Une génération disparait et la République la regrettera

Il y a une constante dans les hommages funèbres, celle du célèbre constat d’Henri III devant le cadavre du Duc de Guise qu’il venait de faire assassiner : «  Il est plus grand mort que vivant ! ». Et pourtant, ce constat n’obère en rien la qualité des discours prononcés devant un cercueil. Tous sont sincères et émouvants, mais comme ils tentent de résumer une « petite » vie d’homme peuplée de maintes actions et de bien plus de bonnes intentions, ils tentent de faire entrer un mortel dans l’immortalité en ancrant son souvenir dans le plus grand nombre de mémoire. Un exercice difficile. Depuis plusieurs mois, j’assiste, triste privilège de l’âge, à des cérémonies d’accompagnement d’élus de la génération qui m’a précédée dans l’engagement citoyen. Aujourd’hui, celle qui rassemblait, autour de l’ex-conseiller général de la Haute Lande girondine, plus d’une centaine de personnes, illustrait une époque particulière de la République, celle révolue où les écoles normales d’instituteurs forgeaient des destins pour enfants du peuple condamnés sans ces lieux à végéter au pays. En écoutant les propos des intervenants, il était quasiment impossible de ne pas y découvrir ce fil conducteur solide servant d’épine dorsale à absolument tous les choix essentiels d’une vie d’instituteur rural. Extraordinaire similitude de tellement de parcours entre le mien et celui de Marc, passé par une École Normale entre 1948 et 1952… et qui n’a jamais eu qu’un seul objectif : redonner aux autres ce que la République lui avait apporté. Le progrès social, l’éducation, la laïcité, la citoyenneté, la solidarité, perlaient dans chaque mot de ces hommages. Ils étaient, eux, encore vivants comme si cet homme brutalement disparu, parti enseigner dans le plus petit village de Gironde où… il était né, les avaient simplement déposés avant de partir sur le bord de son chemin, comme les cailloux blancs de son escapade.
De cette école à classe unique de Lartigue, puis au cours complémentaire de Bazas, il avait acquis, sous la férule de maîtres « reproducteurs » de leur réussite et « détecteurs » de successeurs possibles, le savoir nécessaire pour, au mérite, par le travail, avec courage, entrer dans la plus belle des institutions que la IIIème République avait créée pour sa protection : l’école normale. Émouvant, tellement émouvant de comparer son parcours une quinzaine d’années avant le mien, à celui que j’ai accompli (1). Comment ne pas croire à ce « Château Bourran » mérignacais imprégnant les esprits du formidable élixir du dévouement au service public ? Comment ne pas constater que rien n’avait changé dans le recrutement social jusqu’à ce que l’on préfère le « diplôme » théorique à la « vocation » pratique ? Comment ne pas aimer que l’instituteur de ces temps là ait eu envie de donner l’exemple plus que de le prôner ? Comment devant ce cercueil couvert d’un drapeau tricolore soigneusement plié et portant un coussin avec les médailles du devoir accompli ne pas apprécier cette splendide citation de Jean Jaurès : « On n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir. On enseigne ou on ne peut enseigner que ce que l’on est ! » ? Difficile de demander aux autres l’application, la motivation et la vertu quand au quotidien on oublie de faire vivre ces principes. Encore aujourd’hui, dans ce cimetière au milieu des pins, j’ai respiré l’air pur de mon passé personnel… et j’ai frissonné en entendant que toute son œuvre de Maire ou de conseiller général avait été tournée vers l’éducation, la culture, le sport ou le social (création d’un établissement ou service d’aide par le travail! et totalement désintéressé ! Une confiance inébranlable dans la jeunesse, une résistance à la maladie, une affection particulière pour sa femme et ses enfants peu épargnés par le destin, un attachement viscéral à son canton de naissance, à ses paysages, à ses traditions, à ses habitants…et inlassable éducateur populaire rappelait ce passage au « séminaire laïque »
L’instituteur, dans un village, devenait encore dans les années 1950 secrétaire de Mairie pour démontrer son intérêt pour la gestion publique, pour panser les cicatrices des blessures des parcours scolaires antérieurs, pour simplement servir cette République qui lui avait donné le droit d’apprendre quand le niveau social de sa famille ne le lui aurait jamais permis. Il acceptait souvent d’entrer au conseil municipal pour encore une fois défendre des valeurs parfois oubliées ou volontairement occultées… avant de franchir parfois les échelons supérieurs, comme il l’avait fait dans son cursus scolaire. Il y avait une étrange ressemblance entre la réussite à l’école et la réussite politique ! Les électrices et les électeurs ont souvent donné à des instituteurs la plus estimable des « agrégations », celle du suffrage universel, au grand dépit d’une Droite caricaturant cet afflux d’enseignants dans les instances sociales. Qu’elle se rassure, ce n’est plus le cas !
La gauche manque de plus en plus cruellement de ces modestes voyageurs de l’ascenseur social sachant uniquement d’où ils sont partis… avant de croire que l’étage où ils sont arrivés leur donne plus de pouvoirs que de devoirs. Donner jusqu’à l’épuisement, sans trop penser aux dégâts que l’on cause chez ses proches, obligatoirement complices ou partants pour recevoir le jour des ses obsèques une pluie de mots sincères, agréables, affectueux, que vous avez refusé toute votre vie car vous en aviez honte ou parce qu’ils vous gênaient, constitue la loi du genre. On est en effet toujours plus droit, plus grand, plus fort quand on est mort que quand on est vivant et dans l’action. Surtout quand on est passé par un formidable creuset comme l’école dite « normale » où la seule grandeur qui ait été enseignée était celle de l’amour des autres !

