Le feuilleton des 700 ans créonnais (épisode 7)

Samedi 16 mai à 21 h 30 dans les rues de Créon reviendra le premier cortège royal de la Rosière créonnaise Suzanne Salvet ! L’ombre d’Antoine Victor Bertal hantera les lieux avec ses tableaux et sa fortune…

« Émile Saligue ne s’est jamais senti aussi jeune. Malgré ses 76 printemps, le maire de Créon sort tout guilleret de la mairie en tenue de gala. C’est probablement le plus grand jour dont il pouvait rêver. Toute la ville bastide est dans l’attente d’un événement qu’elle attend depuis maintenant une bonne dizaine d’années. Grâce à l’extraordinaire générosité d’Antoine Victor Bertal le vieil Hôtel de la Prévôté, incendié au XVII° siècle et reconstruit de manière modeste est devenu un splendide immeuble de pierre blanche haussé d’un étage pour recevoir le musée prévu dans le testament. Il reste encore bien du travail à effectuer à l’intérieur mais les élus ont réintégré les lieux. Un vrai miracle et une inauguration fastueuse !
La fameuse collection de tableaux est arrivée dans un wagon spécial venu de Nice après bien de péripéties judiciaires et elle est en place. Un conservateur a été nommé le 23 juin dernier après une séance homérique du conseil municipal dans laquelle le prétendant à la succession du Maire a été mis en minorité. Depuis la loi sur la séparation de l’église et de l’État il règne sur Créon un climat de guerre civile larvée et les deux camps préparent les élections municipales de 1908 !
Le Dr Émile Saligue, médecin emblématique du village créonnais a dû batailler pour percevoir les libéralités de cet homme dont seuls les plus anciens des Créonnais gardaient le souvenir qui, depuis sa retraite de Nice avait couvert de francs-or sa ville natale. Mis en cause par son manque de dynamisme, le maire sait que cette journée du dimanche 8 septembre 1907 qui s’ouvre devant lui sera exceptionnelle. Une sorte de revanche sur toutes les critiques véhémentes. Jamais Créon n’a connu une telle gloire !
Harmonie municipale au complet, splendide salle des fêtes dressée sur la place de la Prévôté débarrassée de sa halle séculaire en mauvais état, rues pavoisées, foule des grands rendez-vous, ouverture du musée : tout est réuni pour que l’histoire retienne qu’Émile Saligue a été le plus grand maire de l’histoire de Créon. Lé déroulement de la matinée a été confié, dès que l’élection a été connue, à un comité de dames patronnesses parmi lesquelles il avait glissé sa fille. Paradoxalement ce fut le plus difficile que pour choisir la « plus digne et la plus âgéens des demoiselles de Créon ». en effet le 23 juin 1907 s’est déroulé l’élection à bulletins secrets et à huis clos de celle qui recevrait la couronne de première rosière de Créon mais aussi les 15 000 francs-or prévu par le testament de feu Antoine Victor Bertal. Une somme qui suscitera par la suite bien des convoitises. Suzanne Salvet a été unanimement reconnue comme correspondant parfaitement à la volonté du généreux donateur.
Orpheline elle vit avec son frère Antoine et sa sœur Jeanne dans la rue de Saint Genés dans la maison familiale. Son père est décédé il y a 7 ans quand elle avait 15 ans et il a bien fallu faire face à cette situation exceptionnelle. Antoine a repris l’atelier de charron paternel auquel il a adjoint une forge. Il ne fabrique plus beaucoup de roues pour les charrettes ou les tombereaux. Sa principale clientèle est constituée par les propriétaires de petits attelages pour les déplacements sur les routes cahoteuses du Créonnais. Les premières voitures automobiles dont on commence à parler n’ont pas encore fait leur apparition et il peut conserver l’espoir de maintenir encore son activité. L’élection de sœur ne l’a pas surpris tant elle mérite cet hommage qu’elle doit surtout à l’insistance de Louis Techeney qui habite juste en face de chez les Salvet !
« Tu viens Paul il faut y aller ! » Emile Saligue demande à son plus fidèle soutien Paul Garbarrou de le suivre. Il faut aller chercher Suzanne chez elle ! Vous suivez ! » Le conseil municipal au complet est là dans le couloir de la Mairie. Ils sortent les uns après les autres avec au bras une jeune fille en robe longue. Ainsi en a décidé le comité organisateur des dames patronnesses. Le Maire et les élus iront chercher la rosière à son domicile pour la conduire dans la salle des fêtes où elle sera couronnée. Les curieux sont massés devant la mairie pour ce qui restera la première fête de la rosière de l’histoire.
Emile Saligue sait que Suzanne est prête depuis déjà un bon moment. Elle attend avec impatience mais aussi avec un brin d’angoisse. Les deux sœurs ont fait une robe sobre mais élégante. Elles y on travaillé tout l’été avec l’aide d’une couturière qui aura la fierté de pouvoir afficher sa participation à ce rendez-vous exceptionnel. La délégation arrive à la porte des Salvet.
« Bonjour, nous venons chercher la Rosière de Créon ! » annonce avec le sourire le maire.
– La voici ! »
– Elle vient à mon bras et nous partons pour la mairie ! »
Des dizaines de regards envieux se tournent vers ce couple exceptionnel entre un septuagénaire à la barbe blanche d’ermite et une splendide jeune femme brune intimidée par cette animation autour d’elle. L’harmonie avance dans la rue de l’église et passe avec la foule devant sans s’arrêter. Emile Saligue a refusé de s’y rendre malgré l’insistance des dames patronnesses. Elle débouche sur la place de la Prévôté l’inondant de ses flonflons heureux. Les Créonnaises et les Créonnais applaudissent au passage de ce cortège qui entre dans l’histoire.
(à suivre)

Cette publication a un commentaire

  1. J.J.

    Aujourd’hui, c’est en écoutant la « Rosière Républicaine » d’André Antoine Modeste Grétry que je lis le 7° épisode de l’épopée créonnaise.

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