"Contre la bêtise même les dieux n'y peuvent rien !"

Ce soir, je n’ai pas envie d’écrire. C’est rare. Très rare. Je me demande si je ne vais pas me contenter de publier cette phrase de Schiller qu’a récemment citée Laurent Fabius : « Contre la bêtise, même les dieux ne peuvent rien ! » Elle résume parfaitement tout ce que je pourrais placer dans une chronique, tellement le week-end m’incite à effectuer ce constat. C’est vrai qu’immédiatement, ce constat me rangera, comme le pensent justement certains, dans le camp des « prétentieux » ou des « mégalomanes », qui se prennent pour des êtres supérieurs.Il est vrai que, quand je fais le bilan de deux jours passés au contact de la réalité « sociale », je ne suis guère optimiste…mais tant pis, au point où j’en suis, il m’est impossible de m’arrêter en si bon chemin.
La bêtise était présente durant plus de 24 heures dans le centre même de Créon, sous les arcades ou autour de la Place de la Prévôté. Une demi-douzaine d’énergumènes hurlant, gesticulant, insultant, agressant, ont en effet investi l’espace public et ils ont distillé des litres d’alcools de toutes sortes. Contenus dans de fausses bouteilles de jus de fruits dilués, des breuvages alimentèrent ces longues heures passées dans la nuit humide et froide. Ivres, moitié inconscients, ils ont dormi dans les toilettes publiques pour ceux qui étaient venus des environs, alors que les autres allaient à l’aube retrouver des domiciles où personne ne savait ce qu’ils avaient pu faire durant leur absence. La bêtise à l’état pur, noyée dans l’alcool, les a conduits à chercher querelle aux sapeurs-pompiers volontaires qui fêtaient, en privé, l’année écoulée. Le choc de deux mondes, car les uns abrutis par la boisson, gâchant leur vie, refusant le contact avec les autres, voulaient en découdre avec des citoyens paisibles, consacrant leurs loisirs et leur temps familial à se rendre au devant de la détresse sous toutes ses formes. Des moments absurdes, qui reflètent cette situation sociale extravagante, que personne ne sait plus maîtriser, car le dialogue n’existe plus.
La troupe avinée est allée cambrioler un local communal pour y dérober les réserves qu’il contenait. Porte fracturée, vitres cassées et des caisses de vin, finalement abandonnées quelques dizaines de mètres plus loin. La bêtise ne permet pas toujours d’ingurgiter au-delà de certaines limites. Dimanche matin, les « épaves » titubantes traînaient encore dans les rues, tentant de poursuivre leur quête de je ne sais quelle reconnaissance. Dès qu’il y avait un brin de vie collective, les « survivants » venaient perturber le rendez-vous. Insultes proférées de loin à mon égard, intrusion dans le repas du « club des Fils d’argent » et… le jeu préféré : briser des bouteilles vides en tous genres dans la ville. Le lundi matin, le Préfet fait une conférence de presse sur les chiffres de la délinquance… mais les tentatives de plaintes de toutes les personnes ayant traversé ces moments pénibles n’aboutiront pas. « On les connaît ! », « On ne peut rien y faire » ; « on les a contrôlé »… et la suite est connue. Ivresse manifeste sur la voie publique ? Point du tout : c’est devenu habituel ! La preuve ?
Ailleurs, ce samedi soir, de respectables citoyens banquettent… Pour eux aussi, se rassurer consiste à s’esbaudir de commentaires qu’ils pensent intelligents sur les absents. Quelques témoins gênés, ne comprenant pas, dans le brouhaha, cette animosité, assistent à ce « déluge » étayé par uniquement les pires des motivations : la jalousie, la haine et la suffisance. Il faut bien avouer que l’agression n’est pas physique, mais profitant de la passivité du reste du groupe, ravi de pouvoir ensuite prétendre qu’il n’a rien vu, rien entendu et surtout rien approuvé, elle monte avec le nombre des bouteilles. A l’aube, les habitués reprennent le volant pour rentrer gaillardement chez eux, moralement satisfaits d’avoir trouvé un exutoire à leur mal être ! Eux aussi tapent à leur manière sur les plus fragiles ou sur celles ou ceux qui mettent en évidence leurs insuffisances. Ils retrouveront quelques heures plus tard les apparences de femmes et d’hommes responsables et oublieront les heures précédentes, évitant ainsi de se pencher sur leur triste sort…pour rechercher en catimini une nouvelle motivation pour mordre bêtement, comme le feraient des loups !
Ces deux facettes de cette société qui nie toute valeur à la raison ou à l’intelligence, pour se satisfaire de l’ivresse et de la bêtise, détruisent les illusions. Les valeurs affirmées devant les micros n’ont plus aucun sens. Bien évidemment, dans les deux cas, l’indifférence complice facilite la montée en puissance de ces comportements détestables.
Dans le fond, il y a toujours un vainqueur. Lundi matin le Front national avait fait un pas en avant sur le Créonnais, car c’est sur le terreau de week-ends comme celui-ci qu’il fleurit le mieux. Albert Camus, celui qui a haï toute sa vie la bêtise sous toutes ses formes (et elle en a de multiples) avait eu une pensée angoissante : « toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare le fascisme ». Le terme « politique » étant, bien entendu, pris dans son sens de vie et gestion de la cité, il y a tout à craindre !

