pas les Droits de l’Homme.

    Ce genre d’exhibition et l’existence de Guentanamo, entre autres « détails », prouvent que le système judiciaire étasunien s’inspire davantage de l’antique Inquisition espagnole que du respect de la personne humaine.

    Et la victime potentielle dans tout ça, en tire t-elle un quelconque dédommagement ? Est-elle rassurée, consolée, psychologiquement guérie ?

    C’est vrai que c’est un beau modèle pour nos justiciers au petit pied (et aux hautes talonnettes).

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