Réformer la fiscalité en France : la mission impossible !

Les Français ont des rapports difficiles avec certains mots de leur langue et c’est indiscutablement « impôt » qui leur procure le plus grand malaise. Et alors quand il est au pluriel c’est un rejet total… Il faut alors aller chercher sa définition que personne dans le fond connaît, dans le Larousse en dix volumes : « Prélèvement effectué d’autorité et à titre définitif sur les ressources ou sur les biens des individus ou des collectivités, payé en argent, pour subvenir aux dépenses d’intérêt général de l’État ou des collectivités territoriales ». Quand on a pris connaissance de ces lignes on ne peut s’empêcher de retenir « ressources » et « dépenses d’intérêt général » . C’est sur ces bases que la Révolution française a été bâtie. Personne ne devrait oublier que le Tiers-Etat n’a jamais vraiment contesté en 1789 le pouvoir royal mais plus prosaïquement il s’est révolté contre les privilèges accordés à quelques-uns sur deux points : l’iniquité absolue des contributions et plus encore l’usage qui en était fait. La République devait garantir que jamais on ne revienne à cette situation grâce à un système transparent et proportionnel. Bien évidemment ne pouvaient être concernés, que les gens ayant un revenu et donc pouvant participer au missions régaliennes de l’État et à l’origine à celles des communes et des départements… Lentement les processus de collecte se sont complexifiés, opacifiés et éloignées de ses objectifs initiaux. La suspicion s’est installée car pas un seul contribuable considère que le niveau des efforts qui lui sont demandés est trop élevé ou même injustifié. Le mal est profond puisque nous sommes encore très en retard dans la transparence (publication des participations de chaque foyer à la vie collective) et plus encore dans les modes de calcul (multiplication malsaine des niches dites fiscales).

 

Si la définition du Larousse est simple son application actuelle relève d’un extraordinaire édifice devenu incompréhensible et contournable par les plus habiles et très souvent par les contributeurs qui hurlent sur leur niveau de prélèvement. Modifié, trituré, éludé, détourné, adapté sous l’influence de lobbies largement plus puissants que les partis politiques, le code général des impôts devient une passoire permettant toutes les évasions. Une réforme devient donc indispensable mais elle est vouée à l’échec ! En annonçant qu’il souhaitait s’y attaquer Jean-Marc Ayrault a provoqué des sourires goguenards, des commentaires acerbes et des propos détestables mettant en cause les principes républicains sur lequel le monde des nantis s’assoie ostensiblement ! D’ailleurs il peut continuer à se moquer comme de son premier euro de cette volonté quand on voit les résultats d’un sondage sur le sujet. Certains de ses membres peuvent dormir sur leurs dividendes, leurs jetons de présence et garder un œil distrait sur leurs coffres-forts. Si près de 9 Français sur 10 approuvent en effet la « remise à plat de la fiscalité » annoncée par le Premier ministre près des trois quarts d’entre eux estiment d’ores et déjà qu’elle ne sera ni « juste » ni « efficace ». Autant dire « inutile » ! La raison ? Une réforme de la fiscalité ne saurait être « bonne » que si elle leur permet de ne plus payer d’impôt ! Le fantasme UMP d’une société sans « prélèvement obligatoire » permettant de ne plus fournir que des contributions minima à la vie collective a pénétré, durant une décennie, dans les esprits !

 

Davantage d’écoles, plus de santé, plus de sécurité, plus de transports, plus de justice, plus d’équipements, plus de services… mais moins de contribuables, moins de recettes, moins d’imposition, moins de participation ! Une réalité sociale qu’aucun politique n’arrivera à vaincre ! Interrogés sur le fait de savoir s’ils pensaient que « le gouvernement (allait) mettre en place une réforme de la fiscalité juste », 72% des sondés ont répondu « non », tandis que 26% disaient « oui » et 2% n’avaient pas d’avis. Près de trois quarts des sondés (74%) ont aussi répondu « non » lorsqu’on leur a demandé s’ils estimaient que cette réforme sera « efficace ». A l’inverse, 23% ont dit « oui » et 3% n’ont pas exprimé d’opinion… C’est donc perdu d’avance car il faudrait « une nuit du 5 août » ou un « grand soir » ce qui est totalement inenvisageable !

