La course malsaine de l'information en continu

L’avantage d’être en convalescence c’est que de son canapé, sans pression mais avec attention, il est possible de suivre le traitement médiatique d’un événement à travers tous les écrans dont on peut être doté. Déplorable, angoissant, déprimant après une journée passée à suivre les chaînes perroquets d’une forme de télévision devenant une véritable danger démocratique! Ne sachant pas davantage que le commun des mortels du drame ayant eu lieu à Puisseguin ces médias nationaux ont toute la journée navigué à vue ou plus exactement rivalisé de versions différentes d’un événement pourtant exceptionnel que justifiait retenue et précision. Les présentateurs parisiens sont passés par toutes le supputations, par toutes les interprétations, par tous les témoignages, par toutes les révélations sans jamais manifester le moindre scrupule professionnel dans ces changements de cap. En fait leur machine se nourrit d’hypothèses, de personnes ayant vu la personne qui a appris par la personne que quelque chose s’était passé, de propos contradictoires ou purement fantaisistes. Pas question de recouper l’information, de citer ses sources : on se contente de répéter à l’envi des bribes de constats effectués par d’autres ou rapportés par d’autres. C’est affolant…
En fait, en fin de journée avec la conférence de presse du Procureur de la République seule personne habilité à délivrer des certitudes on apprend des vérités : on ne sait même pas exactement le nombre des victimes allant de « 41 à 43 » et pour les causes de l’accident il n’y a aucune certitude et même pas encore de pistes fiables. « Il y a eu un choc, un feu qui s’est propagé, mais les investigations ne sont pas suffisantes pour déterminer la raison originelle de ce drame. Le chauffeur du car n’est plus à l’hôpital. Il est entendu en tant que témoin. Je ne confirme pas qu’il ait vu le camion à l’arrêt sur la route. » explique le représentant de la justice… Alors que toute la journée les propos gonflés de révélations se sont succédés sur les antennes. C’est à dire que par exemple les analyses savantes des spécialistes sur Itélé n’ont aucun fondement et celles reprises ailleurs ne sont que des interprétations.
Le Procureur ne parle pas un seul instant de l’état du réseau routier ou d’une quelconque défaillance de la sécurité alors que durant toute la matinée on a entendu sur France Infos une journaliste (?) interviewer le Président du Conseil… régional sur « l’état de la voirie… départementale en cet endroit » alors qu’il en ignore absolument tout ! Elle insistait lourdement pour qu’il décline la dangerosité du virage, du revêtement ou de la signalisation confondant responsabilité régionale et départementale.. On a accumulé des témoignages de victimes d’accidents (voitures parties dans le ravin, dans les vignes) alors que depuis 5 ans il n’y en a eu aucun fait de ce type avéré! N’empêche que l’on a sous-entendu que cette route sétait « dangereuse », « accidentogène ».
J’ai même lu un article expliquant que la loi NOTre aurait des incidences futures sur l’entretien du réseau routier en raison d’un hypothétique partage des compétences et de la suppression de la compétence générale du Département… alors que rien n’est changé et que sur ce sujet la responsabilité restera au Conseil départemental.
« L’enquête sur le fond prendra un certain temps et minimum 3 Jours de constats et 3 semaines d’analyses. On verra dans quelles conditions cet accident a eu lieu. Sur le déroulement de l’accident, on en est aux premières investigations. Le recueil des témoignages. Il faut que l’on croise les informations et que l’on modélise sur la départementale D17.» a ajouté le Procureur ce qui relativise tout ce qui a été déblatéré durant des heures dans des dizaines de flashes contradictoires ou approximatifs.
La concurrence a par ailleurs été féroce sur la présence sur les lieux et l’accès aux micros et aux caméras. « Alain Juppé est arrivé le premier » soulignait triomphalement une journaliste radio sous-entendant ainsi que le Premier Ministre et le Ministre de l’Intérieur étaient arrivés après lui depuis Paris ! Pourquoi était-il là ? Comme Maire de Bordeaux ? Comme Président de la République en devenir ? Capital comme information ! On a appelé tous les députés girondins pour recueillir leur analyse ; L’une d’entre elle, Martine Faure, a eu la pudeur et l’honnêteté de décliner tout commentaire puisqu’elle ne voulait pas se prononcer sur des faits, sur un lieu, sur des causes dont elle ignorait l’essentiel. Elle a essuyé des reproches assez vif des solliciteurs ! Tout le monde politique y est en effet allé de ses remarques, de ses appréciations et de ses condoléances. Le seul qui a fait des déclarations mesurées et objectives a été le Maire de Puisseguin mais… il a vite été oublié car il ne portait que de la pudeur, de la douleur et de la rigueur. Ce n’est pas le hasard : lui il état vraiment touché par le drame !
Un accident de cette importance et de cette nature nécessiterait du recul, du respect, de la retenue alors que la médiatisation conduit à des réponses à chaud, à la recherche constante d’interprétations sensationnalistes, à l’aplomb de certitudes strictement personnelles! Chacun y est allé de sa formule ou de sa recherche d’un objectif bienveillant de caméra ou d’un micro compatissant en rappelant chaque fois sa profonde connaissance du terrain alors que le secteur leur était totalement inconnu. Là encore, comme dans bien d’autres domaines, un affreux concours de circonstances se transforme en opportunité de rentabilité : augmenter l’audience et les ventes ! C’est la concurrence qui conduit à faire vite au mépris de l’information, à rester dans l’approximation pour éveiller l’intérêt et à inonder de banalités pour tenir la distance… et l’antenne mais pas pour servir l’un des piliers de a démocratie : l’information !

