L'élu local devient un "déchet" jetable

En écoutant, puis en participant, aux débats de l’association Amorce qui regroupe les acteurs (élus, techniciens, entrepreneurs, associations…) du monde de la collecte et du traitement des déchets, de l’énergie et du climat, j’ai éprouvé un malaise profond touchant au rôle des élus du suffrage universel dans cette société. A tous les étages, quelle que soit leurs options politiques ou leur rôle, ils se retrouvent en effet dans une position de plus en plus fragile face à un monde qui a dénié, dans les faits, toute valeur à l’action politique. Il est vrai que dans des secteurs comme l’eau, les déchets, l’énergie, la libéralisation outrancière a concentré de fait tous les pouvoirs réels dans les mains du monde économique. Plus aucune volonté politique ne peut aboutir, car le système démocratique est totalement perverti.
Durant les deux jours de ces rencontres, passionnantes quand on sait dépasser le caractère factuel des débats, il était patent que, en matière d’environnement, avec la complicité de fonctionnaires cherchant à survivre, de groupes de pression organisés, la passivité bienveillante de l’État, toutes les grandes options destinées à mettre un terme aux agressions constatées sont vouées à l’échec ! Le Grenelle, avec toutes ses imperfections, tout son cinéma médiatico-politicien, devient une peau de chagrin qui ne verra jamais une application réelle des bonnes intentions ou mêmes des objectifs précis qui y ont été décidés. La loi est lettre morte car par le biais des « normes », des « décrets », des « arrêtés », et surtout par le poids énorme du chantage économique, les prescriptions initiales disparaissent. Il en ressort une longue liste de récriminations émanant d’élus déboussolés, empêtrés dans les multiples contradictions de populations manipulées par des a-coups médiatiques effarants. L’État ne tient plus aucun engagement, même signé antérieurement, et cède en permanence devant des producteurs de déchets ayant tous l’excuse « financière » pour ne pas mettre en œuvre les accords passés.
Par exemple, le milieu des pharmacies fait semblant de se battre avec celui des laboratoires ou des fabricants, pour ne pas collecter les déchets de l’automédication lourde à domicile. Qui doit payer l’élimination des seringues ou appareillages piquants ou tranchants ? On traîne depuis trois ans sans que personne soit en mesure d’imposer une solution… En attendant, ce sont les élus, non responsables de cet imbroglio voulu, dans lequel interviennent la Sécurité sociale, la santé, l’environnement, les groupements professionnels contre… l’environnement, qui doivent résoudre les problèmes ! Même débat pour la taxe incitative, meilleure solution, pour le paiement de l’enlèvement et le traitement des déchets ménagers. L’État piquant sur les feuilles d’imposition locale sa dîme (combien de contribuables le savent ?) au prétexte qu’il calcule, notifie, encaisse et suit pour le compte des collectivités les sommes votées, ne veut pas renoncer, dans le contexte actuel, à cette rentrée d’argent indispensable. Il perdrait en effet un pactole confortable que Bercy ne sait pas compenser. Alors que tout le monde est d’accord, que le principe est juste (part fixe liée aux frais de collecte et par variable liée à la quantité de déchets produits), que tout le monde est prêt, l’État invente une usine à gaz qui ferait recouvrer (avec prélèvement maintenu) la part fixe par le trésor public et la part variable par la collectivité… Rien à cirer du Grenelle et de la volonté de justice des élus, Bercy refuse de perdre son pouvoir de ponction sur les contribuables. La discussion s’éternise. les élus se font engueuler de partout, mais on ne bougera pas, car la volonté politique est étouffée par des contingences financières !
Même problème en ce qui concerne le principe admis par tout le monde : « pollueur-payeur » qui, chez nous, n’est appliqué par quasiment personne. De partout, les gros producteurs de déchets ou d’emballages s’esquivent, se débinent, se planquent et laissent le soin aux élus d’imposer les contribuables pour régler les défaillances constatées. Il savent qu’en bout de ligne, les élus ne peuvent pas faire autrement qu’assumer et prendre les coups de bâton de la population refusant les installations d’élimination, hurlant contre le coût des éliminations et critiquant toute proposition au nom de son insuffisance en matière écologique ! Et c’est bien d’absence de volonté politique au plus haut niveau qu’il s’agit, car en Islande il n’existe pas de paiement de taxe relative aux déchets… car le service est gratuit !
Dans ce petit pays qui continue à faire sa révolution citoyenne en profondeur, ils ont simplement mis en œuvre le principe clé : les producteurs de déchets, quels qu’ils soient, acquittent les frais d’enlèvement et d’élimination de leurs produits ! Une Taxe à la valeur écologique existe sur chaque déchet. Elle est payée au départ du lieu de fabrication, selon des critères environnementaux. A l’arrivée, le résultat est très simple : si j’achète sans tenir compte de cette taxe, je paye très cher ce qui est hostile à l‘environnement et le metteur en marché perd vite sa place. L’effet a été double : moins de déchets, des consommateurs forcément plus attentifs et une gestion en service public déconcentré de la collecte et du traitement, financée par le biais de cette taxe à la source. Simple, clair, facile mais impossible en France, car Danone, Nestlé, Auchan, Carrefour, Leclerc et consorts, les fabricants de produits divers et variés et toutes les filières agro-alimentaires, industrielles… hurlent à la surtaxation de leurs fabrications et se régalent en voyant les élus locaux se dépêtrer des attaques incessantes contre leur gestion. Une lassitude s’installe.
Les conseils municipaux se lézardent. Les assemblées délibérantes n’ont plus de quorum. Les démissions se multiplient. Il serait intéressant de faire une rapide étude pour savoir combien d’élus ont déjà rendu leur tablier dans ce contexte où ils sont la cible idéale désignée par un gouvernement, soucieux de détourner les regards vers le bas. Et en plus, selon moi, ça ne fait que commencer… le mal progresse chaque jour. La perte de la reconnaissance, la disparition de la légitimité du suffrage universel, le caractère terriblement pervers de l’abandon de l’idéologie politique au nom de l’efficacité gestionnaire, la tromperie permanente des effets d’annonce, gangrène la démocratie qui prend, comme les déchets, le chemin de l’enfouissement ou de l’incinération !