 

Comme toutes les réformes de fond elle ne générera que des oppositions des catégories sociales touchées par une augmentation de leur participation « aux dépenses d’intérêt général » dont ils ne voient pas l’utilité d’y participer car ils peuvent se passer de les utiliser. Pour l’éducation ils mettent leurs enfants dans le privé, pour la santé ils ont des assurances haut de gamme ; pour la justice ils s’appuient sur les meilleurs avocats qu’ils rétribuent en fonction de leur talent ; pour les transports ils prennent rarement le RER, le bus ou le tram ; pour la sécurité ils ont les moyens de la faire assurer par des moyens humains ou techniques onéreux… pour vivre ainsi il faut qu’ils payent le moins possible d’impôts !

 

Les réponses divergent donc fortement selon la sensibilité politique des personnes interrogées: six sympathisants de gauche sur dix (60%) pensent que la réforme sera « juste », et quasiment autant (56%) qu’elle sera « efficace ». Ils ne soutiendront Ayrault que sur les principes mais certainement pas sur l’application qu’ils jugeront insuffisante. A l’inverse, sans surprise, les sympathisants de droite jugent massivement (96%) qu’elle ne sera ni juste ni efficace… Comme on les comprend. Ils vocifèrent en période de crise pour leur niveau de contribution alors qu’elle n’est jamais à la hauteur de leurs revenus. Et donc le mythe de l’équité est encore loin… très loin… beaucoup trop loin !

 

 

Cet article a 3 commentaires

  1. Eric Batistin

    DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN DE 1789
    Article XIV
    Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

    CORRIGÉ :Si la TVA sociale vous semble moins efficace que le reversement des péages d’autoroutes aux caisses de retraites, téléphonez à Johnny Hallyday

  2. facon jean françois

    Bonjour,
    Emmanuel Todd a, à mon sens, brillamment analysé la crise des bonnets rouges qui a allumé la mèche des impôts. http://www.marianne.net/Emmanuel-Todd-Les-bonnets-rouges-une-chance-pour-la-France_a233812.html
    Son analyse sur la légitimité de l’impôt devrait être au cœur du débat qui doit s’engager.
    extrait:  » Il faut voir à quoi servent les prélèvements obligatoires. Au financement de l’Etat social et des nécessaires biens communs, bien sûr. Mais l’impôt, de plus en plus, permet aussi de servir les intérêts d’une dette publique qui n’est plus légitime. Le prélèvement fiscal sert désormais aussi à donner de l’argent à des gens qui en ont déjà trop. Nous sommes confrontés à une ambivalence de l’impôt, à une ambivalence de l’Etat, serviteur à la fois de l’intérêt collectif et d’intérêts privés, d’intérêts de classe, diraient les marxistes. Il faut clarifier la situation, nous ne couperons pas à un débat sur la légitimité de l’impôt.

    Deuxième problème de légitimité de l’impôt, l’Europe. Dans un cadre strictement national, le vote du budget par les députés légitime l’impôt, sans discussion possible. Mais le transfert à Francfort du pouvoir de création monétaire dépossède en pratique les députés de leur contrôle du budget. Les instances bruxelloises, aujourd’hui sous contrôle idéologique allemand, exigent un contrôle de ce budget. L’impôt est de ce fait déligitimé au sens où la théorie de la démocratie représentative conçoit la légitimité. Il y a là un vaste champ de réflexion pour la philosophie politique. Mais, honnêtement, le bon sens immédiat nous permet de voir que cette écotaxe, dont le prélèvement doit être assuré par le secteur privé après une négociation douteuse, n’a rien à voir avec l’impôt légitime et noble de l’Etat social.  »
    Salutations citoyennes

  3. BONNEAU

    Jean-Marie,
    Je reprendrai quelques passages en les commentant brièvement:
    «  » impôt « : Prélèvement effectué d’autorité et à titre définitif sur les ressources ou sur les biens des individus ou des collectivités, payé en argent, pour subvenir aux dépenses d’intérêt général de l’État ou des collectivités territoriales ».
    La définition du Larousse assimilerait-elle les collectivités à des entreprises, j’en doute.
    « Impôt » est un terme générique qui établit les rentrées d’argent de l’État et à ce titre, je note donc cette première lacune, car on ne peut ce me semble, parler de « collectivités privées ».

