Mais où sont passés les vrais débats politiques d'antan ?

Lorsque j’avais une douzaine d’années, mon grand-père Abel, le maçon rouge d’avant-guerre, me racontait cette période de la vie publique où on allait sous les préaux des écoles publiques, lors des campagnes électorales apporter la contradiction à tous les hommes politiques. On osait interpeller, critiquer, questionner et surtout tenter de mettre en difficulté celui (les femmes n’étaient pas encore sur les estrades) qui détenait la vérité. Ces joutes verbales passionnaient les camps politiques ayant des points de vue tranchés et solides et elles déplaçaient les foules. Il aimait me faire partager ces exploits commis en bande organisée par de vrais « camarades » désireux de défendre leurs convictions.

Parfois le « débat » se terminait mal avec quelques échanges virils mais corrects. Il ajoutait en souriant que les gnons échangés constituaient des preuves de la force des arguments. Plus de 30 ans plus tard il nourrissait la même montée d’adrénaline en parlant de Gaston Cabannes, fils d’un tailleur d’habits qui symbolisait pour lui le vrai socialisme, celui qui le conduisit en 1940 à être parmi les députés refusant les pleins pouvoirs à Pétain. Cette tradition des contestations directes publiques c’est lentement éteinte et maintenant les réunions électorales mises en scène tournent au rassemblement de supporteurs. Rien de plus… Si contradicteurs il y a c’est trop souvent pour régler des comptes ou pour répéter des prises de position convenues ou soufflées par la hiérarchie. Nous entrons en effet dans la civilisation politique des « éléments de langage ». Il ne s’agit surtout pas de confronter des idées mais de distiller le plus souvent et le plus paisiblement possible des mots clés que les « conseillers en communication » considèrent comme essentiels. Et pour y parvenir il ne faut pas d’adversaire perturbateur mais plus aisément d’un complice aux questions faciles.

On assiste donc depuis un certain temps au refus des éternels invités des plateaux télé de se confronter à une personnalité trop forte ou à un opposant(e) soupçonné(e) d’être plus compétent(e). Dans le monde restreint de la politique spectacle on se distribue les rôles du bon, de la brute et du méchant selon des codes bien établis. Les attachés de presse ou les conseillers en communication proposent les passages matinaux sur les radios, les interventions dans les émissions en continu des médias perroquets de la même manière qu’un imprésario peut vendre son artiste pour un film ou une pièce de théâtre. Comme les « stars » peuvent refuser d’avoir face à eux une autre vedette pouvant la leur voler les pros du plateau ou du micro sont souvent exigeants avec la « distribution ».

Marine Le Pen vient par exemple de poser ses conditions en véritable tête d’affiche du film politicien quotidien. Invitée de l’émission Des paroles et des actes sur France 2, l’égérie du FN a refusé de débattre avec Martin Schulz, le président du Parlement européen et tête de liste des socialistes européens pour les élections du 25 mai prochain. Une attitude acceptée par une chaine du service public garant d’une information pouvant être éducatrice. Selon Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles pour Libération, elle aurait menacé de boycotter l’émission. « La présidente du FN a notamment fait valoir qu’il s’agissait d’une ‘campagne française’ ce qui est un comble pour une élection européenne… En réalité, elle craignait d’avoir face à elle un contradicteur pugnace qui sait parfaitement ce qu’elle ne fait pas au Parlement européen ». Personne n’a été vraiment choqué par cette attitude démontrant le rapport de forces réel entre les télés et les gens susceptibles de faire de l’audimat ! On s’incline et on invente mille raisons en bombant le torse du journalisme alors qu’il ne s’agit que de mise en scène convenue.

L’apothéose de ce constat date de 30 ans quand Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen se retrouvent pour un nouveau débat, au journal télévisé de France 2. Avant de commencer les hostilités, Paul Amar, le présentateur, sort des gants de boxe et les remet à ses invités. Une initiative qui ne plaira pas à ces derniers, et qui coûtera sa place au journaliste.. qui depuis a été maintes fois surclassé ! Il s’agissait pourtant d’un débat véritable alors que maintenant on fait appel à des journalistes tenant par tous les moyens de capter les feux de la notoriété et de rester suffisamment correct pour espérer revenir.

Il y eut des moments intenses de vrais débats modernes avec « Droit de réponse » de Michel Polac, émission culte à laquelle plus aucun des grands du monde politicien accepterait de participer. On entre dans l’apparence d’un entretien spontané alors que tout est préparé, négocié et accepté. Le débat n’intéresse plus personne à l’époque du prêt à porter idéologique et des certitudes forgées par la répétition médiatique.

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