J'ai été Charlie… Je suis Anish !

Imaginons un instant que l’œuvre monumentale installée dans le prestigieux bel ordonnancement du parc du château de Versailles se soit appelée « la trompe d’Eustache du Roi soleil » ou le « cornet acoustique du Professeur Tournesol »… plutôt que « le vagin de la reine » aurait-on un telle polémique ? Pas certain tellement la tartuferie sociale est élevée en cette période des apparences faciles, de l’intégrisme outrancier de la pensée, de l’arrogance morale, de l’indignation sélective. De partout surgissent les formes les plus décadentes de la pensée réactionnaire afin de donner bonne conscience aux faux-culs encore plus nombreux qu’à l’époque des Jésuites triomphants. A toutes les époques l’art a cristallisé les haines ou l’agressivité débridée des sbires de l’ordre établi. Mais où va-t-on ? Courberons-nous davantage l’échine devant les fachos ?
Après l’attaque de peinture contre l’œuvre d’Anish Kapoor exposée à Versailles, la sculpture est maintenant la cible d’élus de la ville, qui veulent porter plainte pour dégradation du Château de Versailles. C’est inimaginable mais bien réel au XXI° siècle ! Les détracteurs de l’art contemporain monumental se rendent-ils compte qu’ils alimentent le phénomène même qu’ils dénoncent? Ils reprochent à ces œuvres de n’avoir aucune valeur artistique et de ne valoir que par les polémiques qu’elles provoquent. Des polémiques qui, selon eux, donnent de la notoriété aux artistes et accroissent leur valeur marchande sur le marché très spéculatif de l’art contemporain. Et ce sont eux qui les créent et les alimentent pour se faire connaitre ou exister !
Les exemples à travers les siècles sont légions mais chaque fois elles s’éteignent quand l’artiste réputé provocateur est dépassé par un autre plus « moderne » ou plus « novateur ». De tout temps les créateurs ont été assassinés par des censeurs se réfugiant derrière les dogmes de la pensée unique. Les impressionnistes ont par exemple essuyé les pires critiques et on été même parfois poursuivis ou agressés. Le fameux « déjeuner sur l’herbe » de Manet fit au moins autant scandale au « salon des refusés » que « le vagin de la reine » installé dans la perspective versaillaise. La taille de l’œuvre était bien différente ! Les réactions très vives de Napoléon III (qui avait lui-même encouragé ce contre-salon), du public et de la critique se sont en effet concentrées sur ce tableau. Manet rompait avec le classicisme et l’académisme en privilégiant les formes brutales et les couleurs chatoyantes. Quant pour Anish Kapoor la querelle porte sur le nom donné à l’œuvre (et encore ce n’est pas celui de l’origine) au temps de Manet le déchaînement des bien-pensants portait moins sur le style de la toile que sur son sujet. Le « Nu » féminin était admis dans la peinture, sous certaines conditions dont aucune n’est remplie. Or dans le déjeuner sur l’herbe une jeune femme nue, en compagnie de deux hommes habillés en costume contemporain, fait face au spectateur sans aucune pudeur, et semble même l’inviter à venir dans le tableau partager leur conversation. Impossible d’interpréter ce tableau de manière allégorique, mythologique ou esthétique. Il s’agit bien de sexe – et c’est cela qui fait scandale et conduit le public soit à marquer son incompréhension, soit à rire de bon cœur, soit à s’indigner devant l’indécence de cette œuvre. Nous étions en… 1863 et Manet fut considéré comme un paria et un peintre décadent. Et le déchainement des faux-culs fut le même!
Que, dans le même ordre d’idées n’a-t-on pas dit ou écrit sur Pablo Picasso ou Salvador Dali ou Miro ou Buffet ou Modigliani ? Il serait intéressant de réaliser un florilège des articles publiés sur ces artiste ou bien d’autres encore dans Le Figaro pour avoir une idée précise de la vanité des critiques. Les créateurs survivent et eux sont oubliés alors qu’ils se croient immortels comme les politiciens de bas étage qui s’attaquent à l’art. Des dizaines de plaintes ont été déposées contre des affiches, des tableaux, des sculptures, des réalisations audio-visuelles au prétexte qu’elles contrevenaient aux bonnes mœurs ou qu’elles détruisaient les canons de l’art. Par contre jamais d’actions face à l’intolérance, la haine, le mépris ou les vanités des donneurs de leçons devant les outrages faits à la création qui mérite pourtant d’être aussi protégée que les sources d’un journaliste ou la liberté d’expression de n’importe quel citoyen !
« Je suis Anish » ce badge devrait être vendu et porté par toutes celles et tous ceux qui pensent qu’il y en a marre d’une forme d’inquisition revenue sur la scène sociale. Je n’aime pas nécessairement l’art moderne. Je ne m’extasie pas devant le « vagin de la reine » mais je reconnais le droit à tout artiste de provoquer, de faire réfléchir sur les règles strictes de la « beauté », de susciter des réactions positives ou négatives, de choquer ou de séduire. Il ne peut pas y avoir même à Versailles site d’art « officiel » des critères de jugement intangibles.
La création de Kapor a été déjà vandalisée et maintenant elle est prise en otage par 2 élus versaillais (un qualificatif qui leur va parfaitement en pensant au massacre des Communards) ayant annoncé qu’ils allaient déposer plainte,,excusez du peu » contre l’œuvre pour « dégradation d’un monument classé et dépôt d’ordures et gravats dans un lieu protégé… ». le ridicule ne tue pas ! « Je suis Anish ! » plus que jamais !

