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8 février : de Charonne à Calais, la mutation d'une République

Dans l’histoire de la République il n’a jamais été sans conséquences de voir un général défier les lois communes à tous. Qu’il soit réserviste ne change pas grand chose à ce que Manuel Valls appellerait un « symbole » car immédiatement l’opinion dominante s’est emparée de ce fait pour justifier le courant hostile aux migrants. Un coup de drapeau tricolore, un zeste de Marseillaise, un brin de « légionnaire sentant bon le sable chaud », une dose de légitimité des états de service… et inexorablement les réseaux sociaux se sont emparés en ce 8 février de ce qui n’est que l’application d’une interdiction de manifester parfaitement légale.
Qui peut en effet oser dénoncer un comportement provocateur d’un pseudo-patriote drapé dans sa dignité de la Légion d’Honneur et relevant du sentiment d’immunité conférée par une carrière professionnelle offerte par la République? Imaginons un seul instant que ce soit un professeur d’université, un chirurgien, un ancien magistrat, un haut fonctionnaire qui aient été arrêtés lors d’un rassemblement illégal, aurions nous le même déchaînement de patriotes outragés ?
Il y a pourtant un vrai problème dans ces faits puisque ce sont les gens qui hurlent à l’application des règles qui crient au scandale quand ce qu’il exige des autres s’applique à eux. Et encore une fois durant 3 jours on s’attardera en long et en large sur le sort réservé à un manifestant présent dans un rassemblement hostile aux valeurs que sont l’égalité, la liberté et la fraternité et oubliera les milliers d’êtres humains qui souffrent dans leur esprit et dans leur chair ! Le cas « général » sera détaché du contexte. Non seulement la manifestation avait été interdite comme toutes les autres sur le site de Calais mais elle avait un caractère raciste indiscutable puisque sponsorisée par le mouvement PEGIDA qui s’affiche résolument islamophobe. Chaque participant savait donc parfaitement qu’il enfreignait les principes républicains et qu’il risquait de se le voir reprocher.
Face à eux les Compagnies républicaines de sécurité et la gendarmerie mandatées par l’Etat et donc simplement au travail. Toutes celles et tous ceux, syndicalistes, citoyen(ne)s lambda qui ont participé à un rassemblement de contestation déclaré et autorisé savent que le service d’ordre a en charge la surveillance et la responsabilité d’éviter les débordements. Les ouvriers de chez Goodyear récemment condamnés pour leur action de défense des emplois de leur usine sont bien placés pour connaître les conséquences d’une action « illicite ». Qu’y-a-t-il d’anormal à ce que des participants en possession d’armes, lançant des slogans du genre On est chez nous ! », « État dictateur », « migrants dehors » ou « journalistes collabos » soient placé sous le contrôle des gendarmes et des policiers ? Revendiquer, comme l’a fait le « général » en retraite qu’ils « se mettent au garde-à-vous en entendant l’hymne national » et donc qu’ils fraternisent ainsi avec une troupe défiant la République rappellera de bien mauvais souvenirs. Il y a donc eu plusieurs appels des autorités pour demander la dispersion du rassemblement, puis des charges des gendarmes ainsi que des tirs de gaz lacrymogène par les forces mobiles cernant une centaine de manifestants. Des interpellations ont été effectuées sans qu’il y ait matière à redire. La sévérité devrait si l’on en croit les patriotes effarouchés être sélective et malheureusement elle l’est trop souvent.
Il est assez symptomatique que cette agitation autour de la simple application de la loi à un « général » versé dans la réserve le conduise à se présenter devant un tribunal un 8 février. C’est en effet une date que tous les démocrates ont dans leur cœur puisque ce jour de 1962 se tient à Paris une autre manifestation interdite par un certain Papon, Préfet de Paris. Les attentas de multiplient sous l’impulsion de l’OAS en région parisienne. Le 4 janvier, un commando en voiture mitraille l’immeuble du Parti communiste, blessant grièvement un militant au balcon du 2e étage. Dans la nuit du 6 au 7 janvier, c’est le domicile de Jean-Paul Sartre qui est l’objet d’un plasticage. Le 24 janvier, on compte… 21 explosions dans le département de la Seine, visant des personnalités ou des organisations supposées hostiles. Le 7 février dix charges plastiques explosent au domicile de diverses personnalités : deux professeurs de droit, Roger Pinto et Georges Vedel, deux journalistes, Serge Bromberger, du Figaro, et Vladimir Pozner, blessé grièvement, deux officiers, le sénateur communiste Raymond Guyot dont la femme est blessée. Un dernier attentat qui vise André Malraux défigure une fillette de 4 ans, Delphine Renard. Du terrorisme aveugle… que plus personne ne veut remettre sur la place publique au prétexte que c’était de bons patriotes qui les commettaient.
On a noté depuis 1960 le rôle des généraux dans cette situation. On connaît le racisme sous-jacent à cette époque. On se souvient des slogans peints sur les murs ou affichés sur les panneaux. On a en mémoire le climat de peur et de haine qui plane sur le pays. Or le 8 février se déroule une manifestation contre ces événements, pour la défense de la République, de défense de la démocratie. Elle va conduire à une intervention policière de répression sans rapport avec celle de Calais puisque parmi les manifestants qui ont essayé de se réfugier dans la bouche de la station de métro de Charonne, huit personnes trouvent la mort, étouffées ou à cause de fractures du crâne, ainsi qu’une neuvième à l’hôpital, des suites de ses blessures. Des ouvriers, des employés, des fonctionnaires mais pas de généraux !
En ce 8 février je préfère mettre en évidence le souvenir de cet événement de citoyens défendant la liberté, l’égalité et surtout la fraternité en période d’état d’urgence que celui ayant vu une officier égaré, imbu de sa personne, soutien d’un mouvement raciste se plaindre d’avoir été réduit au statut de simple factieux.

