Les femmes fleurs indiennes conservent leurs secrets

Pour vivre malheureuses depuis des siècles, les femmes indiennes vivent cachées… Des dizaines de millions d’entre elles n’ont pas encore conquis le droit d’exister véritablement, dans un pays corseté par des rites ancestraux. Celles des villes s’octroient les apparences vestimentaires de la liberté mais elles vivent encore sur des critères d’une autre époque. Elles portent ces jeans qu’elles fabriquent pour une poignée de lentilles indispensable à la vie de la famille « élargie ». Élégantes, légères, vives, elles semblent craindre seulement que les regards réprobateurs se transforment en remarque plus dure. La très grande majorité est en effet encore fidèle aux tenues traditionnelles. Partout ailleurs, ce ne sont que « fleurs » vaporeuses, éclatantes, évoluant le plus souvent en groupes, pour afficher leur solidarité féminine dans un monde fait d’injustices criantes à leur égard. Assises au bord des routes ou en amazone, le dos tourné à la chaussée, sur l’arrière d’un deux roues, piloté par un homme réputé surveillant et protecteur (le père, le mari, le frère?), elles ne dissimulent pas que leur visage, mais surtout leurs sentiments. Impossible de saisir leur regard. Impossible d’appréhender les facettes de leur âme. Un foulard posé sur des coiffures de jais, prestement rabattu, suffit en effet à entretenir le mystère. En fait, ce n’est que la résultante d’une longue soumission à des règles obscures héritées de ce brassage des cultures, consécutif aux invasions. Les femmes n’ont jamais été l’avenir visible des hommes, mais simplement des marques de richesse ou de pouvoir, jalousement enfermées comme les perles d’un trésor.

Majeures à 18 ans et donc bonnes à s’inscrire dans la logique des « mariages arrangés », elles sont imprégnées de l’obligation de vivre dans le secret. Tout est en effet dissimulé pour les porteuses de saris, dans ces civilisations qui perdurent par la peur de ne pas accéder à une autre destinée meilleure à celle du présent. Pour les Indiennes, la réincarnation n’a pas changé pas grand chose au fil des siècles. Elles travaillent courbées dans les champs, elles désherbent assises, manuellement, les pelouses des palais, elles restent des heures derrière des étalages branlants, elles nettoient des espaces publics avec un « balai » très court, elles accompagnent 4 ou 5 vaches ou une demi-douzaine de chèvres, ou jettent un œil las sur des dromadaires. Impossible de ne pas penser à ces destins guidés, imposés, écrasés par des préceptes qui ont peu évolué !

Dans les palais de ces despotes plus ou moins éclairés, les maharadjas amassaient les femmes, les pierres précieuses et les pièces d’or afin de satisfaire leur vanité. Ciselés, sophistiqués, décorés, fastueux, ces lieux ont tous une point commun : dissimuler aux regards extérieurs les trésors dont ils se réservaient férocement l’exclusivité. Les architectes recherchaient toutes les astuces possibles, afin que les femmes soient maintenues au secret. Invisibles, mais surtout pas intouchables pour leurs maîtres, elles étaient cantonnées dans des « cloîtres » pour nones du sexe. Derrière mes moucharabiehs dentelés ou dans les cours intérieures dorées ressemblant à celles de prisons de luxe elles cultivaient leurs amours perdues, leurs querelles de pouvoir et leurs espoirs de promotion canapé. Certes, certaines, rares, o obtenu l’ascendant sur les Princes et parfois l’amour prenait le pas sur les considérations politico-sexuelles mais ce n’était que dans le secret des alcôves parfumées et jamais sur la scène publique. Terribles réalités que celles qui soumettaient encore, il y a moins d’un siècle, des centaines de femmes à leur seigneur et maître. S’immoler plus ou moins consentantes sur le même bûcher que celui auquel elles étaient liées corps et âme reste le fait le plus désarmant de ces périodes pas si éloignées que ça.

Même la flamboyante histoire d’amour entre Shah Jahan et Muntaz Mahal qui a donné naissance au quinzième « enfant » du couple, baptisé Taj Mahal, manque de romantisme ou de valorisation de la femme. Cette couronne exceptionnelle fraîche et immaculée de marbre blanc, présentée comme un hommage d’amour désespéré d’un homme à l’égard de sa femme, ne suffit pas totalement à faire oublier 14 grossesses consécutives, avec leur cortège de souffrances pour celle qui ne fut vénérée qu’après sa mort. Splendide, aérien, méticuleusement sculpté, brillant, parfait dans ses équillibres, à la fois merveilleusement dépouillé et pourtant foisonnant de subtils décors, ce mausolée abrite encore un véritable secret féminin. Pourquoi cette épouse modèle, sur le point de mourir après son quatorzième accouchement supplia-t-elle son époux de montrer au monde combien ils s’aimaient ? Eut-il un remord en décidant de faire construire ce bijou exceptionnel pour effacer ce qui n’était pas forcément des actes d’amour ? Le résultat reflète parfaitement le statut de la femme indienne, astreinte à la discrétion, mais tellement présente dans le cœur de l’Inde comme en témoigne la vénération dont est l’objet Indhira Gandhi ! Est-ce véritablement identique pour toutes les femmes actuelles, enveloppées dans la soie resplendissante de leurs vêtements, dont on ne peut pas croiser le regard ? L’eau de rose des bains, les parfums subtils du jasmin de jardins secrets, les parures recherchées n’existent plus, car beaucoup trop d’entre elles arpentent des marigots puants, des rues poussiéreuses ou fangeuses, des maisons crasseuses, les cultures verdoyantes. Elles sont pourtant les vraies princesses des paysages ou des villages, car elles sont les seules qui tranchent dans la saleté ambiante ou la noirceur collective par la splendeur de leurs habits. Elles éclaboussent les tristes rues boueuses ou ocres de la joie colorée de leurs tenues. Elles sont l’espo par leur faculté à assumer le quotidien dans un pays obsédé par la mort, étape décisive vers une autre destinée. Et le vrai miracle indien, c’est qu’elles exhalent toutes une beauté attendrissante et une admirable élégance. Les Indiennes gardent jalousement leurs secrets… et tous ne sont pas aussi beaux que leur apparence.

Cet article a 2 commentaires

  1. CLEMARES Marie Claude

    merci pour ce bel hommage rendu aux femmes

  2. Cubitus

    La société indienne est encore paralysée de nos jours par le système des castes même s’il est illégal depuis son abrogation par Gandhi. Mais s’agissant d’une distinction à fondement religieux qui en fait le pivot de la réincarnation, il est profondément ancré dans les moeurs et il est inconcevable pour la majorité du peuple indien, très pieux pour la plupart, de le contester ou de le remettre en cause.
    Toujours la religion, ce cancer de l’Humanité.

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