Entretien sur le vélo (Sud-ouest 10 décembre 2011)


Jean-Marie Darmian. photo Archives, Pascal Couillaud/« Sud Ouest »

La bicyclette : « Un maillon sur la chaîne des déplacements »
Président du Club des villes et territoires cyclables, Jean-Marie Darmian est certain que la pratique du vélo doit progresser. Malgré les obstacles

Maire (PS) de Créon, dans l’Entre-deux-Mers, vice-président du Conseil général de la Gironde, Jean-Marie Darmian est de ces élus pionniers qui se sont attelés à la renaissance de la pratique quotidienne du vélo. Président du Club des villes et territoires cyclables depuis 2008, il représente sur ce thème plus de 1 000 collectivités adhérentes, soit 16 millions de personnes en France.

« Sud Ouest ». L’usage du vélo continue-t-il à progresser ?
Jean-Marie Darmian. On vit une période de mutation. Le vélo en libre-service mis en place à Lyon puis à Paris a complètement bouleversé les façons de se déplacer. L’an dernier, Bordeaux et sa communauté urbaine sont devenus des références pour le vélo en libre service. Contrairement à Paris, où Decaux paie le vélo sur les rentrées publicitaires, Bordeaux a intégré le vélo à son contrat de délégation sur les transports urbains. Ce faisant, on reconnaît que le vélo est un maillon sur la chaîne des déplacements, un élément de mobilité au même titre que le tramway et le bus. On sent que les mentalités évoluent.

Certains élus sont-ils encore réticents ?

Bien sûr. Beaucoup de villes se sont mises aux aménagements cyclables, mais il reste à faire comprendre que le vélo a vocation à s’insérer dans un plan global de déplacements. On ne promeut pas le vélo en peignant une bande blanche le long de la route, ce n’est pas suffisant.

Comment expliquez-vous l’engouement pour le vélo ?

À partir des années 1960, l’usage du vélo précède dans les âges de la vie celui de la mobylette, puis de la voiture. Ce sont les adultes qui reviennent aujourd’hui au vélo, souvent par le loisir. Beaucoup de retraités achètent un vélo pour se déplacer au quotidien, ce qui n’était pas encore le cas il y a cinq ou six ans. Les considérations liées au pouvoir d’achat ne sont pas absentes de ce choix. La catégorie des bobos, qui a lancé la mode du vélo, est d’ores et déjà noyée dans la masse des usagers.

Quelles sont les marges de progression ?

50 % des déplacements en France sont inférieurs à deux kilomètres. Et pourtant, le vélo ne représente qu’une part infime des déplacements. C’est tout dire ! On peut faire avancer les choses par une démarche volontariste. À Créon, par exemple, nous avons interdit la circulation des voitures devant l’école un quart d’heure avant la sortie des classes et un quart d’heure après. Je n’ai pas reçu de protestations des parents… Dans un rayon plus large, d’une quinzaine de kilomètres, l’outil de demain est le vélo à assistance électrique (VAE). Au-delà de cette distance, l’incitation à l’usage du vélo n’est plus pertinente.

Est-ce que ça ne restreint pas l’usage du vélo aux centres-villes ?

L’étalement urbain est un dérapage considérable qui pèse sur les politiques de transport. En obligeant les gens à s’éloigner, on les jette dans les bras de la voiture, avec tout ce que cela suppose pour le pouvoir d’achat. À Créon, le nouveau PLU (plan local d’urbanisme) supprime la constructibilité à plus de 800 mètres du centre-ville. Comme quoi, on a les outils pour remédier à cet état de fait. Mais il est scandaleux de laisser les élus locaux seuls face à ce problème qui conduit les gens à l’isolement et qui pèse sur leur moral. Il faut voir l’état de stress des parents qui s’extirpent de la rocade bordelaise pour passer chercher leur enfant à temps à la garderie… Tous les efforts que l’on fait pour faire évoluer les mobilités sont détruits par l’étalement urbain.

Quels sont les autres obstacles au développement du vélo ?

La culture DDE, qui marque encore les techniciens dans nombre de collectivités. Il s’agit d’amener le plus rapidement possible l’usager du point A au point B. Alors on fait large et roulant, sans anticiper les mutations qui s’annoncent dans les déplacements. À quoi sert-il de gagner quelques minutes pour aller en voiture de Créon à Bordeaux si, à l’entrée de l’agglomération, on s’englue dans les embouteillages ? Lors de la présentation de la LGV (NDLR : la ligne ferroviaire à grande vitesse), j’ai été frappé par le fait qu’on détaillait les passages pour la faune sauvage sans penser aux passages pour les hommes ! Un problème du même genre se pose sur l’aménagement à deux fois deux voies de la RN 10 en Charente. Il faudra parfois faire des kilomètres pour trouver un franchissement.

Et les limites à l’usage du vélo sur les parcours urbains ?
Il y a un problème d’insécurité lié à l’angle mort des poids lourds. C’est la cause majeure des accidents impliquant des cyclistes. Il y aura toujours des réticences liées au climat, même si 30 % des déplacements se font à vélo à Copenhague. Enfin, le vol des vélos est un frein à son développement. Il est impératif d’accompagner chaque aménagement des capacités de stationnement correspondantes. Dans de nombreuses villes, ni les entreprises ni les immeubles ne disposent de garages à vélo. Et il n’est pas toujours possible de les monter dans les appartements. On pourrait bloquer des places dans les parkings publics pour résoudre cette difficulté.

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