L'incroyable supercherie de la suppression de la taxe professionnelle

Ah ! Si la société admettait une bonne fois pour toutes la nécessité d’avoir des évaluations objectives et indépendantes des mesures politiques annoncées avec tambour et trompette médiatique, un grand pas en avant serait fait dans la gestion publique.
En effet, comme pour toutes les statistiques, le « politique » en général et celui qui gouverne au plus haut niveau en particulier, a horreur des évaluations. Alors, il s’arrange toujours pour les faire effectuer par des organismes affidés, ou par des experts rémunérés par ses soins. Cette méthode, totalement sans intérêt, ne permet pas aux citoyennes et aux citoyens intéressés d’aller au-delà des apparences. Quid de l’impact de la réforme des retraites ? Où en est-on ? Quelles perspectives ? Les exonérations des heures supplémentaires, quels dégâts sociaux induits –baisse des recettes des organismes de solidarité, emplois non créés, partage du travail ? Quel est l’impact du RSA en terme de solidarité ? De l’APA en terme d’emplois à domicile ? Combien la réforme de la taxe professionnelle a-t-elle coûté à l’État en 2010 ? Cette lubie politicienne du chef de l’État a-t-elle été efficace pour la trésorerie des entreprises ? Si oui lesquelles ? Quelles ont été les conséquences sur les investissements des collectivités territoriales ? La question de la suppression de la taxe professionnelle a suscité une polémique à l’automne dernier, car elle a coûté très cher aux contribuables, sans aucune efficacité réelle sur la vie sociale.. Une première réponse sur ce sujet vient d’arriver du rapporteur général du Budget à l’Assemblée, qui a estimé que la réforme allait coûter, en régime de croisière, 3 milliards d’euros supplémentaires – avant le paiement de l’impôt sur les sociétés au budget de l’État. En fait, ce sont les contribuables qui font un cadeau de plus de 3 milliards aux grandes entreprises qui dégagent des profits considérables, augmenté du dégrèvement de TP. La ministre de l’Économie a riposté en affirmant que la réforme coûterait « moins cher que prévu » : 7,3 milliards d’euros en 2010, contre 12,3 milliards initialement programmés.
Les années suivantes, le coût s’élèverait à 4,7 milliards (après paiement de l’impôt sur les sociétés) – contre 4,8 milliards prévus au départ … un mensonge de plus pour celle qui va devenir la grande prêtresse de l’économie ultra libérale au sein du FMI ! Elle oublie de préciser à qui profite réellement le crime de la suppression pure et simple d’un impôt certes imbécile par certains côtés, mais qui a été remplacé par une usine à gaz encore plus débile que la TP.
Chargée d’éclairer le Parlement sur l’exécution des lois de finances, la Cour des comptes a évidemment cherché, elle aussi, à connaître le coût précis de la suppression de la taxe professionnelle. Elle n’a toutefois pas pu… remplir sa mission, car elle s’est heurtée aux difficultés posées par l’ancienneté des systèmes d’information comptables de la direction générale des finances publiques, en particulier ceux qui sont utilisés pour le recouvrement des impôts locaux.
Ceux-ci présentent des « déficiences majeures », une « inadaptation fondamentale », critique la Cour des comptes dans un rapport que son président, Didier Migaud, a remis le 25 mai. Par conséquent, ces outils informatiques « ne sont plus en mesure de retranscrire correctement les évolutions décidées par le Parlement et de lui fournir les évaluations et projections nécessaires pour l’éclairer dans ses choix », a regretté Didier Migaud. Incroyable : on découvre que Bercy est incapable d’apprécier les effets d’une réforme et que les calculs sont effectués au pif ! Inimaginable et plutôt inquiétant pour les comptes de la nation.
La Cour des comptes n’a donc pas eu la possibilité de vérifier si, en 2010, la réforme de la taxe professionnelle a réellement coûté 7,7 milliards d’euros à l’Etat, comme l’affirme aujourd’hui le gouvernement. Une illustration parfaite de la confiance que l’on peut accorder au gouvernement quand il vante les mérites de ses décisions et surtout une preuve irréfutable que les évaluations sont impossibles, tant que dans la Constitution ne sera pas inscrit l’obligation de bilan des mesures législatives ! La somme serait au final un peu plus élevée que l’estimation de décembre dernier. Mais son montant permet au gouvernement de continuer à affirmer que la réforme a coûté moins cher que prévu. Comment a-t-on pu en arriver là, dans une société de l’approximatif érigé en vérité médiatique ?
Selon Bercy, une bonne surprise est venue du « surplus exceptionnel » de recettes de taxe professionnelle liées à des exercices antérieurs. Celui-ci est évalué à 10,2 milliards d’euros. Il est retracé dans le « comptes d’avances aux collectivités ». Sur l’importance du chiffre, Bercy en a dit un peu plus à la Cour. Mais celle-ci n’a pas entièrement été convaincue. Malgré cette « incertitude » et, plus généralement, en dépit de 7 « réserves », les magistrats ont jugé les comptes de l’Etat pour 2010 « réguliers » et « sincères » (sic) bien qu’ils sachent qu’ils se sont fait berner par un artifice comptable. Mais ils feront toute la lumière sur le fameux compte d’avances aux collectivités en procédant cette année à son « examen d’ensemble ». En fait, il suffit d’affirmer pour être cru, mais personne ne revient au principe fondamental : quel était l’intérêt pour le citoyen contribuable de la suppression d’un impôt que le citoyen consommateur payait en fait sur l’achat des produits manufacturés des entreprises contributrices ? Quel est l’intérêt réel de cette réforme pour les artisans, les petits commerçants, les prestataires de services, les professions libérales indépendantes ? Combien d’emplois ont été créés grâce à cette mesure, ou combien ont été préservés ?
En fait on a brassé de l’air et on a donné l’impression de soutenir l’activité productrice de profits financiers purs, et on a surtout mis les collectivités territoriales sous le boisseau de dotations contraintes. Et pour le reste, on s’en fout pas mal… jusqu’au jour où on recevra sa feuille d’imposition locale !

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