(1) Jour de rentrée Editions « vents salés »

Cet article a 4 commentaires

  1. batistin

    Avec mes condoléances …
    … _ …

    En reprenant à mon compte la citation que vous nous donnez, monsieur, de Jaurès, et qui finit par « On enseigne ou on ne peut enseigner que ce que l’on est », j’en viens à penser à ce que je crois être, un artiste.
    Mais qu’est-ce donc que cette profession, artiste ?
    Rien de plus aujourd’hui que boulanger, quand l’on sait qu’il suffit de posséder une boutique nommée « point chaud », qui cuit de la pâte surgelée pour être boulanger.
    Rien de plus que élu au service (?!) de la nation, quand l’on sait qu’il suffit d’avoir quelque argent pour financer une campagne électorale.
    Comme pour l’art il n’est plus besoin d’avoir la vocation et un don assortit d’un talent obtenu laborieusement, la politique se contente de faiseurs de bonnes paroles.
    L’emballage comptant plus que le contenu, la couleur de la pomme plus que son goût.
    C’est ainsi et dans l’air du temps.

    Toute tentative de s’extraire d’un système froid et productiviste est vaine, quand les petites écoles, les maternités, la préposé de la Poste et la fourniture d’eau, l’électricité domestique, tout ,absolument tout jusqu’au fameux « temps libre » se doit d’être rentable.
    L’art n’échappant pas à cette règle, quand la valeur marchande sert de refuge aux grandes fortunes.

    Je cherche désespérément une formule qui me permette d’espérer de notre monde, pour nos enfants.
    Ce qui a fait et construit mes convictions semble aujourd’hui totalement inopportun.

    Dernier exemple en date, l’upcycling .
    « Si le recyclage vise à obtenir du neuf avec du vieux à qualité égale, l’upcycling vise à valoriser ce qui est considéré comme déchet  »
    Nous voici donc avec des sacs à mains tendance, fabriqués dans des résidus de notre surconsommation, Yves Saint Laurent en tête…
    L’idée du upcycling, jusque là réservée aux filières de « commerce équitable » offrait la possibilité à quelques mamas de pays « exotiques » vivant avec leurs enfants sur des tas d’ordures, de gagner quelques sous.
    La bouteille en plastique ne quitte plus maintenant nos contrées, et de nombreuses entreprises se sont montées autour du recyclage.
    Tant et tant qu’il est devenu impossible à un particulier de s’approcher d’une déchetterie pour y récupérer de quoi fabriquer un traineau à roulette pour son gosse.
    Domaine réservé.
    Mais le particulier a bel et bien pourtant l’obligation de trier ses déchets, ce qui évite l’emploi d’agents de tri supplémentaire par les entreprises bio et écolos à la tête de ce business florissant.

    Quel rapport avec votre propos, monsieur, et bien ceci, vous l’aurez compris:
    toute tentative de sensibilisation à un problème de société est immédiatement transformée en business, et détournée de son sens premier
    Il ne viendra plus maintenant à l’idée de personne de réduire nos emballages et nos déchets, puisqu’il est « écolo, bio, équitable » de les transformer.
    Sans compter tous les emplois créés.

    Lancez donc l’idée d’une heure d’instruction civique à l’école, où dans mon enfance on nous apprenait qu’il est opportun d’aider une vielle personne chargée d’un lourd panier de courses à traverser la rue, vous aurez demain une entreprise.
    Ou une multinationale à faire traverser les anciens au passage clouté.