Cet article a 6 commentaires

  1. J.J.

    Tout ça me donne envie d’écouter, interprété par les Frères Jacques l’irrévérencieuse et jubilatoire chanson de Francis Blanche : le Général à vendre….

    Mais le souvenir de Charonne, que je ne puis oublier en ce jour du 8 février, me rappelle de bien mauvais souvenirs d’une époque où l’on vivait, comme de nos jours, dans la peur de terroristes sauvages, qui voudraient se faire passer maintenant pour des agneaux patriotes.

    Terroristes ils étaient, terroristes ils sont.

    Aux arrêts, le gégène ! Je m’y suis retrouvé pour moins que ça.

  2. Gilbert SOULET

    Bonjour et Merci Jean-Marie.
    Ton billet est excellent ! Le 8 février 1962, j’étais là-bas, appelé du contingent depuis janvier 1960. Il me restait encore 1 mois à effectuer. J’étais sur la Herse, frontière électrifiée et minée avec la Tunisie, il y avait énormément de neige et nous avions très peu à manger … J’ai terminé pendant les négociations à Evian et j’ai vécu une des nuits « bleues » dans la Casbah à Alger, la veille de mon embarquement pour Marseille et la délivrance après 27 mois. Très amicalement, Gilbert de PERTUIS

    1. Bernadette

      Bonsoir M. Soulet

      La signature des accords d’Évian a été une intention de la part des 2 pays de mettre fin à cette guerre obligatoire. Les accords d’Évian ont bien été signés le 19 mars 1962.
      Dans la petite commune où je réside une plaque existait. Cela fait bientot 10 ans peut etre plus, Elle a été remplacée par la place de l’église. C’est choquant pour la mémoire des combattants franco algérois et leur famille.

  3. Bernadette

    Et nous français pauvres de quoi sommes le nom

  4. C. Coulais

    « d’un pseudo-patriote drapé dans sa dignité de la Légion d’Honneur »
    Déchéance de la Légion d’Honneur ? à (r)ajouter dans la constitution !

  5. lamas philippe

    Merci Monsieur pour ce billet salutaire en ces temps de confusion et de haine… Des temps incertains où la bêtise, l’inculture et le racisme le plus primaire se nichent dans les plis du drapeau français…

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