Cet article a 2 commentaires

  1. CUSSAC

    Sur la photo l’œuvre parait minérale et ne semble pas dépareiller le milieu. Quant au nom donné l’auteur a peut-être voulu mettre en exergue, dans le contexte historique du château, Madame de MAINTENON, dernière épouse de Louis XIV qui a eu avec lui 7 enfants des 8 à 10 qu’elle est supposée avoir eu. On peut y avoir bien d’autres raisons (clin d’oeil aux mœurs de l’époque, pouvoir occulte des femmes…), mais à chacun son ressenti. Sans être provocatrice d’autres œuvres peuvent ne pas plaire (pour ma part je ne me suis jamais fait au lion bleu place Stalingrad à Bordeaux, face au Crédit Lyonnais …) mais je le prends comme il est.

  2. batistin

    Le homard de Jeff Koons, exposé en 2008 lui aussi à Versailles, soutenu par l’industriel François Pinault avait fait aussi quelques vagues.
    Vagues bénéfiques à la réflexion sur le Patrimoine, à la cotation de l’artiste et au portefeuille des collectionneurs.
    Dans un autre genre, le Discours du Pape Benoît XVI aux artistes le 21 novembre 2009 encourage d’encenser la beauté, source d’émerveillement, lui-même premier pas vers la définition d’une part sacrée dans nos vies.
    Le Déjeuner de Manet n’est-il qu’un discours sur la forme artistique ou aussi un rappel cuisant de la place occupée par la Femme dans la société de l’époque ?
    La fonction de l’artiste peut-elle se résumer à lancer des « alertes », par les chocs engendrés par l’oeuvre, ou est-il encore possible d’accepter l’artiste dans la tribu humaine pour, aussi, y chanter le simple plaisir d’être à la vie.
    Fait-il donc, pour être artiste résumer sa pensée à la recherche perpétuelle des horreurs à dénoncer ? Des dérives politiques à l’abandon des églises de villages, il semblerait qu’aujourd’hui le seul capable d’engager un examen de conscience, et d’être grassement payé pour ça, soit uniquement l’artiste.
    Une chose persiste pourtant, une chose solide et immuable, le travail manuel accompli par les « artistes-artisans d’art » ayant œuvré à Versailles.
    Le travail manuel, si efficace pour sauver de l’ennui toute une jeunesse perdues dans les couloirs de la Bourse mondiale.
    Pas l’esclavage des ouvriers du textile, mais le Travail Manuel.
    L’ordre salvateur des Compagnons du Devoir: apprenti , ouvrier, ouvrier spécialisé, artisan , artisan d’art, et enfin Maitre artisan d’art, c’est à dire: artiste !
    D’ailleurs, Picasso, travailleur manuel s’il en est, ne l’appelait-on pas « Maître »?

    Alors, discourir sur l’art de quelque penseur malin qui n’aura pas même tenté de se casser un ongle pour réaliser une oeuvre, c’est simplement la porte ouverte vers le vide.

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