Taubira : "l'œil de Caïn" dans la tombe du gouvernement

Récemment mon ami André Laignel, premier vice-président de l’Association des Maires de France me rappelait dans un message de soutien qu’en raison de ses prises de position contre l’étranglement financier décidé par le gouvernement envers les collectivités territoriales les plus hautes personnalités du pouvoir avait réclamé, son exclusion du Parti socialiste. Il m’assurait de sa sérénité face à une telle menace et me réconfortait dans la tourmente provoquée par ma prise de position sur « Roue Libre » à l’égard de l’annonce de l’inclusion dans la Constitution de la notion de déchéance de nationalité envers des bi-nationaux. Il faut bien avouer que mon texte repris des milliers de fois dans l’hexagone et qui me vaut des courriers quotidiens de soutien ou de critique a été interprété comme une provocation destinée à « me faire mousser » à me « distinguer », à me « valoriser » comme si à bientôt 69 ans je voulais commencer une carrière politique ! Pour commenter le départ de Christiane Taubira d’un gouvernement confondant la fermeté et la fermeture André Laignel a diffusé hier cette phrase de René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». Une vraie bouffée d’oxygène dans une contexte où la devise devient « sois militant et tais-toi ! ».
Manuel Valls voulait du « symbole » dans une proposition présidentielle qu’il vend avec d’autant plus de zèle qu’elle lui permet d’enfoncer celui qui l’a faite. Avec le clash de la Garde des sceaux il l’a eu. Il n’y a pas plus symbolique que ce geste de Christiane Taubira à l’égard de la déchéance de nationalité ! Il n’y pas de symbole plus exceptionnel dans la République qu’un départ sur des valeurs fondamentales. C’est un symbole bien plus considérable que celui qui consiste à laisser accroire que le salut d’une nation passe par la remise en cause par aveu de faiblesse sur ses principes fondateurs.
Bien évidemment un Ministre a ce pouvoir exceptionnel de mobiliser l’opinion en effectuant une déclaration forte après avoir claqué la porte des palais du pouvoir : « Je choisis d’être fidèle à moi-même, à mes engagements, à mes combats, à nous tel que je nous comprends. Le péril terroriste qui nous menace est grave. Nous savons comment le combattre mais je crois que nous ne devons lui concéder aucune victoire : ni militaire, ni diplomatique, ni politique, ni symbolique. Et parce que ce pays regorge de forces, d’énergie, il peut entendre que son destin collectif repose sur des fondations solides. Parmi ces fondations, il y a la construction de son identité civique. Ces fondations sont assez robustes pour résister au temps, aux accidents, et aux tragédies. Fidèle à Aimé Césaire, nous ne livrerons pas le monde aux assassins d’aube. » Une vraie synthèse de ce que j’ai écrit le 24 décembre dernier, méritant le respect et surtout donnant une image positive de l’engagement politique.
Victime du racisme le plus abject. Accablée par des campagnes de dénigrements injustes. Raillée pour ses références culturelles ou intellectuelles. Pourchassée en raison de son passé de militante engagée. Détestée pour sa franchise dévastatrice. Humiliée pour sa capacité de résister aux pressions ou aux tabous. Déstabilisée par des rumeurs infondées. Accusée de laxisme, de faiblesse, de complicité, de duplicité avec les délinquants ou les criminels. Christiane Taubira a cristallisé contre elle tous les cotés les plus abjects de la vie collective dans un pays imbibé par les idées fascistes ou extrémistes. Son départ donne qu’on le veuille ou non raison aux « assassins de l’aube » qui y verront un signe de renoncement du pouvoir de gauche. Ils ont en fait obtenu ce qu’ils voulaient : la stigmatisation de celle à laquelle ils lançaient des bananes ou qu’ils comparaient à un singe.
Pour sauver une mesure inutile, inefficace, inopérante, les garants des valeurs du parti auxquels ils appartiennent ont sacrifié une référence indispensable pour la citoyenneté. Combien il deviendra difficile pour un(e) député(e), un sénateur ou une sénatrice de voter un texte qui aura provoqué le départ de celle qui a toujours placé le triptyque républicain au premier plan de son action publique ? Enfin il faut être lucides : il y en aura aussi pas mal qui fêterons l’événement car il les débarrasse d’une « emmerdeuse » ayant des problèmes de conscience. Elle sera néanmoins pour eux l’œil de Caïn les fixant dans la tombe d’un gouvernement mort politiquement.
« Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir » a écrit Christiane Taubira. Rien de plus vrai.
En me regardant dans la glace chaque matin je tente de savoir s’il vaut mieux rester ou partir. Dans un cas vous mourrez étouffé par les couleuvres alors que dans l’autre cas vous êtes vite qualifié de traître ou de lâche ! C’est parti… pour la Pasionaria qui emporte avec elle mes dernières illusions.

Cet article a 10 commentaires

  1. J.J.

    Madame Taubira est digne jusqu’au bout et donne, bien qu’ils ne veuillent pas la recevoir, une leçon de courage, de dignité à ceux qui lui ont semé des embûches parfois ignobles, tout le temps de sa mission gouvernementale.

