Toujours plus d'intérêt pour des fonctionnaires en mauvais état !

En surfant sur les apparences, on arrive facilement sur la plage des fausses certitudes, celles où on se met la tête dans le sable pour ne jamais voir la réalité. C’est ainsi que Bercy vient de découvrir qu’une part non négligeable des carences en trésorerie des entreprises françaises venaient des… retards de règlement des factures ! C’est un peu comme si un polytechnicien inventait le fil à couper le beurre ! Et il suffit de mettre en place une étude pour justement faire d’une apparence une véritable révélation. Et bien évidemment, il faut montrer du doigt les collectivités locales et indirectement les élus non fiables dans leurs engagements. En effet, la loi précise les délais de paiement que doit respecter une commune, une intercommunalité, un conseil général ou un conseil régional ou tout autre établissement public. Un laps de temps de 30 jours doit être respecté par l’ordonnateur d’un règlement…mais bien évidemment, il faut absolument expliquer les modalités des procédures actuelles avec un exemple concret.
Une entreprise de travaux publics réalise un chantier pour le compte d’une commune après un appel d’offres parfaitement en règle. Elle reçoit ce que l’on appelle un ordre de service, avec un délai de réalisation des travaux. Sauf pour des raison indépendantes de sa volonté, si l’entrepreneur ne termine pas dans les délais, il peut se voir imposer des « pénalités de retard ». Si tout va bien, après la réception contradictoire du chantier par le maître d’ouvrage (la commune) aidé par son maître d’œuvre (l’architecte ou le technicien préposé au projet), l’attributaire du marché envoie sa facture, visée par le maître d’œuvre. A partir de ce jour la collectivité ayant donné l’ordre a… 30 jours pour payer. Le mandat administratif de paiement doit être donné par les services de la commune dans les 20 jours… après vérification. Il part alors vers les services du trésor public qui vérifient le marché public, le montant de la facture et mandatent le versement sur un compte bancaire… avant 30 jours ! Si ce délai n’est pas tenu, il faut verser obligatoirement, suivant le nombre de jours de retard… des intérêts moratoires. C’est une disposition européenne, transposée dans le droit français, qui conduit à cette situation qui pénalise les contribuables en majorant automatiquement tous les investissements, car ce sont… les services de l’État qui ne respectent jamais les articles des lois qu’il ont édictés ! Ils contrôlent des dérapages dont ils portent la responsabilité ! Le gouvernement s’est engagé à respecter un délai de 20 jours maximum (23 jours aujourd’hui), grâce à la généralisation de services facturiers (la facture n’est plus envoyée à un ordonnateur de l’État mais directement au comptable public). Le vrai point noir reste les collectivités locales, pour lesquelles le rapport préconise de rendre automatique le paiement des intérêts moratoires. Encore une mesure théorique et sans fondement !
Si par exemple on analyse les versements effectués par le Conseil général de la Gironde ( 34 000 factures en 2011), les délais d’envoi au service devant régler ces dus est à 71 % conformes à la loi, et quand il y a un retard, il n’excède pas 4 jours (9,4 %) ou 10 jours (6,4 %). Donc peu d’intérêts moratoires à verser… sauf que la Paierie départementale, amputée de son personnel par la RGPP est dans l’incapacité de tenir les délais légaux ! Elle règle seulement 28 % des décisions transmises en moins de 30 jours (seulement 9 774 factures) ce qui imposerait au Conseil général des intérêts moratoires sur plus de 3 règlements sur 4 ! Son délai moyen est de… 48 jours, soit largement pénalisable.
La suppression des fonctionnaires, souvent réclamée à corps et à cris par le système libéral de l’entreprise, constitue en fait une entrave à la réussite du milieu économique… Et donc, l’État va s’empresser de faire payer l’ardoise de son incapacité à faire respecter des textes qu’il a édictés, aux élus locaux, mauvais payeurs et surtout fossoyeurs de la trésorerie des sociétés !Il en va ainsi dans de nombreux domaines. Des milliers de fonctionnaires seront en grève pour leur pouvoir d’achat. Il bénéficieront sûrement du soutien des entrepreneurs pénalisés par toutes les absurdités des discours tenus par des aboyeurs qui n’ont jamais analysé la réalité, mais se contentant de « chasser les fonctionnaires » sans même se rendre compte qu’aucune société ne peut vivre sans eux ! Bercy va encore effectuer des effets d’annonces contradictoires de tous les constats objectifs effectués sur le terrain…
Désormais, le Conseil général va appliquer les textes, et régler les intérêts moratoires, mais pour sa seule part de hors délais… Il enverra en revanche à l’État la facture de ce qui lui incombe en raison de ses propres dysfonctionnements, soit un montant non négligeable de 123 millions d’euros ! Combien rémunérerait-on de fonctionnaires avec la somme qu’il faudra acquitter? Mais Bercy fera les comptes…
 

