Le Burkina traverse une vraie crise d'intégrité

J’ai rencontré dans des conditions un peu particulières le Président du Burkina-Faso, Blaise Campaoré lors d’une séjour privé dans le Créonnais. Nous avions davantage parlé de football et de la liaison routière entre Ouagadougou et le village de Saponé où Créon a beaucoup investi dans un centre culturel et associatif que des grands enjeux africains. Une conversation étonnamment détendue avec un homme inspirant la solidité morale et politique. Depuis j’ai séjourné dans le pays des « hommes intègres » avec la sensation que, s’il y avait beaucoup à faire on pouvait le faire dans le temps et sur des bases fiables. Certes tout n’est pas parfait ou idyllique mais il existe une vraie volonté de tirer le maximum des faibles moyens actuels. D’ailleurs depuis ces dernières années le Burkina a été au cœur du règlement de nombreux conflits inhérents au continent africain. Blaise Campaoré a joué un rôle clé dans les négociations nécessaires à la résolution pacifique de multiples situations de crise. Il est devenu incontournable au sahel pour ses médiations.
La France considère d’ailleurs le gouvernement de Ouagadougou comme un partenaire essentiel dont la déstabilisation se révélerait catastrophique pour l’ensemble de l’Afrique centrale. Une base arrière militaire très discrète est d’ailleurs implantée à quelques dizaines de kilomètres de la capitale burkinabée afin de lancer des opérations « spéciales » sur divers théâtre d’opérations en cours. C’est donc avec une certaine inquiétude que la France doit regarder les différents événements se déroulant depuis peu au Burkina, pays des « hommes intègres ».
Des centaines de milliers de Burkinabè sont en effet descendus justement dans la rue pour dénoncer un projet de révision constitutionnelle permettant le maintien au pouvoir du président Blaise Compaoré, une manifestation d’une ampleur historique sur le continent. Au son des sifflets et des vuvuzelas, les protestataires ont arboré des milliers de pancartes hostiles au régime, dont les messages étaient: « Judas, libérez les lieux », « Blaise dégage » ou encore « Article 37 intouchable ».Une telle mobilisation populaire pour une manifestation politique est rare en Afrique subsaharienne et elle dénote la vitalité citoyenne de l’un des pays les mieux organisés politiquement. Il existe au Burkina une vraie conscience du peuple avec un rôle essentiel pris dans cet éveil des femmes dont la part prise dans la vie sociale est remarquable.
L’opposition politique qui existe vraiment avait appelé à manifester dans tout le pays contre ce qu’elle appelle un « coup d’Etat constitutionnel » du président Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans. L’Assemblée nationale doit examiner demain un projet de loi gouvernemental visant à réviser l’article 37 de la Loi fondamentale pour faire passer de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels. Ce changement permettrait à Blaise Compaoré, qui devait achever en 2015 son dernier mandat, de concourir à nouveau à la présidentielle.
Arrivé rappelons le au pouvoir en 1987 par un putsch sanglant, il terminera l’an prochain son deuxième quinquennat (2005-2015) après avoir effectué deux septennats (1992-2005). Et traîne encore dans les mémoires la fin tragique et criminelle de Sankara…ainsi que le rôle de Blaise Campaoré dans les événements tragiques du voisin ivoirien. Des taches qui ont été effacées par le rôle essentiel tenu par le Burkina dans les graves difficultés de la grande bande sahélienne touchant vraiment le nord du pays burkinabé.
Je suis rentré du Burkina beaucoup plus soucieux du rôle des religions et des ethnies que de celui de la vie politique. La laïcité jusque là référence forte de l’Etat burkinabé a permis d’éviter bien des pièges nombreux découlant des difficultés des « voisins » (musulmans présents avec le soutien de la Libye et des émirs du Golfe!). Les ethnies jouent aussi un rôle essentiel dans l’organisation interne du pays avec les chefs coutumiers mossis qui conservent un pouvoir réel. On oublie souvent que le souverain Mossi (le Mogho Naba) a toujours un palais officiel à Ouagadougou avec une cérémonie publique hebdomadaire du moogh-naab-yisgu (dite « faux-départ » du roi de Ouagadougou) témoignage de la valeur patrimoniale de cette royauté dans le contexte burkinabé contemporain. Dans les villages, la structure politique traditionnelle mossi est encore très présente. Dans la vie quotidienne, les chefs traditionnels (les naaba) jouent un rôle important d’administration et de justice au sein de leurs communautés.
A tout moment le pays des « hommes intègres » peut basculer dans une situation conflictuelle dangereuse. N’empêche que le projet de Campaoré suscite l’hostilité de l’opposition, d’une grande partie de la société civile et de nombreux jeunes – plus de 60% des 17 millions d’habitants ont moins de 25 ans et n’ont jamais connu d’autre dirigeant que lui. La marge de manœuvre va être étroite. Il y a donc tout lieu de s’inquiéter fortement en France sur l’évolution en fin de semaine de la situation…car une nouvelle épine dans le pied de l’armée occupée au Mali, en Centrafrique, en Cote d’Ivoire, au Tchad et ailleurs serait extrêmement douloureuse. Or la situation n’est guère facile à régler…

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