Cet article a 4 commentaires

  1. batistin

    Bien sur il existe ce que nous pourrions nommer un fascisme ordinaire (!), dont les exécutants ne sont pas des monstres assassins, juste des.. idiots.
    Tenir en coupe serrée sa famille ou ses employés et pratiquer une forme de destruction mentale systématique de ceux dont on a la charge, par exemple.
    Pour preuve les suicides dans certaines entreprises privées ou corps d’Etat.

    Mais, pour en revenir au mal-être ambiant qui pousse certains individus à la bêtise la plus noire, il s’agit bien là de fascisme, ou plus exactement de ses effets.
    Le fascisme dans sa forme la plus pure, celui inventé par les nazis.

    L’orgueil affiché non d’une race, mais d’une classe « supérieure ».
    Ou comment en lieu et place d’un extrémisme nationaliste nous subissons la gloire d’un extrémisme libéraliste.
    Ces hommes malheureux lancés à pleines dents contre une population apeurée, ces idiots perdus et aigris, revanchards et à plaindre, sont-ils alors les victimes d’un système ?
    N’en seraient-ils pas plutôt les imbéciles petits soldats ?

  2. Christian Coulais

    23 janvier, bienvenue dans l’année du dragon !
    On gouverne un royaume par la justice.
    On conduit une guerre par la tactique.
    Mais c’est en renonçant à toute action que l’on devient le maître du monde.
    Comment peut-on savoir cela ? En considérant ceci :
    Plus il y d’interdit, plus le peuple s’appauvrit.
    Plus les armes se perfectionnent, plus le pays est dans le désordre.
    Plus les hommes sont ingénieux et habiles, plus leurs inventions deviennent néfastes.
    Plus nombreux sont les décrets et les lois, plus les malfaiteurs et les bandits pullulent.
    C’est pourquoi le prince sage dit :
    « Je n’agis pas et le peuple s’amende lui-même.
    Je demeure dans la quiétude et le peuple s’améliore.
    Je ne recherche aucun profit et le peuple voit augmenter ses biens.
    Je demeure sans désirs et le peuple retrouve les bienfaits d’une vie simple. »
    Chapitre cinquante-sept, livre de la voie et de la vertu. Tao tö king, Lao-tseu

  3. Nadine Bompart

    Quel beau week-end, typique de nos vies d’aujourd’hui…
    Quoi que…
    Quand on lit des livres sur la vie quotidienne au 19ème, sous la Révolution, au Moyen Âge, ça tapait grave et ça excluait beaucoup!!!!
    L’humanité sera-t-elle un jour construite sur l’humanisme ?
    J’en doute sérieusement…
    P.S: les loups, eux, ne mordent jamais « gratuitement »!

  4. J.J.

    C’est vrai que dans ce qui différencie l’animal de l’homme, on observe certaines aptitudes physiques et intellectuelles, l’intelligence, l’habileté manuelle, par exemple, mais il y a également la bêtise « gratuite » et la cruauté.

    Comme le dit si bien Nadine, les loups ne mordent jamais gratuitement.

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