Cet article a 5 commentaires

  1. FOURNY

    prendre des décisions sans savoir leurs répercussions est bien un phénomène incroyable!!
    une autre option qui me vient à l’esprit est la disparition de la séparation du comptable et de l’ordonnateur réalité locale depuis 1962.
    il est vrai que celle-ci n’existe pas dans la plupart des pays d’Europe car l’heure de l’informatique des virements et des signatures numériques et surtout de la réduction des personnels du trésor public RGFIP pour faire plaisir, les fonctions de comptable public pour la partie du paiement des mandats administratifs devient de moins en moins utile.
    Si dans le même temps les comptables publics ne peuvent pas assurer les délais il sera facile de dire que le plus simple est d’enlever cette étape et que les mandats administratifs aient un mode de fonctionnement identique aux virements des entreprises privées. mais cela n’a rien de nouveau il y a bien longtemps quand j’ai débuté dans la fonction publique territoriale dans un service financier d’un conseil général (près de 30 ans) on parlait déjà de cela et au cours de mes études postérieures cela revint très souvent.
    CQFD

  2. Claude MEFIANT

    Dans ma commune toute facture arrivée est réglée et transmise à la perception dans la semaine. Malgré tout nous recevons des rappels d’entreprises qui n’ont pas été payèes par la perception qui ne remplace plus les départs en retraite.
    D’autre part pourquoi les mairies ne pourraient-elles pas régler directement les entreprises par virement et subir un contrôle à postériori ?
    Peut-être est-ce parce qu’on pense que les maires et autres présidents de collectivités sont tous des escrocs ou des incapables ?

  3. Bonjour,
    désolé je vais encore faire mon vieux cynique. En fait ce que vous décrivez c’est le mécanisme suivant, l’état génère des délais de paiement aux entreprises qui sont obligées de recourir aux banques pour assurer leur trésorerie. Les banques facturent des agios qui sont payés, in fine par les indemnités dites intérêts moratoires. Les heureux contribuables de votre conseil général vont donc participer indirectement et par la volonté de l’état aux bénéfices des banques. Franchement, où est donc le problème?
    Ce petit billet de Georges Ugeux intitulé Italie: une banqueroute de Monte dei Paschi menacerait l’Europe.
    http://finance.blog.lemonde.fr/
    Tout va très bien madame la Marquise…