Cet article a 6 commentaires

  1. Michel d'Auvergne

    Au plus haut niveau, les politiques ne gèrent plus rien: c’est « canard et cochon » , je voulais dire « Standard et Poor’s » (s’cusez-moi) qui commandent et à travers eux les argentiers multinationaux et autres spéculateurs: pour les élus de base, c’est un peu comme le quidam qui va à la Poste, tancer la guichetière parce-qu’il n’a plus de courrier alors que c’est la direction qui n’a pas remplacé le facteur absent ! On prend tous le chemin de la Grèce: des centaines de tonnes d’ordures dans les rues, à tel point que ça finira par gêner la police locale pour disperser le peuple…
    Chalut.

  2. Nadine Stalker

    À tous les niveaux on s’aperçoit qu’un gouvernement fort et déterminé devient indispensable. Mais qui, dans le paysage politique d’aujourd’hui, semble nous offrir ce choix-là ? Les extrêmes, comme d’hab’, l’ultra-Gauche et l’ultra-Droite, même si cette dernière me parait plus camoufler son insuffisance sous un discours « populiste » fort dangereux. La Gauche et la Droite se sont vendues aux marchés depuis longtemps. Qui pour s’opposer aux lobbies ? Qui pour prendre des Lois fortes et justes, et les appliquer ?
    Pourquoi me faire payer des taxes sur mes poubelles et m’obliger à les remplir, sinon pour le fric ? Combien sont-ils à s’en foutre plein les poches au passage, du marchand de cartons au supermarché, du centre de tri à l’Etat ? Qui aura le courage de foutre un bon coup de pied dans cette fourmilière ? Rétablir l’auto-suffisance alimentaire du pays, privilégier les circuits courts en favorisant le bio, réduire les emballages à leur portion congrue, taxer lourdement ceux qui ne sont pas écologiques (plastique), fabriquer papiers et cartons d’emballage au pays, privilégier la vente « à nu » et au poids, mais aussi ré-apprendre aux gens à cuisiner et à manger sain, taxer les produits « exotiques » et les merdes de la malbouffe (300% sur Coca!!!), mais aussi obliger les fabricants à mieux travailler, plus sain et plus local, mieux encadrer les additifs, colorants et conservateurs, sans parler des huiles dégénérées, bref y’a du boulot!!!!! Qui propose ça dans son programme ?????????

  3. Bonjour à tous,
    J’observe avec intérêt que le débat avance sur les déchets, enfin!
    Si l’on s’interroge sur ce qui remplit nos poubelles et les solutions préfabriquées vendues par les géants du secteur ( taxe incitative), alors on en arrive à cette conclusion : on nous prend pour des gogos!
    S’intéresser aux déchets c’est s’intéresser à notre mode de vie.
    Un exemple, la taxe incitative qui taxe les familles nombreuses au bénéfice des gros propriétaires fonciers et on se gargarise en répétant que c’est plus moderne et plus juste et plus intelligent et,… et … et… Rien que des avantages pour les géants du déchet, fourniture et entretien de poubelles à puces, fourniture et entretien des dispositifs de gestion ( comptage, pesée etc..,), fourniture et entretien des moyens de facturation ( logiciels et matériel). Et en plus pour les géants du secteur, les transferts de déchet de la poubelle brune vers la poubelle jaune (ou verte c’est selon) ou la déchetterie conduisent immanquablement vers les autres pans de leurs industries pour toujours plus de bénéfices.
    Dommage pour les élus locaux qui se sont laissés endormir par les promesses des géants du déchet, les arbres ne peuvent pas monter jusqu’au ciel et la fiscalité locale non plus.
    La révolution des déchets est à conduire; pour une société moins consommatrice de produits au cycle de vie de plus en plus court qui épuisent les ressources de la planète et gavent nos poubelles!
    Un exemple, merci steve Jobs, le dernier iphone dont la batterie est soudée au circuit imprimé, comme cela « faut tout racheter quand la batterie est morte ».
    Bon courage!

