La lucidité du Président du Conseil économique, social et environnemental

Lorsqu’il était Président de l’Association des Maires de France, j’ai eu l’occasion d’écouter et de côtoyer Jean-Paul Delevoye. Clair, efficace, humaniste convaincu, il avait eu des propos susceptibles de rassembler les élus, toutes tendances confondues. Pas évident de le cataloguer comme un homme d’appareil, car il pratiquait le parler vrai et même si je n’avais pas la même approche politique que lui, j’ai pu apprécier ses prises de position détachées de toutes les contingences partisanes. Il semble qu’en raison de ses passages dans divers postes « officiels » non marqués par un lien avec le pouvoir en place, il ait conservé une approche pragmatique de la vie publique. Ainsi, lors d’une audition par les sénateurs de la mission d’information sur les conséquences de la RGPP sur les collectivités, Jean-Paul Delevoye n’y est pas allé pas par quatre chemins pour pointer les conséquences regrettables de cette réforme de l’État : « La nécessité de maîtrise des finances publiques a fait perdre la notion du collectif au profit de notions comptables. » Un constat fait par un élu UMP qui sait parfaitement de quoi il parle, et qui résume parfaitement la destruction en cours des services administratifs de l’État. Le fameuse RGPP que les penseurs de Bercy voudraient voir appliquée aux collectivités territoriales constitue, en effet, un massacre pur et simple des principes républicains de gestion de l’intérêt collectif, pour des raisons strictement financières ou idéologiques.
L’ancien Médiateur de la République critique donc « l’approche trop souvent budgétaire » de la RGPP qui, faute d’une réflexion sur « les objectifs, les perspectives et l’appropriation par les agents » aurait manqué sa cible. Non seulement elle n’a rien rationalisé, mais elle a au contraire induit la complexité, en créant des macros services, dans lesquels plus personne ne trouve son compte. On retrouve des employés déboussolés par des regroupements virtuels, des gens affectés sur des postes ne correspondant pas à leur formation ou dotés de compétences tellement larges qu’ils ne peuvent plus rien faire de solide.
« Les guerres ne se gagnent pas avec les généraux, mais se perdent avec l’intendance », affirme le Maire de Bapaume pour illustrer « la contradiction entre ceux qui gèrent les moyens et ceux qui gèrent les objectifs ». C’est bien là le drame : plus personne ne se préoccupe des tâches à mener, mais seulement des suppressions d’emplois, pour justement vérifier ensuite qu’il n’est plus possible de rien faire ! Le gouvernement a expédié vers les collectivités des milliers de salariés, au prétexte qu’ils correspondaient à des compétences à assumer. En fait, il n’y a aucune autre motivation que celle de dégraisser fictivement le budget de l’État, car les sommes économisées pour les contribuables nationaux sont seulement transférées sur les impôts locaux. Un exemple ? Dans les Préfectures, on ne fait plus les passeports biométriques, pour déléguer ce travail aux mairies « centres » qui en assument la charge humaine, matérielle et financière, puisque les compensations ne sont pas au rendez-vous.
Jean-Paul Delevoye ne peut pas remettre en cause l’objectif de maîtrise des dépenses qui sous-tend la RGPP, mais il regrette le manque de réflexion en amont sur le périmètre des missions de service public à assumer avec toujours moins de moyens.
Comme il l’avait écrit antérieurement, l’ancien Médiateur pointe du doigt « l’aveuglement informatique, l’absence de lieu d’écoute qui crée de la souffrance sociale » au sein de services publics de plus en plus dématérialisés, et n’offrant plus que la possibilité de joindre des plateformes téléphoniques et des répondeurs automatiques au bout du fil. « Dans un siècle de mobilité, tous les systèmes informatiques ne sont pas adaptés pour accompagner les personnes dans leur mobilité ». Le Président du Conseil Economique, Social et environnemental a le plaisir de formuler ce que l’on constate. Il a oublié que la plupart du temps, il n’y a plus personne au bout du fil… en raison des suppressions de postes. L’exemple des délais d’attente dans les préfectures, en augmentation alors que se réduisent parallèlement les plages horaires d’ouverture au public, constitue un fait indéniable de la détérioration du service au public.
Autre critique émise par l’ancien ministre de la Fonction publique et de la réforme de l’État : l’absence de préparation des agents de la fonction publique aux différentes réformes issues de la RGPP. Il est vrai que les budgets liés à la formation continue, s’ils sont maintenus dans les collectivités territoriales, se raréfient dans les services de l’État. Plus de remplaçants, et quand ils existent, comme dans l’éducation nationale, on met fin dès le début juin à leurs fonctions provisoires, car il n’y a plus d’argent pour les payer ! « La pression sur le budget est forte, mais la pression sur le dialogue social est faible. D’où, des fonctionnaires qui ne comprennent pas le sens de la RGPP », du fait, notamment, « de décisions trop rapides », constate-t-il. Il avait également, rappelons-le, l’aménagement du territoire dans son portefeuille ministériel entre 2002 et 2004, et c’est en connaisseur qu’il déplore un double fardeau supporté par le secteur local. Tout d’abord, une réorganisation administrative de l’État où l’échelon central, « abreuve l’administration locale de différentes directives », dans une réforme qui n’aurait pas été « homogène » entre les deux échelons. Ensuite, l’incapacité des différents acteurs publics (État, collectivités et services publics) à avoir « une réflexion au niveau régional pour réorienter l’offre globale de services publics sur le territoire et non l’offre service par service; c’est d’autant plus vrai que toutes les initiatives comme le relais service public de Créon, pourtant installé depuis 8 ans, attend toujours un geste des représentants de l’État pour en valoriser l’existence. Il est vrai qu’il a attendu 5 ans pour obtenir le label, car il n’y avait pas un euro disponible pour attribuer la subvention liée au label ! Jean-Paul Delevoye se prononce on ne peut plus clairement sur la réforme territoriale, qu’il juge « déconnectée de l’organisation administrative des territoires » et incapable de se poser la seule question qui vaille, selon lui, pour les acteurs locaux : « Sur notre territoire, quelle est la meilleure organisation possible des services publics ? » Dommage qu’il ne soit plus Président de l’Association des Maires de France. Mais comme UMP, il sera entendu… n’en doutons pas !