  4. gege 31

    Essayons de dépassionner le débat en tentant de l’élever un peu. Posons tout d’abord l’utilité au XXI ° siècle de travailler sur les bases de l’ordonnance de 1959 fondant les règles de la Comptabilité publique créant à côté de chaque ordonnateur (maire, président de région, de conseil régional … et même de ministre) un comptable public, cadre de catégorie A formé à l’Ecole Nationale du Trésor. En milieu rural ce comptable c’est le «truculent » Percepteur qui travaille à la fois pour l’Etat et comme receveur des collectivités locales. La gestion des collectivités locales c’est souvent près de 80% de son emploi du temps. Dans les grandes agglomérations les postes sont spécialisés et travaillent donc à 100% pour cette mission. Donner à chaque commune son autonomie pour effectuer ses dépenses et recouvrer ses recettes sans intermédiaire permettrait de supprimer environ 70% des 55 000 postes du Trésor Public. C’est tout à fait réalisable, à la seule condition d’organiser un contrôle des opérations des collectivités à postériori en considérant que la décentralisation impose une autonomie sans limite aux élus. Précisons enfin que la trésorerie des communes est déposée gratuitement dans les caisses de l’Etat qui, en contrepartie avance chaque mois un douzième du produit des impôts locaux.
    Personnellement, et bien que partie prenante, j’y ai toujours été favorable ce qui m’a valu quelques situations délicates avec mes collègues. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, le contrôle du Trésor Public est fort limité, même si certains élus en prennent prétexte pour homologuer ainsi leurs décisions. Il existe en outre un droit de réquisition de l’élu qui peut forcer le comptable au paiement sous respect de deux conditions : la présence de crédits budgétaires disponibles et l’existence d’une trésorerie communale. Un vieil arrêt du Conseil d’Etat (arrêt Balme CE 1971) trop souvent méconnu, précise que le comptable du Trésor n’est pas juge de la légalité de la dépense. Etant précisé par ailleurs qu’il n’est pas non plus juge de l’opportunité, force est d’admettre que ses missions de contrôle sont très limitées. Le problème posé, essayons d’en mesurer les effets.
    Le comptable public est, au nom de la fameuse ordonnance de 1959, pécuniairement et personnellement responsable sur ses deniers de la correcte exécution de la dépense qu’il a payée et peut se voir mis en débet par le Juge des comptes (Chambre régionale des Compte) Nous en arrivons ici à la quadrature du cercle et à la notion de contrôle, grand débat chez les comptables et leurs agents qui tirent avantage d’un statut très particulier car unique. Les contrôles pouvant être infinis certains y prennent un malin plaisir … pour exister… et engloutissent donc des heures et des heures coûteuses en contrôles inutiles. Durant trente années d’exercice j’ai fait un choix différent, celui d’alléger énormément ces contrôles dans mes différents services ce qui m’a souvent conduit à gérer de grosses unités « encalminées » qui retrouvaient rapidement, après réformes internes, un rythme normal. Dès ma prise de fonction je me suis simplement posé quelques questions :
    – Suis-je au dessus de la légitimité des élus, réponse NON,
    – Les élus sont ils des gens malhonnêtes ? NON et je n’en ai jamais rencontré,
    – Suis-je solvable à la hauteur des flux dont je suis responsable NON.
    En trente années d’exercice je n’ai jamais été inquiété, jamais mis en débet. Les élus avec qui j’ai travaillé toujours navrés de mon départ.
    Si tous les comptables s’appliquaient ces principes les effectifs seraient largement
    suffisants, et la dépense payée, comme le prévoit la Loi, dans les 5 jours suivants le mandatement de la mairie … Je n’ai appliqué, ne serait ce qu’une fois, d’intérêts moratoires sans l’accord de l’élu.
    Arrêtons de grâce de crier à la destruction du Service public, aidons plutôt les cadres qui, comme moi, militent pour l’efficacité en repensant les mauvais réflexes, en tentant de sanctionner les tricheurs. Là est la dignité du cadre de la Fonction publique, se demander chaque jour quand il ferme la porte de son bureau s’il a obtenu le maximum avec les moyens dont il a disposé.
    Pour avoir fait ce choix, lâché par une hiérarchie terrorisée à l’idée du moindre conflit syndical je suis parti de manière anticipé écœuré du gaspillage. Je ne regrette rien, aujourd’hui c’est bien pire. Des droits des droits des droits …. Mais les devoirs ?
    Contrairement à ce que vous écrivez je pense que l’administration française est largement dotée en moyens et en effectifs, aucune entreprise privée ne peut se payer ce luxe.
    Bougez la haute fonction publique, placez là devant ses responsabilités, imposez lui des résultats mais des vrais, pas ces statistiques bidonnées qui font plaisir au Chef …

  5. Cubitus

    Vous êtes bien gentil, Gégé, mais vous oubliez certaines choses. En ce qui concerne le contrôle de légalité effectué par le comptable, il convient de bien différencier la légalité interne de la légalité externe. L’arrêt Balme ne concerne que la légalité interne, le comptable restant tenu de contrôler la légalité externe c’est à dire sur la forme.et la régularité (circulaire de 1990 de Charasse). Si la séparation de l’ordonnateur et du comptable existe, il y a une raison : c’est dans l’intérêt du contribuable et pour éviter les tentations de malversation. C’est la séparation entre celui qui décide de la dépense et celui qui détient le moyen de la payer après contrôle. Supprimez ce contrôle et vous allez retrouver à foison des cas comme Angoulême avec Boucheron (PS) ou Villenave d’Ornon avec Barrande (PS) qui ont mis leurs collectivités en faillite et c’est le contribuable qui a dû payer les pots cassés.
    En outre, les plus petites communes n’ont ni les moyens en personnels, ni les compétences financières pour élaborer elles mêmes un budget et en assurer l’exécution. Il leur faudrait pour cela soit créer elles mêmes en leur sein un service financier, soit recourir à un prestataire. En définitive, une charge supplémentaire pour le contribuable sans commune mesure avec la rémunération actuelle de la prestation des services du Trésor. Enfin, supprimez les contrôles et vous allez voir la multiplication exponentielle d’abus et de malversations qui existent malheureusement déjà malgré les contrôles.
    Quant à la responsabilité pécuniaire des comptables, c’est oublier la souscription obligatoire par les comptables d’une assurance mutuelle couvrant ce risque, qui est, si je ne m’abuse, remboursé par ailleurs aux intéressés par le ministère des fInances et qui ne leur coûte donc pratiquement rien.
    Enfin, en ce qui concerne le contrôle a posteriori en matière financière, s’il accélère la procédure, il est dans beaucoup de cas totalement inefficace pour une gestion saine des deniers publics, la seule réception de l’acte au contrôle entrainant d’office son caractère exécutoire.
    Mais c’est pas grave, s’il y a un problème, le contribuable mettra un peu plus la main à la poche.

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