NB : Je rends en revanche hommage à la rédaction de Sud-Ouest qui dans son édition de ce jour a fait un travail précis, complet et objectif sur cet accident effroyable.

Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    Il n’est pas besoin de tirer des plans sur la comète et de faire des supputations nostradamesque à propos de l’état des routes et patti et pata et cæteri et cætera….
    Ce genre de catastrophe, heureusement extrêmement rare peut se produire n’importe où.

    Il y a quelques 2 ou 3 ans (j’ai oublié la date) , sur une parfaite ligne droite (RN141 2x2voies) un bus scolaire, sans cause apparente tombe en panne.

    Le chauffeur a fait évacuer le véhicule en urgence, le dernier élève descendu, l’autobus s’est embrasé immédiatement.

    La réactivité du chauffeur et des occupants, entraînés, comme la plupart des bénéficiaires du ramassage scolaire (tout au moins quand on peut travailler avec les transporteurs locaux car Veolia, aux dernières nouvelles ne mets à la disposition des formateurs ni chauffeurs ni véhicules), à des exercices d’évacuation, a permis d’éviter un drame comparable à celui de Puisseguin, dont les malheureuses victimes n’avaient pas été formée à ce genre d’exercice et n’avaient pas l’agiglité de ces jeunes gens.

    Il serait peut-être sage maintenant , de donner avant les départs d’autobus des consignes de sécurité, comme cela se fait pour les passagers des avions, surtout maintenant que les transports routiers sont en train de subir une sauvage macronisation.

  2. Laure LATASTE

    J’avoue ne plus supporter cette course malsaine et décérébrante ! Que peut-on faire ?

  3. Bernard Gilleron

    Mais pourquoi diable, Hollande, Valls et une kyrielle de ministres sont-ils allés a des obsèques de gens dont ils se fichent éperdument?
    En faisant ce geste électoraliste, ils ont amplifié la course malsaine des journalistes malsains au sensationnel à tout prix!
    En l’espèce de ceux du « service public » qui (je le vois tous les jours en recevant la newsletter de FranceTVinfo), brossent déjà dans le sens du poil les « Républicains » qu’ils s’attendent a voir prendre les rênes de l’État et du Service Public en 2017.

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