    «C’est sur ces bases que la Révolution française a été bâtie. Personne ne devrait oublier que le Tiers-Etat (…) s’est révolté contre les privilèges accordés à quelques-uns sur deux points : l’iniquité absolue des contributions et plus encore l’usage qui en était fait.(…)»

    Aujourd’hui, et depuis l’affaire Cahuzac (de façon plus visible), chacun sait que les paradis fiscaux permettent aux multinationales et à de moins grosses entreprises de détourner de la richesse. Or, cette richesse devrait permettre à l’État (les États) d’équilibrer ses (leurs) comptes; et il n’y parvien(nen)t pas :
    «le total des actifs déclarés par tous les pays est largement inférieur au passif déclaré» (1)

    «Une réforme de la fiscalité ne saurait être « bonne » que si elle leur permet de ne plus payer d’impôt !»
    Par-delà une opinion consécutive à une gestion de pénurie et à un ras-le-bol partagé par beaucoup (et il existe et existera toujours des tricheurs à redresser), une gestion de crise durable (et organisée par la Troïka, mais s’avisera-t-on de résister comme l’Islande qui a dénoncé, puis refusé « par 60% de non à 2 référendums » la dette « Icesave » imposée et l’a vue annulée), il serait plus efficace politiquement de connecter toutes les analyses sur l’ensemble des recettes dues à l’État pour mettre en place la vraie réforme attendue par tous («9 Français sur 10») dis-tu (mais ce chiffre ne doit pas prendre en compte les groupes financiers ni industriels: il n’est qu’une opinion de bout de chaîne causale – de la population – perçue probablement par ces puissants comme dérisoire faute d' »expertise »).

    La lutte contre les paradis fiscaux à l’intérieur de l’Europe (au Luxembourg, en Autriche et …en Suisse aussi) ne fait pour le moment pas l’objet de mesures exhaustives ni à même de les empêcher de nuire à l’économie globale du pays en générant une précarité croissante qui oblige l’État à couper dans toutes les valeurs institutionnelles et fédératrice, constitutives de valeurs partagées, tour à tour.

    Ce ne sont pas mes propos partisans, personnels et inexpérimentés en matière de gestion publique que je rapporte ici mais une analyse supplémentaire des plus sérieuses qui émane de Gabriel Zucman, professeur d’économie à la prestigieuse London School of Economics et chercheur à l’université de Berkeley (Californie), lequel les détaille dans son livre « La Richesse cachée des nations » (Le Seuil-La République des idées).

    « Il n’y a jamais eu autant d’argent qu’en 2013 dans les paradis fiscaux, explique-t-il à Mediapart. Selon mes calculs, 8 % du patrimoine financier mondial des ménages y est logé, et échappe à tout impôt. Soit une fortune de 5 800 milliards d’euros, dont 350 milliards appartenant à des Français. C’est 25 % de plus qu’en avril 2009, quand le G20 de Londres avait annoncé la “fin du secret bancaire”. Le nombre des super-riches explose et les paradis fiscaux se portent bien. Peut-être se porteraient-ils encore mieux si rien n’avait été fait depuis 2009, il faut le garder en tête. »

    L’économiste va jusqu’à évoquer une exclusion du Luxembourg de l’Union européenne : « Rien dans les traités, dans l’esprit de la construction européenne ou dans la raison démocratique ne justifie qu’une plate-forme hors sol pour l’industrie financière mondiale ait une voix égale à celle des autres pays », écrit-il.

    Pour lui, il s’agit de créer un « cadastre financier mondial », à l’image du cadastre immobilier créé par l’État en France en 1791 pour taxer efficacement les propriétés foncières. « L’enjeu, qui n’est pas surhumain, c’est de fusionner des renseignements qui existent et d’en transférer la gestion à une puissance publique »
    Mais créer ce cadastre ne suffirait pas, puisqu’il révèlerait dans bien des cas qu’un produit financier est détenu par une société écran. Zucman propose donc, en parallèle, d’instaurer « un impôt global sur le capital », prélevé à la source par le FMI et levé sur la base du cadastre mondial, tous les ans, « à hauteur de 2 % de la valeur de chaque titre financier ». Pour récupérer l’argent versé automatiquement, le propriétaire de l’action n’aurait pas d’autre choix que de se déclarer à son administration fiscale.
    Zucman propose aussi de mettre en place des tarifs compensatoires, « c’est-à-dire des tarifs compensant la subvention implicite dont bénéficient les banques off-shore grâce au secret bancaire ».