Cet article a 2 commentaires

  1. Christian Coulais

    Dans la rubrique « ça fait du bien d’en parler » :
    Ah l’intelligence du numéro surtaxé pour demander des renseignements…Là, en l’occurrence le Régime Social des Indépendants (0 821 086 003, service des paiements) pour un premier impayé mensuel.
    Premier appel : après quelques minutes, « votre n° de sécurité sociale, je regarde votre dossier »…Et là, plus un bruit, pas de musique, ni grésillement, le bruit sidéral ! Tellement sidérant qu’au bout de 3-4 mn, j’ai raccroché…pour recommencer.
    Deuxième appel : hop, touche dièse pour gagner du temps rémunéré, « mon explication + n° de sécurité sociale », « ah oui mais là, il va falloir rappeler à partir de mercredi, jeudi, vendredi, car le gestionnaire n’est pas là ! », nouvelle explication de découvert de compte, pour liquidation de société, « je ne peux rien faire pour vous, rappelez à partir de mercredi, le gestionnaire s’occupera de votre dossier ». Total, 10 minutes : 0,12€ pour la mise en service X 2 + 0,11€ toute les 56 secondes ! Plus d’un euro trente parti en fumée…
    Et vous, Mesdames les hôtesses d’accueil, à part me piquer des frais de télécommunication, à quoi servez-vous ? Quelle ignoble invention ces numéros de téléphone surtaxés avec ces bip de boites vocales, et ce personnel délocalisé derrière ! Leur suppression est prévue dans le programme du P.S. ? Car je ne suis pas sûr que mon argent participe au salaire horaire du personnel d’accueil !

  2. facon jf

    Bonjour,
    votre impartialité vous honore. JP DELEVOYE est une exception (trop)rare à droite. Spécialiste de la décentralisation, médiateur de la République jusqu’en 2010, il préside maintenant le CES. Dommage de gaspiller pareille compétence dans la machine à distribuer les fromages qu’est le CES! La simplicité et le bon sens de ses propos au sujet du contrôle des tutelles dans le débat qui suivait l’émission de France 3 , la semaine dernière,sur les spoliations de la « France des incapables » a un peu calmé le profond dégout qui m’a envahi.Sa dénonciation courageuse des lobbies qui ont fait capoter son projet de contrôle des tutelles par les services fiscaux démontre son attachement à la vérité et à la justice. Confronté aux injustices des administrations le médiateur est le mieux placé pour évaluer les conséquences désastreuses de « l’empilage Sarkozien de réformes aussi inutiles que médiatiques ». La réduction drastique des moyens des fonctionnaires et des structures conduit inexorablement à des thromboses lésant définitivement les systèmes en aval.
    Si la gauche gagne en 2012, il faudra beaucoup de JP Delevoye dans l’opposition pour éviter les nombreux écueils qui vont surgir. Il faudra aussi à la gauche le courage d’écouter et entendre leurs critiques.

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