    Voici donc la formule d’avenir pour nos gosses, tout se doit et devient rentable ou se meurt…
    Il y a-t-il donc quelque enseignement à tirer de cet état de fait, cela peut-il engendrer un bonheur nouveau ? Comment extraire de ce mode de fonctionnement universellement admis maintenant, que la rentabilité est la preuve d’une valeur morale.
    Les grandes marques associent leur « image » à des valeurs morales, pour vendre.
    Est-ce efficace pour la morale ?
    Monsieur Nicolas Hulot sait vendre des reportages, a créé une Fondation, et est à la tête d’une grande entreprise je crois…
    Et propose par mail des autocollants en plastique à coller sur le pare brise de nos voitures …??!

    Et pour finir, le rugby ne se joue plus pour la gloire et le beau geste, à la main à cinq mètres de la ligne adverse, non !
    On tire au pied pour marquer des points, toujours marquer des points.

    Non, je ne trouve pas encore une formule cohérente qui puisse mener au bonheur, quand tout se défend à toute force de la beauté du geste .
    Je n’ose le dire trop fort, sous peine de voir demain une enseigne clignotante au fronton d’une chaine de magasins « la beauté du geste, à partir de dix euros ».

    En attendant, et ceci pour défendre nos enfants, il faut bien reconnaitre que nos valeurs nous menaient à l’emploi. Nos valeurs nous offraient un avenir. Un travail bien fait, « revenir sans cesse sur le métier » était un gage d’avenir.

    Aujourd’hui, comme pour l’art il suffit d’avoir des idées, il en faut pour subsister.
    Inventer, inventer sans cesse une façon d’engager l’avenir, mais pour toujours finir par en faire commerce, il n’y plus d’autre solution.

    La formule que je cherche prend forme petit à petit, faute de moraliser les hommes, il faut moraliser le commerce !

    Je vais en parler dès demain à mon banquier !

  2. J.J.

    Je pense que tu n’as pas imaginé un seul instant Jean Marie, que la droite n’avait pas quelque projet derrière la tête quand elle a programmé, avec d’inavouables complicités, la disparition des Ecoles Normales.

    Même constat pour service militaire, d’ailleurs, plus discutable, certes, mais qui était quand même une grande « lessiveuse civique », ou en dépit d’une hiérarchie souvent bornée se mêlaient et échangeaient fraternellement les Enfants du Peuple venus de tous les milieux, de toutes les classes, de toutes les cultures.

  3. danflous

    j’ai bien connu ce « monde » et les « appelés » sur une région militaire qui , par les rigueurs du climat,ne faisait pas rêver !
    Pour la « grande lessiveuse civique »….les enfants des « bonnes familles » n’y venaient pas ou n’y restaient pas bien longtemps…les autres, par contre…y passaient l’année!! pourquoi? pas assez de relations avec des « autorités » pour se faire exempter ou rapprocher.
    C’est quoi le changement, même sans service militaire ? les « bien nés » ne seraient plus… »favorisés?

  4. François

    @ danflous
    Bonjour !
    Certes, je n’ai point connu « l’année militaire » qui apparaît , pour vous,comme blessante, mais les antérieurs « 16 mois pour le pays » au cours desquels les 95% d’appelés qui n’avaient pu être exemptés (pour toutes les raisons possibles: relations oui certes mais aussi santé, soutien de famille, suivi d’entreprise,etc) ont connu, sous la conduite réglementaire des Supérieurs, ( comme dans toute ruche laborieuse ) la vie en commun de toutes les couches de la société rabotées par une seule et même tenue  » vert armée » en respectant l’Autre qui était devenu l’Egal puis l’Ami sincère, en respectant notre drapeau national et notre Marseillaise à l’inverse de tous les jeunes saccageurs, tous les nantis actuels comme nos célébrités footballistiques qui n’ont d’ailleurs aucune place dans une équipe de France même pour quelques buts.
    A cette époque, même si nous n’avons craint que la guerre de Six jours ( Israël ), nous avons appris les règles de vie en société que l’on nomme LES DEVOIRS ET LA LOI ! Et non pas les droits que nous apposent tous les jeunes blancs becs qui veulent FAIRE LA LOI ! ! !
    Pour nous, ces droits n’étaient (et sont restés !) que la récompense des devoirs accomplis !
    Du haut de nos 66 ans (n’est-ce pas, J-M !), on peut maintenant constater les bienfaits que nous a apportés cette période tant au niveau de notre vie sociale que familiale ou professionnelle. Quel dommage que cette convention humano-nationale n’est point perdurer en y associant le sexe féminin et non l’abolir pour des raisons futiles.
    Si l’on veut être objectif, reconnaissons simplement que bien des ennuis qui nous tombent sur le crâne actuellement ont bien des racines dans cette abolition.
    Avant de clore, je tiens à vous signaler que je ne suis ni FN, ni militariste entêté, ni ancien militaire carriériste !
    Cordialement.

Laisser un commentaire