La victoire d'Erdogan confirme la montée des populistes

Scrutin après scrutin le populisme mâtiné de nationalisme virulent émerge sur le vieux continent. Bientôt il ne restera plus qu’un nombre très restreint de pays dans lequel le gouvernement comptera dans ses rangs des progressistes ; Il monte même des idées au cœur même de cette Europe présentée comme un rempart contre la guerre qui ont tout lieu d’inquiéter les vrais démocrates. Les fabricants de fil de fer barbelé se frottent les mains et jamais le commerce des armes n’a été aussi florissant. La Pologne a carrément éliminé de son parlement les représentants de la Gauche il y a peu. Au Portugal si une coalition était possible pour contrecarrer la Droite elle a été écartée du pouvoir à la demande de l’UE… En Grèce Tsipras est sous pression cette semaine et rien ne dit qu’un retour anticipé aux urnes ne permettrait pas l’émergence de partis extrémistes. Et la dernière consultation connue vient de valoir au parti du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan de remporter les élections législatives en Turquie.
Il a réussi, contre tous les pronostics, son pari de reprendre la majorité absolue qu’il avait perdue il y a cinq mois. Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a salué un « jour de victoire » devant des centaines de sympathisants de l’AKP, ajoutant que « la victoire appartient au peuple ». Il a par ailleurs appelé à l’unité du pays, tendant la main à ses rivaux.
Sur la base de la quasi-totalité des bulletins dépouillés, le Parti de la justice et du développement (AKP) a recueilli 49,2% des suffrages et raflé 316 des 550 sièges de députés. Le principal parti pro-kurde, le Parti démocratique des peuples (HDP), a réussi de justesse à conserver des sièges au Parlement, en récoltant 10,4% des voix : un score qui lui permettrait d’empocher 59 sièges de députés. De plus en plus critiqué au sein du pays en raison d’une politique anti-kurde, Erdogan a notamment été accusé par une large partie de l’opinion de porter la responsabilité morale de l’attentat perpétré par l’EI qui a fait une centaine de mort le 10 octobre dernier à Ankara.
En juillet, le conflit armé qui oppose depuis 1984 les rebelles du Parti des ravitailleurs du Kurdistan au pouvoir en place a repris dans le sud-est du pays. Le pouvoir a même été accusé de bombarder des cibles du PKK plutot que celles de l’Etat islamique à la frontière syrienne. C’est même une certitude. La guerre va reprendre de plus belle alors que les Kurdes constitue les principaux acteurs en Syrie et en Irak de la reconquête terrestre des territoires détenus par l’Etat islamique.
L’AKP retrouve donc une majorité absolue perdue depuis les élections législatives du 7 juin dernier. Véritable désaveu pour son parti, Recep Tayyip Erdogan comptait depuis sur une revanche. Car le président conservateur a un objectif politique : faire de la Turquie un régime présidentiel en modifiant la Constitution et désormais il a les mains libres. Il vient de réussir son coup d’État grâce au fait qu’il est un habile tribun et qu’il surfe sur la crise des réfugiés ainsi que sur le sentiment de menace générale pesant sur son pays.
Attaques directes contre la presse libre, mise sous le boisseau du service public d’information, emprisonnement des journalistes et des opposants, activité pour le moins équivoques avec les islamistes intégristes : Erdogan prend le chemin de la « dictature démocratique » ayant à une autre époque conduit à bien des problèmes dans les pays concernés. Ce scrutin devrait véritablement inquiéter l’Europe alors que vont venir de partout les félicitations et les hommages. On appelle cela depuis le XIX° siècle la « realpolitik » consistant à abandonner ses idéaux pour composer avec la réalité ou par un manque de vision politique à régler uniquement à court terme des problèmes. Erdogan va devenir incontournable grâce à la légitimité conférée par sa majorité parlementaire.
Il suffit de revenir en arrière et se souvenir le chemin emprunté par les Turcs. Arrivé à la tête du gouvernement en 2003 sur les ruines d’une grave crise financière, Recep Tayyip Erdogan est loué par ses partisans comme l’homme du miracle économique et des réformes qui ont libéré la majorité religieuse et conservatrice du pays du joug de l’élite laïque et des interventions politiques de l’armée. Mais, depuis deux ans, il est aussi devenu la figure la plus critiquée de Turquie, dénoncé pour sa dérive autocratique et islamiste et pourtant il a désormais tous les pouvoirs. On verra dans quelques semaines ce qu’il en fera !
On peut singulièrement s’interroger sur ce qu’il risque de se passer en France en 2017… quand on voit l’incapacité des progressistes à constituer un front commun face à la menace réelle d’une montée fulgurante d’un populisme d’une autre forme mais vraiment aussi inquiétant.

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  1. Christian Coulais

    Harald Welzer, psychologue social et spécialiste des liens entre l’évolution des sociétés et la violence, montre comment une société peut lentement et imperceptible ment repousser les limites du tolérable au point de remettre en cause ses valeurs pacifiques et humanistes, et sombrer dans ce qu’elle aurait considéré comme inacceptable quelques années auparavant. Les gens s’habitueront (et s’habituent déjà) aux événement climatiques extrêmes, aux épisodes de disette ou aux déplacements de population. Les habitants des pays riches s’habitueront aussi très probablement à des politiques de plus en plus agressives envers les migrants ou envers d’autres Etats, mais surtout ressentiront de moins en moins cette injustice que ressent les populations touchées par les catastrophes. C’est ce décalage qui servira de terreau à des futurs conflits. Source : « Comment tout peut s’effondrer » de Pablo SERVIGNE et Raphaël STEVENS, éditions du Seuil. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes postfacé par Yves COCHET.

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