    Selon lui, la fraude permise par le secret bancaire représente 130 milliards d’euros de perte d’impôts au niveau mondial, dont 17 milliards rien que pour la France. À court terme, il estime que l’Hexagone pourrait récupérer 10 milliards d’euros par an s’il luttait de façon efficace contre la fraude. Et sans l’évasion fiscale, la dette publique française ne s’élèverait pas à 95 % du PIB, mais à 70 %.

    Il y aurait donc bien plus qu’une niche à éliminer !
    De quoi véritablement avoir les moyens d’un véritable projet de restructuration de la société, avec des moyens pour mener une politique gouvernementale efficace et perçue comme telle, au lieu de risquer toujours une mise en pièce de bonnes idées d’abord par un manque de moyens, avec une radicalisation de l’opinion à la clé et la recherche violente de boucs-émissaires faute de compréhension du « plus gros casse de l’histoire ».
    L’exemple de l’Islande est pourtant parlant :
    «L’Islande a terminé l’année 2011 avec une croissance économique de 2,1% et selon les prévisions de la Commission européenne, elle va faire le triple du taux de croissance attendu pour l’UE en 2012 (La croissance de l’UE est prévue à 0,5% en 2012 contre 1,5% en Islande). Pour 2013 la croissance devrait atteindre 2,7%, principalement à cause de la création d’emplois. L’Islande est le pays qui a nationalisé les banques privées et qui a emprisonné les banquiers responsables de la crise.(2)»

    (1) http://www.mediapart.fr/journal/economie/251113/350-milliards-davoirs-francais-sont-dans-les-paradis-fiscaux?onglet=full
    (2) http://blogs.mediapart.fr/blog/la-garnie/240112/apres-son-refus-de-payer-sa-dette-l-islande-fera-le-triple-de-la-croissan

    C’est encore ce qu’a rappelé tout récemment le commissaire européen aux affaires fiscales Algirdas Semeta : « Depuis des années, le Luxembourg et l’Autriche bloquent malheureusement nos efforts pour plus de contrôles et de transparence fiscales en Europe. Ce serait un grand pas en avant si ces deux pays participaient au moins à l’échange automatique d’informations sur les revenus des intérêts ».

    Le président de l’Eurogroupe (qui rassemble tous les pays membres de la zone euro) est justement le premier ministre et ministre des finances du Luxembourg, Jean-Claude Juncker. Il devrait logiquement s’intéresser aux solutions pour faire gagner de l’argent aux États, au bord de la faillite. Ce n’est pas le cas : « Ce que je ne peux comprendre, c’est que toute amélioration des revenus fiscaux améliorerait la situation dans les pays en crise. C’est pourquoi je pense que le président de l’Eurogroupe devrait soutenir et aider notre politique de justice et d’honnêteté fiscales», assène, rageur, Semeta. Il avait déjà attaqué l’Autriche début octobre, en réclamant la levée de son secret bancaire, et estime que l’évasion et l’optimisation fiscales au sein des 27 pays de l’Union s’élèvent à 1 000 milliards d’euros chaque année…

    http://www.mediapart.fr/journal/international/261112/secret-fiscal-les-paradis-reculent-mais-ne-se-rendent-pas?onglet=full

    Mais l’un des grands financiers, ne s’expliquant qu’à huis clos et anonymement, alors qu’il s’adresse à la commission d’enquête du Sénat, a justifié pourtant avec arrogance la présence de sa banque privée au Luxembourg : « pas pour des raisons fiscales mais parce que la réglementation en matière de gestion d’actifs y est particulièrement souple ». « C’est la référence internationale pour les promoteurs de fonds – notamment les Américains, qui dominent le marché », leur a-t-il expliqué.»
    http://www.senat.fr/rap/r13-087-2/r13-087-2_mono.html

    «Davantage d’écoles, plus de santé, plus de sécurité, plus de transports, plus de justice, plus d’équipements, plus de services… mais moins de contribuables, moins de recettes, moins d’imposition, moins de participation ! Une réalité sociale qu’aucun politique n’arrivera à vaincre ! » dis-tu …
    Pourtant si, mais avec une recherche véritable des fauteurs de trous et donc de troubles par ricochets, aussi discrets pour cette construction peu lisible que pour l’évasion fiscale à très grande échelle.

    L’importance d’une presse et de médias indépendants est donc capitale pour que tout citoyen soit informé des causes et non seulement des conséquences, ce qui permet concomitamment aux politiques d’avoir les coudées franches.

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