Mon beau soleil d'Espagne

Il n’est pas possible qu’un militant de gauche ignore les événements qui se sont produits ces derniers jours en Espagne. C’est en effet l’amorce d’une modification totale de l’approche politique, qui dénote une prise de conscience de la nécessité d’entrer en résistance contre les réformes prônées au nom des équilibres financiers et économiques. Désormais on ne passe plus par le relais des partis politiques incapables, pour des raisons internes, de s’indigner du sort fait au Peuple, et surtout aux valeurs humanistes de sociétés ruinées par les seuls objectifs du profit maintenu. L’expression électorale ne garantit absolument plus que l’avenir sera modifié, tellement les contraintes externes sur une nation musèlent toutes initiatives inspirées par la primauté de l’Homme sur les flux strictement financiers.
Désormais « illégaux » mais déterminés à faire entendre leur ras-le-bol de la crise et du chômage, les manifestants de la Puerta del Sol à Madrid ont tenu bon, à la veille d’élections locales annoncées comme un désastre pour les socialistes espagnols… ils savent que ce n’est pas le départ du PSOE qui va véritablement modifier le rapport entre les pouvoirs mondiaux du fric et leur réalité quotidienne. Un changement de majorité va plonger au contraire tout le pays dans une crise encore plus profonde, puisque les élus locaux étaient les seuls à prendre en compte la dimension sociale de la situation présente. L’opinion dominante va se régaler en se rassurant de la pire des manières : jouer les autruches ! Autour du « village » alternatif de tentes et de bâches en plastique bleu planté sur la grande place populaire du centre de Madrid, des milliers de manifestants se sont à nouveau rassemblés dans une ambiance festive pour témoigner de leur indignation face aux catastrophes réputées inévitables, créées par le monde du crédit tout puissant. Ces manifestants se sont relayés jour et nuit à la Puerta del Sol pour défier désormais la loi qui interdisait tout acte politique à la veille d’une journée électorale. Ils n’ont cure de ces interdictions qui ne servent qu’à museler l’expression des gens qui n’ont pas le contrôle des médias.
D’ailleurs, le gouvernement socialiste, embarrassé par cette fronde citoyenne et pacifique qui n’a cessé de grossir depuis le 15 mai, a été contraint de jouer la conciliation, et aucun ordre d’évacuation n’a été donné à la police, à moins d’incidents. En France, on se demande pourquoi les partis de gauche attendent encore que la vindicte populaire se retourne contre eux, alors qu’ils pourraient initier des événements du même type contre un gouvernement ayant accumulé les réformes destructrices de la solidarité, de l’égalité, de la liberté et de la fraternité…Ce mouvement accentue le sentiment que de nouveaux modes de résistance et de protestation doivent s’installer. Forts de leur succès, les organisateurs du mouvement espagnol espèrent maintenant le prolonger au-delà du scrutin local… car ils savent fort bien n’avoir rien à espérer de la Droite ultra libérale dans les municipalités de leur pays.
Aux cris de « maintenant nous sommes illégaux », une foule immense avait accueilli vendredi à minuit, sur la Puerta del Sol, le début de la trêve électorale, après avoir, aux douze coups de l’horloge, lancé symboliquement un « cri muet », rubans de scotch sur la bouche, bras levés au ciel. Ils défiaient ainsi un système institutionnel qui broie en fait tous les espaces de résistance.
Les services minima mis en œuvre en France tuent de manière officielle le droit de grève, la réforme des collectivités territoriales assassine la politique en privant les élus de leur pouvoir de choix en matière de gestion, les atteintes quotidiennes aux droits sociaux, le renforcement des inégalités à l’égard de la participation à la vie collective : rien n’y fait dans une société anesthésiée par le gaz, se voulant incolore et inodore, distillé par des médias concentrés sur des faits divers n’ayant aucune influence sur le quotidien de celles et ceux qui souffrent ! La foule qui remplissait à nouveau la Puerta del Sol et les rues voisines a souhaité s’installer dans un mouvement durable de mai, le carrefour de toutes les révolutions.
Des milliers d’autres manifestants se sont rassemblés dans les villes de province, dont Barcelone et Valence Depuis moins d’une semaine, ce mouvement rassemble une mosaïque de jeunes, rejoints par des citoyens de tous horizons, chômeurs, étudiants, retraités, salariés… qui ne veulent plus subir, mais résister !
Inédit, spontané et coloré, le mouvement dénonce l’injustice sociale, les dérives du capitalisme, la « corruption des politiciens » et se veut un laboratoire d’idées pour des réformes à venir. Surtout, il trahit la frustration de millions d’Espagnols face à un chômage record (21,19%), qui frappe près de la moitié des moins de 25 ans. Chez nous, en France, on en est au même niveau, mais comme les statistiques sont truquées, on se contente des apparences relayées par des télévisions peu regardantes sur la réalité. En France, on assassine l’école publique, mais peu importe… on attend paisiblement les vacances. Chez nous, on ruine le système de santé avec un chaos sans précédent dans les hôpitaux, mais on attend d’aller aux urgences pour en prendre la mesure… Chez nous on cultive la résignation au nom du scrutin présidentiel et on attend que, comme en Espagne, la défiance envers les grands partis politiques envahisse les esprits et conduisent à… une abstention record ! Cette vague contestataire a été l’invitée surprise de la campagne électorale espagnole, et je prédis qu’elle le sera dans la campagne présidentielle en France, s’il n’y a pas une prise de conscience rapide de la Gauche.

Le grand mérite de Mitterrand avait été de rassembler d’abord sur un programme commun concret avant 1981 qui avait déchaîné les critiques de la droite. Toujours les mêmes : irréaliste, dispendieux, attentatoire à la sacro-sainte croissance, décalé par rapport aux réalités économiques. Prendre ses responsabilités pour un élu de gauche c’est « dépasser le possible sans promettre l’impossible… » ( c’est de qui ?) mais c’est surtout résister, résister sans cesse à la tentation du repli sur ses certitudes pour rendre possible ce que les élus de Droite prétendent… faussement impossible ! J’aimerai bien avoir 25 ans et être sur la Puerta del Sol… pour démontrer que l’idéal reste le gouvernement pour le peuple et par le peuple !

Cet article a 2 commentaires

  1. baillet Gilles

    Après la Grèce, l’Islande, l’Angleterre, voici l’Espagne: la Révolution citoyenne est bien là. A notre porte. C’est bien que vous en soyez un partisan.

  2. Christian Coulais

    L’hiver dernier dans une de tes chroniques j’avais proposé que le 2 mai, la France des travailleurs, (re)chercheurs d’emploi, retraités et autres citoyens, citoyennes, que la France s’arrête !
    Que chacun reste chez soi ou discute autour de soi. Mais surtout sans utiliser d’énergie, de voiture, de transport en commun, sans achat, donc sans TVA, ni télé décérébrante, donc sans publicité !
    Des rencontres mais pas qu’avec certains mais aussi avec tous les autres, dans son quartier, devant sa mairie en circulant à pied, à cheval, à vélo ! En partageant un repas tiré du panier.
    Dommage, une journée révolutionnairement originale, silencieuse, non violente.
    Juste toi, lui, vous, nous ensemble, tous ensemble ! La journée des cinq sens !

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