    Quand je vois et j’entends monsieur Ciotti, petit roquet prétentieux et colérique, ou madame le Pen, Jeanne d’Arc de Carnaval, clamer, avec des trémolos dans la voix, leur attachement à leur « francitude », je ne me sentirais pas le moins du monde choqué et contrit d’être déchu de la nationalité française.

  2. Bernadette

    La résistance est quelque chose de très personnelle. L’acceptation de vouloir changer pour un gouvernement respectueux de la société tirée vers le bas. Christiane Taubira ne mérite pas en tant qu’Etre humain ce qu’elle a subi. Honte à ces grossiers politiques.
    Mais qu’est ce que le pouvoir en 2016 ?
    Faut il que le peuple français se soumette à cette loi de l’indifférence humaine ?

  3. Sanz

    Merci, cher Monsieur Darmian, pour vos justes propos. Et permettez-moi d’ajouter une pensée pour tous ceux dont la lutte pour – je vous cite : « la vie collective dans un pays imbibé par les idées fascistes ou extrémistes » n’est pas aussi visible que celle de Madame Taubira.
    Je vous adresse mes salutations les plus respectueuses (ainsi qu’à Madame Taubira).
    Noëlle

  4. faconjf

    Bonjour,
    le départ de Christiane Taubira fait basculer dans la tombe tous les espoirs de ceux qui ont porté ce gouvernement au pouvoir.
    Permettez moi de redire ici pourquoi la déchéance de nationalité est inefficace le Premier ministre l’a lui-même admis : la déchéance de nationalité n’empêcherait pas un terroriste de commettre l’irréparable . En effet les terroristes qui se revendiquent du groupe « État Islamique » ne craignent pas de perdre leur vie, alors perdre leur nationalité … De plus, le pays dont le terroriste binational est également ressortissant n’acceptera pas d’accueillir un terroriste sur son sol où il n’aura souvent jamais vécu. La France devra donc les garder sur son sol. Cette mesure est aussi contre-productive, autoriser la déchéance de nationalité des binationaux crée deux catégories de Français et stigmatise ceux qui, nés en France, ont souvent hérité de la nationalité de leur parent.Cela contribue au sentiment d’exclusion qui nourrit le terrorisme.
    Le préambule de notre Constitution dit que « nous naissons libres et égaux en droits, égaux devant la Justice, sans différence de traitement ni de peines ». cette mesure est donc anticonstitutionnelle.
    En reprenant une proposition forte du FN, le pouvoir accrédite les thèses de l’extrême droite, et fait sienne la théorie selon laquelle nos maux, quels qu’ils soient, nous viennent de « l’étranger», et supposent de chasser « l’étranger». Cette démarche renforce donc le F haine.
    Pour toutes ces raisons, je soutiens et remercie les voix qui s’honorent en renvoyant un message d’espoir pour sauver nos valeurs humanistes.
    Pour finir un mot sur l’état d’urgence.
    « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »Benjamin Franklin, 1706–1790. (L’américain autodidacte qui figure sur les billets de 100 dollars.Corédacteur avec Thomas Jefferson et signataire de la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776, il est l’un des « pères fondateurs des États-Unis ».)
    Salutations républicaines

    1. C.R

      Bien Dit !

  5. C.R

    Merci pour votre chronique que j’attendais après votre prise de position que je salue.L’allégeance et l’absence de convictions sont désormais indispensables en politique pour perdurer…mais pour faire quoi ? sinon lobotomiser ,asservir, abêtir ,anéantir, etc…Il en est de même dans le monde du travail avec toutes les conséquences dramatiques que cela entraîne (souffrances =>suicides… ) Liberté,Egalité,Fraternité…Solidarité… pas si simple de nos jours.Bon courage Mr Darmian

    1. Bernadette

      Bonjour C.R,

      Le monde du travail est corrompu, mais les sans travail qui sont des sans droits est encore plus corrompus et tombent dans la déchéance humaine. C’est l’exclusion. Le desespoir
      Toujours plus de chômage.
      Il faut parler travail et contenu du travail aux chefs d’entreprise. Ce n’est pas l’emploi et l’employabilite qui viendra au secours des sans droits.

      1. C.R

        je ne comprends pas très bien votre propos.Merci de m’éclairer.

  6. MAGICAPO2

    Merci pour votre chronique qui prolonge parfaitement l’élégance oratoire de Mme TAUBIRA.
    Avec dignité et courage elle a refusé de valider un texte qui se fait au mépris de nos fondements républicains.
    Ce que je constate , c’est la démission de plus en plus large de citoyens qui se sentent trahis par un Gouvernement qui ne porte plus aucune valeur Socialiste.

    Merci de fédérer autour de vous ces citoyens « de base » qui se reconnaissent dans l’élégance de votre plume.
    Cordialement

  7. MOUNIC

    VIVE AIME CESAIR VIVE TOUBIRA

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