Le temps presse au rythme de Google !

La presse écrite française a enfin trouvé une solution à ses graves difficultés financières actuelles, sans régler aucun des vrais problèmes qui l’entraînent vers une disparition : elle a obtenu 60 millions d’€ de la part de Google. La campagne lancée par la presse française pour imposer à Google un partage de ses revenus publicitaires avait eu un premier résultat : Eric Schmidt, patron de la firme de Mountain View, avait demandé à être entendu par le président de la République. Il traite d’égal à égal avec le chefs d’État, c’est dire s’il a une idée exacte de sa puissance planétaire. Acte symbolique s’il en est de la dépendance du politique à l’égard de l’économique. Les journaux à bout de souffle, car incapables de séduire un public absorbé par les télévisions « instantanées », et l’information sans recul des radios « perroquets », se réfugient dans la quête ! Ils espèrent ainsi masquer leurs insuffisances de fond, avec des emplâtres financiers qui ne changeront finalement rien à leur pérennité.
L’affrontement, désormais récurrent, opposant la presse à Google, s’est accéléré ces dernières semaines, quand l’Association de la presse d’information politique et générale (IPG) a décidé de faire payer Google quand il renvoie vers les articles de presse, souvent plus lus par ce système que pas l’impression sur du papier ! Et c’est là que le bât blesse, car l’essentiel serait de ramener de vrais lecteurs attirés par des contenus fiables et pertinents. Or, depuis de longues années, plus aucun journal (sauf le Canard enchaîné) ne vit de ses seuls achats quotidiens. La dépendance à l’égard de la publicité a déjà, depuis longtemps, tué la volonté de conquérir des gens, au prétexte que que les équilibres financiers étaient garantis par d’autres revenus que le lectorat… Lentement d’ailleurs, la gestion des journaux a échappé aux journalistes pour être transférée par des spécialistes venant des entreprises n’ayant aucun lien avec la presse… Google n’intervient que pour faciliter la mise en contact entre les éditeurs et les « consommateurs » que sont devenus peu à peu les citoyens. Choisir son information ne relève plus d’une marque de confiance dans un outil mais tout simplement d’un besoin. Besoin de vérifier que l’on existe quand on a une notoriété à entretenir (les attachés de presse y veillent)… ou à obtenir, ou besoin de savoir ce qui se passe dans la proximité, car pour le reste il n’y a maintenant plus aucun intérêt à lire une info déjà maintes fois ressassée par des supports approximatifs et rapides. Exiger de Google une rémunération au motif que son moteur de recherche dirige des lecteurs vers les sites de presse, n’a pas plus de sens que d’exiger d’un chauffeur de bus qui conduit ses passagers vers un restaurant de rémunérer le restaurateur. Les journaux se plaignent que Google fasse de l’argent en leur apportant des lecteurs qu’ils n’auraient jamais autrement, et qu’ils ont été incapables d’avoir. Aller quémander encore et toujours à l’État des subsides pour survivre est une fausse solution qui ne répond à aucun des enjeux auxquels nous sommes confrontés à l’ère d’Internet […] La presse ferait mieux, disent certains journalistes, « d’investir réellement et massivement dans une vraie modernisation et la naissance de nouveaux modèles » et de cesser de se prendre pour une référence indispensable ! Destruction du lien de proximité pour la presse quotidienne départementale ou régionale (les hebdomadaires de territoire réussissent beaucoup mieux) qui a lentement perdu le contact avec les territoires en tentant de gérer sur un même support le « global » et le « local ».
Depuis 30 ans j’écris et je distribue dans tous les commerces de proximité qui le veulent 1 500 exemplaires du seul hebdomadaire municipal gratuit de France dont le financement est assuré intégralement par la Mairie. C’est un travail astreignant, mais qui permet d’offrir par écrit à celles et ceux qui le veulent, une synthèse de la vie locale. L’intérêt n’a pas faibli. Bien au contraire, et souvent, s’il arrive que j’aie un petit retard dans ma tournée du vendredi soir ou du samedi matin, l’étonnement s’exprime et les reproches pleuvent. Les gens ont besoin d’information « brute » de proximité qu’ils ne trouvent plus nulle part, car elle est éparpillée sur des sites, sur des supports, sur des lieux tellement diversifiés qu’ils ne s’y retrouvent pas. Ce n’est pas de Google dont ils ont besoin pour y accéder, mais d’une presse modeste, efficace, libre et uniquement tournée vers la notion de service ! Pour le reste, c’est plus le décodage de l’actualité avec une forme pédagogique qui doit être la base de la presse quotidienne nationale.
Or, dans un cas comme dans l’autre, les journaux tentent de « résumer », de « compresser », de « synthétiser » les faits, au prétexte que les gens n’ont plus le temps ou la capacité de lire ! Plus on appauvrit la matière offerte, plus on méprise le lectorat, plus ce dernier se détourne du support pour se constituer lui-même son choix informatif. On peut donc célébrer un accord « mondial », « historique », par lequel le géant américain accepte d’alimenter à hauteur de 60 millions d’euros un fonds d’aide à la presse d’information politique et générale. On peut aussi regretter que l’accord n’ait pas mis en place un mécanisme dynamique, reproductible d’année en année et reposant, du moins en partie, sur le chiffre d’affaires publicitaire mirifique en France. Bien évidemment, on peut aussi rêver à terme d’une presse sans lecteurs, qui fournirait Google en articles à référencer et qui ne vivrait que des subsides versés par Google ! Bref, la situation idéale pour les actionnaires !

Cette publication a un commentaire

  1. Christian Coulais

    « On peut aussi regretter que l’accord n’ait pas mis en place un mécanisme dynamique, reproductible d’année en année et reposant, du moins en partie, sur le chiffre d’affaires publicitaire mirifique en France. »
    Comme pour les transactions financières, par exemple, un clic = 1 cent versé !
    Sympa, on a l’impression d’avoir reçu l’aumône.
    « Tiens voici 10 centimes, va t’acheter un Carambar et laisse MOI jouer ! » aurait-il pu dire…ce milliardaire.

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