Discours du 11 novembre…

La guerre s’installe sur les écrans de nos télévisions et la mort vient s’y prélasser avec des images réputées authentiques. Les jeux vidéo permettent de tuer virtuellement des centaines de soldats sans que jamais celui qui tire ait l’impression de transgresser un principe moral. Les journaux diffusent en boucle des visages tuméfiés ou ensanglantés pour magnifier la victoire. Notre société a oublié que, durant des décennies, après les affres de 1914-1918, des milliers de poitrines clamaient durant des crises pouvant conduire à un conflit armé : plus jamais ça ! Ces « pacifistes » d’un autre siècle avaient connu les réalités des combats dans le froid, la boue, la puanteur et l’effroi. Ils savaient ce que la violence engendre comme souffrance et comme haine.
Ils n’avaient, de retour dans leur village, aucune envie de raconter ce qu’ils avaient vu, entendu, senti et subi. Certains n’arrivèrent même jamais à se débarrasser de visions infernales qui les hantèrent toute leur vie. Leur guerre n’avait rien de virtuel, et la mort rôdait chaque jour dans les tranchées, sous les bombes ou face à une mitrailleuse impitoyable. Elle surgissait pour faucher en pleine jeunesse des hommes partis pour simplement faire ce qu’alors tout le monde considérait comme leur devoir.
Cette guerre 14-18 dont nous célébrons aujourd’hui le 93° anniversaire de la fin, restera, dans l’histoire de notre pays, comme la première de la mondialisation d’un conflit.
Elle mêla dans le fracas des armes, des hommes de toutes les religions, de toutes les origines sociales, d’ethnies différentes ou d’opinions diverses. Ils avaient en commun leur volonté de ne pas subir un sort défavorable, de se battre pour préserver leur avenir et celui de leurs proches, de défendre leur lopin de terre, leur atelier modeste ou industrialisé, leur bureau cossu ou médiocre, leur école ou leur maison. Il n’y eut aucune pitié, pour aucun d’entre eux, quel que soit le camp qu’il fréquentait. Près de 10 millions de morts ou de disparus, près de 13 millions de blessés, des millions d’orphelins et des destructions massives, figurent au bilan de ces affrontements menés selon un principe de Paul Valéry voulant que « La guerre soit le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais qui ne se massacrent pas ! » Jamais peut-être, à notre époque, ce constat n’a été aussi valable, comme si nous n’avions jamais tiré les leçons de l’Histoire.
Cette commémoration d’un bref moment de joie pour celles et ceux qui voyaient la fin de leur cauchemar, et d’une longue période de tristesse pour celles et ceux qui voyaient débuter ou se poursuivre leur deuil, doit démontrer notre volonté collective de ne pas nous laisser tromper par les apparences.
Il n’y a pas et il n’y aura jamais de guerre juste, puisqu’elle est provoquée par des faits ou des décisions qui ne le sont pas. Rien ne justifie que l’Homme devienne un loup pour l’Homme.
Ne nous laissons pas abuser par des déclarations victorieuses, tentant de faire oublier encore une fois la disparition de femmes, d’enfants, d’hommes d’un camp ou d’un autre, innocentes victimes de guerriers lointains. La seule victoire qui vaille c’est celle qui permet d’éviter les affrontements, les crimes, les attentats, les atrocités.
La guerre 14-18 restera celle des gens simples mobilisés, ne sachant pas forcément les raisons qui les conduisaient au front. Cette réalité a transformé des paysans, des ouvriers, des employés, des fonctionnaires, des étudiants, des cadres en « chair à canon ». Ils n’ont réalisé ce qui les attendait que quand il était trop tard. L’indifférence constitue, à cet égard, le pire poison pour la démocratie.
Il nous faut, inlassablement, éduquer. Il nous faut inlassablement expliquer. Il nous faut inlassablement faire vivre les principes de la tolérance, du partage, de la solidarité. Il nous faut mener sans fléchir le seul combat qui vaille, celui pour que vive la paix.
En ce 11 novembre 2011, en notre monde malade du profit, traversé par une guerre économique devenue fatale socialement à tellement de gens, nous avons le devoir de ne pas renoncer à exercer notre statut de citoyennes et des citoyens.
Ce matin, en nous recueillant devant cette trop longue liste de noms, nous avons démontré, comme le souhaitait Jaurés, premier mort de la guerre, assassiné par l’une des victimes de l’endoctrinement haineux, que nous sommes encore capables de « n’avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent et une confiance inébranlable dans l’avenir »
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, merci d’avoir eu le courage, en ce jour férié dont plus grand monde ne connaît le sens véritable, de consacrer une part de votre temps au souvenir d’une pierre blanche posée au bord du chemin sombre de notre histoire commune.
Merci de votre chaleureuse présence républicaine.
Merci tout simplement de considérer que tout hommage public responsable et solidaire a son utilité dans un monde des mémoires défaillantes.
Merci de votre attention.

Cet article a 2 commentaires

  1. batistin

    Sur les monuments aux morts de nos villages, où parfois trône encore un coq vainqueur, mais plus souvent une sculpture rigide, froide et triste, ou expressive et horrifiante, une liste de noms désincarnés est gravée.
    « À nos morts, pour la patrie »…
    Je propose, dans le cadre du 1% pour l’art, que se doivent de réserver les régions pour toute construction communautaire, d’ériger dans chaque commune un monument où seraient gravés les noms des familles tombées au front du libéralisme.
    « À nos morts de faim, pour la bourse »…

  2. Nadine Stalker

    Ne pas oublier aussi les conséquences de l’absurdité et de la morgue des vainqueurs, qui précipitèrent l’Allemagne dans les bras d’Hitler…
    L’humiliation des peuples n’a jamais payé, aujourd’hui comme hier.

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