  4. maulin

    Le vrai problème c’est la société de consommation, et qui dit société de consommation, dit emploi.C’est pour ça que je ne vois pas quel parti politique à l’heure actuelle,( avec le % actuel de chômeurs) a vraiment envie de s’attaquer à tous ce trop de déchets, » créateur d’emploi depuis quelques décennies. » Reste à savoir jusqu’ où cela conduira notre société. Et là, je ne suis pas « miroska » pour prévoir le quand??? Mais… faudra vite que la société trouve une solution, à ce problème. (Et peut-être pas, que les élus locaux.)

  5. baillet Gilles

    Bonjour,
    les élus locaux sont responsables de la concentration des moyens économiques dans les mains des multinationales de l’eau et des déchets ménagers. Ce sont eux qui signent à tout va des délégations de service public à ces entreprises et lorsque la gestion de ces dernières est contestée par quelques associations de citoyens, ils n’hésitent pas à monter au créneau pour les défendre…Pourquoi cette attitude? Alors qu’il existe une solution: le contrôle public direct des services publics de l’eau et des déchets par le passage en régie. Des propositions de loi pour encourager les élus locaux à aller dans ce sens ont été enterrées en 2003-2004, la plus célèbre étant la proposition Chassaîgne. Que pensez-vous de la situation de la Gironde dominée par le quasi monopole de l’incinérateur de Bègles Astria co-propriété de la CUB et de Véolia environnement? Pourquoi cette infrastructure ne devrait-elle pas devenir la propriété des syndicats de traitement des ordures ménagères client et du conseil général de la Gironde qui fixe avec le préfet, le schéma départemental de gestion des déchets! C’est à mon avis le seul moyen de réguler les prix du traitement. Je rappelle qu’en 2005, il est passé de 50€ la tonne incinérée à 80€ tonne pour financer l’équipement de nouveaux filtres respectueux de l’environnement. Cette augmentation étant supportée par les seuls habitants de la Gironde rurale alors que ceux de la CUB en ont été exemptés! Cette question du traitement est fondamentale car il y en a marre que les collectivités se moquent de nous en nous incitant à trier alors que plus on amène des déchets à Astria et moins on paie! Un bon tri sélectif réduira la quantité de déchets dirigés vers Bègles mais soumettra les usagers à des pénalités financières car les objectifs du contrat signé entre Astria et le syndicat de traitement n’ont pas été atteints…C’est pour respecter ces seuils de rentabilité qu’une partie du tri sélectif semble envoyée à Bègles… Il est temps que ça change localement et nationalement! Et je ne parle pas du recyclage du verre qui fait la fortune de la firme BSN…

  6. François

    Bonsoir !
    Jean- Marie, si je reprends ton propos sur l’Islande et sa Taxe sur la valeur écologique, c’est pour te signaler qu’elle existe déjà en France sous deux formes ( au moins ! ) .
    – Depuis plus de vingt ans , les deux petites flèches dans un cercle sont un prélèvement à la source pour le recyclage ( certes, il semblerait que cette taxe se perde dans les profondeurs abyssales des coffres de Bercy ! ! ).
    – Plus récemment, chaque consommateur paie un petit supplément mentionné sur chaque produit, une somme qui va rejoindre la première à l’image, souviens- toi, de la vignette automobile pour la retraite de nos anciens « qui n’en ont jamais vu la couleur hormis sur leur pare-brise ».
    Aussi, je rejoins un commentaire en te demandant de ne pas ponctionner davantage le consommateur car tu sais très bien que cela ne vient qu’engraisser des Nicollin, Guérini et … les « bénévoles indemnisés ».
    Je viens d’effectuer une sortie en Suéde: que ma surprise fut grande de constater la propreté du pays liée à la présence discrète des poubelles non débordantes, car vidées régulièrement par UN employé et son camion 20 tonnes !
    Certes, j’étais en pays nordique avec des humains au tempérament responsable encadrés par des gestionnaires ……
    Quant « aux conseils municipaux qui se lézardent, aux assemblées qui n’ont plus le quorum », grâce à ton expérience d’Ancien et d’instituteur, tu sais très bien où se situent les racines du mal !
    Cordialement.

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