Méfiez-vous : les oracles n'ont jamais été les amis de la démocratie !

« Veuillez nous excuser de cette interruption momentanée de la campagne »… Pour celles et ceux qui ont eu la chance de découvrir la télévision en noir et blanc il y a un demi-siècle, cette annonce préludait à une panne plus ou moins longue, durant laquelle l’image fixe occupait l’écran. Au milieu d’un épisode de Rintintin ou de Zorro, la déception était forte ! Dans le fond, on avait le regret de ne pas avoir profité des instants antérieurs à cette coupure parfois meublée d’un petit train rébus qui ne compensait en rien le vide technique. La similitude me frappe puisque, pour pallier l’absence des aventures de la bande des dix, on a vite expédié quelques signaux bizarres portant des courbes étonnantes : les sondages !
Quand ils ne sont plus dans l’actualité, les « héros » présidentiels sont remplacés par des sondages, réputés décodés par celles et ceux qui les regardent. Cet intermède permanent a pris beaucoup plus d’importance que le contenu du feuilleton, qui ne semble plus passionner grand monde. Cette kyrielle de prévisions ne rime plus à grand chose. Il faut pourtant se souvenir qu’à toutes les époques, avant toutes les batailles, les seigneurs de la guerre consultaient les oracles. En Grèce, les oracles ont joué un rôle fondamental dans la vie sociale qu’ils ont fortement influencée, via des… prévisions que l’on n’appelait pas encore des sondages. Outre un rôle religieux majeur dans le monde antique, les oracles de la Pythie ont tenu une place importante dans l’organisation politique grecque. Trois faits curieux sont notables concernant l’opinion que le dieu était censé avoir de la puissance grecque. L’oracle, en effet, n’a pas toujours soutenu les actions de son peuple… Loin s’en faut : il l’a même souvent trompé !
Lors des affrontements entre les Grecs et les Mèdes, Athènes avait consulté l’oracle, afin de demander s’il était bon de solliciter l’aide de Sparte. Une sorte de désistement demandé au Modem de l’époque, puisque non engagé d’un côté ou de l’autre. L’oracle rendit une réponse négative, alors que c’est justement l’intervention du spartiate Léonidas aux Thermopyles en 480 qui permit aux Athéniens de gagner du temps pour remporter la victoire à Salamine. Le sondage effectué n’avait donc aucune valeur face à la réalité… mais on continua durant des décennies à utiliser la prédiction, pour tenter de changer le cours des événements jugés potentiellement défavorables! On accusa alors l’oracle d’avoir tenté d’aider les Mèdes, ce qui permit d’inventer qu’ils avaient… médit !
Le deuxième oracle marquant prend place pendant une autre campagne, celle qui opposa, dans un face à face, Athènes à Sparte . Encore une fois, la prévision donnait clairement raison aux Spartiates. On accusa encore une fois La Pythie de parti pris ! Enfin, pendant les conquêtes de Philippe, l’oracle, se trouve du côté du « barbare ». En quelque sorte, l’oracle se montre surtout méfiant vis-à-vis des démocrates Athéniens. En fait, il subissait bien sûr les influences du peuple de Delphes, pro-aristocrate et assez conservateur. Cela explique sans doute pourquoi la Pythie s’est souvent montrée défavorable à Athènes: la démocratie n’était pas en odeur de sainteté dans cette région du monde grec… ce qui rend la situation dans ce pays encore plus symbolique.
Je suis sincèrement désolé de revenir sur cette période, mais la nôtre, réputée « raisonnable » et « rationnelle », n’a guère évolué. Bien au contraire, elle a inventé des formes de prédictions ressemblant à celles qui furent en vigueur il ya des siècles. Chacun accuse l’oracle de tous les maux quand il ne convient pas à ses ambitions ou à ses certitudes rassurantes ! La Pythie est multiforme avec des noms changeant, des temples complexes et des voix « off » totalement inconnues, mais loin d’être innocentes ! Les enjeux financiers demeurent secrets. Qui finance les prédictions? Combien coûtent les prédictions des oracles IFOP, CSA, MEDIAMETRIE, OPINIONWAY ? En fait, comme c’était le cas à Delphes, le rôle économique demeure essentiel, et il prend encore et toujours le pas sur le politique. Ville très fréquentée, où l’argent circulait (celui des… taxes de consultation, des nombreux trésors offerts par les cités que l’oracle avait « favorisées », des offrandes, des achats de victimes sacrificielles que seuls les marchands de la ville pouvaient vendre, etc.), Delphes vivait des prédictions. On y inventa donc des changeurs et des prêteurs. C’est à Delphes, au VIe siècle avant l’ère chrétienne, que les premières… banques ont fait leur apparition. Difficile de ne pas y voir un lien direct. Plusieurs devises philosophiques ornaient la ville: « rien de trop », inculquant la mesure et le rejet des excès, «connais-toi toi-même», sur le fronton du temple d’Apollon, maxime enseignant l’importance de l’autonomie dans la recherche de la vérité .
Ces deux formules résument ce que devraient faire dimanche les citoyennes et les citoyens qui ne consomment pas les « oracles » des sondages. Ils doivent profiter de l’interlude offert pour se forger une seule certitude objective : rien ne peut et ne doit décider à leur place. Et qu’ils n’oublient surtout pas, s’ils sont de gauche, que le 21 avril 2002, pour avoir cru un peu trop vite dans les oracles, ils avaient ouvert un interlude d’une décennie ! Pour ma part, je ne veux pas que ça recommence, et je me fous des prédictions. Je ne crois que dans la conviction, l’efficacité et le réalisme : je voterai donc, en toute conscience, François Hollande ! Je ne veux pas voir passer ni avoir à déchiffrer, le 6 mai, un rébus logotisé UMP !

Cette publication a un commentaire

  1. Sénèque

    article remarquable !!!!

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